Le blog des éditions Libertalia

La Révolution communaliste dans L’Anticapitaliste

samedi 11 avril 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans L’Anticapitaliste, 10 avril 2020.

Comme l’on sait, Öcalan est le fondateur du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, emprisonné en Turquie depuis une vingtaine d’années. Ce recueil de textes rédigés en prison entre 2008 et 2017 documente l’évolution du révolutionnaire kurde, d’un « marxisme-léninisme » autoritaire et nationaliste, vers une nouvelle conception, d’inspiration libertaire : le communalisme, ou confédéralisme démocratique, qui trouve dans le Rojava, région kurde autonome au nord de la Syrie, un début d’application.

Antiétatisme
Curieusement, Öcalan parle très peu de cette passionnante expérience dans les écrits ici rassemblés. Elle est en revanche longuement évoquée dans l’introduction rédigée par notre camarade Olivier Besancenot. Les révolutionnaires kurdes du Rojava tentent de réaliser dans cette région une forme de « confédéralisme démocratique », un projet politique qui revendique son aspiration sociale, démocratique, écologiste et féministe. Ce n’est pas une utopie réalisée mais, malgré les difficultés résultant de la guerre civile en Syrie et de l’occupation militaire turque, une des rares expérimentations humaines en dissidence face aux diktats du capitalisme.
La note dominante des écrits du vieux révolutionnaire kurde c’est l’antiétatisme. Il a été très influencé par les écrits de l’écologiste libertaire étatsunien Murray Bookchin ; cependant, comme l’observe Olivier Besancenot, on trouve aussi une critique radicale de l’État dans les écrits de Marx sur la Commune : l’antiétatisme fait partie de l’héritage du marxisme non stalinien. 
Le confédéralisme ou communalisme démocratique que propose Öcalan est donc une sorte d’autogouvernement de communautés locales, une organisation politique démocratique mais non étatique, qui se veut en rupture avec le capitalisme et son avatar, l’État-nation. Certes, l’État ne pourra pas être aboli d’un trait de plume : la démocratie communaliste vise la réduction du rôle de l’État, jusqu’à ce qu’il devienne obsolète et disparaisse (ce qui, soit dit entre parenthèses, était la position de Marx et d’Engels). 

Contre le capitalisme et le patriarcat
Le communalisme démocratique selon Öcalan se définit comme anticapitaliste : il aspire à un socialisme écologique et une économie axée sur la valeur d’usage et pas sur le profit. Mais il se définit aussi, et même avant tout, comme anti-patriarcat : le principe fondamental du socialisme, écrit-il, c’est de tuer le mâle dominant, ce qui signifie tuer la domination, l’inégalité et l’intolérance, ou encore, tuer le fascisme, la dictature et le despotisme, qui ont tous leur fondement dans l’asservissement des femmes. En d’autres termes : le niveau de liberté et d’égalité des femmes détermine la liberté et l’égalité de tous les autres secteurs de la société. La stratégie révolutionnaire repose donc, avant tout, sur l’auto-organisation des femmes, y compris pour leur autodéfense, sous forme de détachements militaires féminins. 
Beaucoup d’arguments de ce livre nous sont proches, d’autres peuvent nous dérouter ou surprendre. Comme le dit Olivier Besancenot dans son introduction : « J’espère que la lecture de cet ouvrage vous troublera autant que moi »… Raison de plus pour le lire !

Michael Lowy

Le sexisme, une affaire d’hommes dans Cheek Magazine

samedi 11 avril 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Cheek Magazine, mars 2020.

Résumé : Après la parution d’Une culture du viol à la française, l’autrice Valérie Rey-Robert (connue pour son blog Crêpe Georgette) a fait un constat : il n’y avait que très peu d’hommes aux rencontres organisées autour de son livre. Pourquoi les hommes se sentent-ils aussi peu investis ? Dans ce nouvel essai, l’autrice s’intéresse donc à la virilité : la manière dont elle se construit dès l’école, la culture qu’elle impose à l’échelle de la société et la manière dont on pourrait – enfin – en sortir.
Ce qu’on a aimé :  « On a souvent tendance à parler de “violences faites aux femmes” en oubliant les auteurs de ces violences », écrit Valérie Rey-Robert. Pendant plus de 200 pages, elle décortique avec des exemples issus de la sociologie, de ses cercles amicaux, de la pop culture ou de la vie politique, le culte de la virilité. Des blagues sur le viol au silence des alliés en passant par la rhétorique masculiniste, chaque réflexion démonte les rouages du système patriarcal. Son livre va bien plus loin que l’analyse et il offre des points très concrets pour répondre aux hommes qui croient au « sexisme inversé ». L’autrice pