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mardi 3 décembre 2024 :: Permalien
Publié dans Le Monde diplomatique, décembre 2024.
Les livres sur l’« affaire Lip » ne manquent pas. Ces dernières années, dans le sillage du beau documentaire de Christian Rouaud (Les Lip, l’imagination au pouvoir, Les Films d’ici, 2007), plusieurs ouvrages importants sont venus éclairer ce conflit emblématique des années 1970, et plus largement l’histoire de l’entreprise. En s’attachant à la personnalité de Charles Piaget (1928-2023), cette biographie adopte un angle quelque peu différent. Tout en accordant – et pour cause – une place de choix à la lutte de 1973, elle parcourt l’ensemble des combats du militant Piaget : sa candidature avortée à la présidentielle de 1974, son engagement pour l’autogestion, son action à la gauche du Parti socialiste unifié (PSU), sa participation active au mouvement des chômeurs… En traversant ces différents moments politiques, le récit ne fait pas seulement apparaître la cohérence et la dignité d’une vie militante. Il montre aussi comment Piaget, primus inter pares, affronta les contradictions et les périls du porte-parolat. Leader exposé et écouté, il eut à cœur de rester « humble parmi les humbles », ouvrier parmi les ouvriers, membre parmi d’autres d’un collectif auquel il devait des comptes.
Antony Burlaud
lundi 2 décembre 2024 :: Permalien
Publié dans Le Courrier de l’Atlas, le 29 novembre 2024.
Au cœur des ruines de Gaza, où la vie elle-même semble suspendue à un fil, les mots de Rami Abou Jamous s’élèvent comme un cri, une protestation, mais aussi une tentative désespérée de préserver son humanité. Journal de bord de Gaza, publié aux éditions Libertalia, sort ce 29 novembre.
Ce livre est bien plus qu’un simple récit journalistique : c’est une immersion bouleversante dans le quotidien d’un homme qui raconte l’indicible pour que personne n’oublie. Avec une plume à la fois précise et profondément humaine, Rami livre le témoignage d’une survie, entre chaos et dignité, et rappelle à chacun l’importance de dire, d’écrire, et surtout de ne jamais détourner le regard.
Quand on lit Journal de bord de Gaza, on a l’impression d’écouter un proche nous raconter une histoire impossible, une vie de survie. Rami Abou Jamous, 46 ans, journaliste palestinien, écrit depuis Gaza comme on respire, comme pour rester debout alors que tout s’écroule autour de lui.
Rami Abou Jamous est né à Beyrouth, mais son histoire commence vraiment en 1994, quand il débarque à Gaza avec son père. C’était l’époque où on croyait encore à la paix, après les accords d’Oslo. Tout semblait possible : Gaza avait un aéroport, des échanges avec la Cisjordanie, même des rêves d’État palestinien.
Rami, jeune et plein d’espoir, part en France grâce à une bourse pour devenir ingénieur. Mais la vie en décide autrement. En 1999, son père meurt, et il rentre à Gaza pour s’occuper de sa famille.
La suite, c’est une désillusion constante. Le Premier ministre israélien Rabin est assassiné par un extrémiste juif, Netanyahou au pouvoir qui torpille les accords de paix, le Hamas qui prend Gaza par la force en 2007.
Rami, comme beaucoup, doit se réinventer. C’est là qu’il devient journaliste, presque par hasard. Au départ, il aide les reporters étrangers à comprendre les méandres de Gaza, mais très vite, il se fait une place à part entière. Il connaît tout le monde, il sait tout ce qui se passe.
Et puis, arrivent les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2024. Ce jour-là, Israël interdit l’entrée de Gaza à tous les journalistes étrangers. Rami devient alors l’un des seuls à pouvoir raconter ce qui se passe.
À travers ses chroniques publiées sur le site Orient XXI, il raconte tout : les bombardements, les pénuries, l’humiliation au quotidien. Il parle aussi de sa vie, de sa famille forcée de fuir encore et encore sous les bombes, jusqu’à vivre dans une tente qu’il appelle, pour rassurer ses enfants, « notre villa ».
Rami ne fait pas qu’informer. Il écrit. Avec des mots simples, justes, il nous plonge dans ce qu’il vit : la peur, la faim, l’impression que tout s’effondre. Il parle des drones qui rôdent comme des oiseaux de proie, de la stratégie d’Israël pour rendre Gaza invivable, du chaos qui dévore tout.
Ce qui rend ce livre unique, c’est que Rami écrit comme il vit : sans détour. Il raconte les détails les plus crus, comme le pantalon unique qu’il porte jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux. Il nous fait entrer dans son intimité, dans ses conversations avec sa femme Sabah, dans ses moments d’humiliation quand il ne peut même pas acheter du poulet pour ses enfants.
Et pourtant, il garde cette dignité incroyable. Même dans le pire, il trouve les mots pour rester debout. Il explique que son père lui a appris que la dignité, c’est tout ce qu’on a quand il ne reste rien. Alors, il continue d’écrire, coûte que coûte, même si cela signifie exposer sa vie privée dans une société où ça ne se fait pas.
Lire Journal de bord de Gaza, c’est comme recevoir une claque. On entend souvent parler de Gaza à la télé, mais là, c’est différent. Là, on le vit. On comprend que ce n’est pas juste une guerre, mais une vie entière broyée. Rami décrit tout, avec des mots qui restent. Il compare Gaza à un mixeur géant : « On est tous dedans, et ça tourne, ça broie. Parfois, quelqu’un est éjecté parce qu’il est mort, mais nous, on reste là, coincé. »
Et pourtant, ce livre est aussi plein d’humanité. On sent l’amour de Rami pour sa famille, pour ses enfants, qu’il tente de protéger avec des mots, des illusions. Quand il leur dit que leur tente, c’est une villa, qu’ils vont faire un barbecue avec du bois, on a envie de pleurer. Parce qu’on sait qu’il essaie juste de leur donner un peu d’espoir, même si ce n’est qu’un mensonge.
Le 12 octobre 2024, Rami reçoit trois prix au festival de Bayeux, dont celui de la presse écrite pour ce journal. Une reconnaissance méritée pour un homme qui, malgré tout, a trouvé le courage de raconter l’indicible. En lisant ce livre, on comprend que Rami, c’est plus qu’un journaliste. C’est un témoin, une voix qui refuse de se taire.
Ce livre, c’est une fenêtre sur une réalité qu’on préfère souvent ignorer. Mais c’est aussi une preuve que, même au milieu du pire, il reste des gens comme Rami pour porter des mots, pour dire que, malgré tout, la vie continue.
Nadir Dendoune
lundi 25 novembre 2024 :: Permalien
Michelle Zancarini-Fournel était l’invitée de Quentin Lafay pour l’émission Questions du soir du 22 novembre 2024 sur France Culture : « Sorcières, déconstruction d’un mythe ».
« Depuis quelques années, les sorcières sont partout. Sous la forme d’une “lettre aux jeunes féministes”, l’historienne Michelle Zancarini-Fournel entend réhabiliter historiquement cette figure, et déconstruire les fantasmes qui perdurent autour de l’idée qu’une sorcière était une femme puissante.
En 2018, Mona Chollet a fait paraître un livre qui a fait évènement, un succès littéraire, Sorcières, la puissance invaincue des femmes. Depuis, les sorcières sont au cœur des débats féministes, des débats historiques et sociologiques. L’historienne Michelle Zancarini-Fournel, spécialiste de l’histoire des femmes a décidé de s’intéresser au “réel historique” (selon l’expression de Pierre Vidal-Naquet) de l’existence des sorcières, sous forme d’une “Lettre aux jeunes féministes”, dans un essai paru aux éditions Libertalia, qui retrace la construction des mythes sur les sorcières et sorciers, du XIIe jusqu’à aujourd’hui, pour réhabiliter historiquement cette figure, devenue un objet de fantasme, et déconstruire l’idée qu’une sorcière était une femme puissante. »
lundi 25 novembre 2024 :: Permalien
« Comment les sorcières sont devenues des femmes puissantes... contre la vérité historique. » Dans sa chronique « Va savoir » du 28 octobre 2024, Chloé Leprince revient sur le mythe de la sorcière bousculé par Michelle Zancarini-Fournel et son ouvrage Sorcières et sorciers, mythes et histoire.
« En 2017, quand de jeunes féministes manifestent en sorcières, l’essai de Mona Chollet, "Sorcières", bientôt en tête des ventes et pour de longs mois, n’existait pas encore. Mais la lecture, problématique, par Silvia Federici, de l’histoire du harcèlement des femmes sous couvert de sorcellerie, oui. »
jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien
Publié sur Mediapart, le 21 novembre 2024.
Cent ans après la grève des sardinières devenue une lutte symbole du mouvement ouvrier féminin, la journaliste Tiphaine Guéret publie un livre-enquête sur les femmes précaires et racisées qui travaillent aujourd’hui dans les conserveries industrielles du port finistérien.
C’est une grève victorieuse mythique du mouvement ouvrier féminin. Le 21 novembre 1924, à Douarnenez, deux mille travailleuses des conserveries de sardines du port finistérien débrayent pour demander la revalorisation de leurs salaires de misère et dénoncer leurs conditions de travail épouvantables.
L’ouvrière Joséphine Pencalet, qui sera en 1925 l’une des premières femmes élues conseillères municipales en France, devient alors la figure de proue de cette lutte. Deux leaders syndicaux nationaux, Charles Tillon, futur héros de la Résistance, et Lucie Colliard, militante féministe, organisent la solidarité à l’échelle nationale pour appuyer ce mouvement initié par des femmes.
Après quarante-six jours de mise à l’arrêt des vingt conserveries de Douarnenez, le patronat cède aux demandes de ces ouvrières rebaptisées les Penn Sardin – « tête de sardine », en breton.
Cent ans plus tard, ce jalon de l’histoire des combats syndicaux est devenu un mythe, objet de films documentaires, de livres, de chansons… Mais que reste-t-il de cette mémoire des luttes en dehors de sa folklorisation ? Qui travaille désormais dans ces conserveries ?
Journaliste indépendante, Tiphaine Guéret a mené l’enquête durant cinq mois auprès des ouvrières de Chancerelle – qui produit les boîtes de conserve de la marque Connétable –, fleuron agro-industriel de Douarnenez fondé en 1853. Le groupe fabrique aujourd’hui 115 millions de boîtes par an et emploie 1 900 personnes, dont l’usine de Douarnenez représente un gros tiers des salarié·es.
Dans Écoutez gronder leur colère. Les héritières des Penn sardin de Douarnenez (éditions Libertalia, octobre 2023), la journaliste a rassemblé les voix des travailleuses précaires de cette conserverie. Car, cent ans plus tard, le travail de la sardine demeure essentiellement féminin. Par ailleurs, depuis une vingtaine d’années, « des employées racisées, plus ou moins fraîchement exilées, sont venues grossir les rangs de la production – jusqu’à constituer l’écrasante majorité des travailleuses », raconte Tiphaine Guéret.
En rang et debout, ces ouvrières turques, congolaises, ou vietnamiennes – on dénombre 26 nationalités dans l’entreprise – passent huit heures par jour à trimer devant un énorme tapis roulant, à l’étripage et l’emboîtage des sardines à la main. « Femmes, prolétaires et racisées, elles campent au carrefour des rapports de domination », rappelle la journaliste.
Un sentiment d’appartenance à la classe ouvrière
Au long des pages, la journaliste documente méticuleusement l’enfer des 2/8 – le fait de faire tourner sur le même poste de travail deux équipes par roulement de huit heures consécutives – et des nouvelles méthodes de management qui sapent le moral et ravagent les corps de ces travailleuses.
Toutes sont en proie à des tendinites à répétition, à des phlébites dues à la station debout, à des malaises à cause de la chaleur voire ont eu un doigt emporté par les machines. « Combien on aimerait pouvoir déposer son âme, en entrant, avec sa carte de pointage, et la reprendre intacte à la sortie », témoigne une des quinze ouvrières interrogées par Tiphaine Guéret.
Cette dernière décrit aussi l’atomisation du monde ouvrier. Les salariées permanentes et les intérimaires mangent à l’usine sur des tables séparées. Et les différentes communautés exilées échangent peu entre elles, les femmes étant souvent happées à la sortie de l’usine par le travail domestique qui les attend en rentrant.
Malgré tout, « quelque chose d’un sentiment d’appartenance à la classe ouvrière » persiste dans les hangars bruyants et odorants de Chancerelle.
Le 11 mars 2024, 250 travailleurs et travailleuses du site de Douarnenez se mettent en grève, las de l’inflation qui rognent des salaires qui ne dépassent pas les 1 600 euros mensuels. Pour nombre de ces ouvrières, ce débrayage signe leur première mobilisation. Dès le lendemain, un accord est signé prévoyant notamment une revalorisation du taux horaire de 2,3 %.
Une petite victoire bien loin du Grand Soir, mais qui résonne avec celle des Penn Sardin de 1924. Comme le souligne dans le livre une des ouvrières : « Cent ans plus tard, on n’est toujours que des femmes, on n’a toujours pas de vie familiale : certaines avant-hier ont quitté l’usine à 22 heures et ont pris la route en sachant que leur enfant serait couché quand elles arriveraient chez elle. »
Mais d’avertir : « Nous, on lui a bien dit à la direction : la prochaine fois, ce ne sera pas qu’une journée. »
Mickaël Correia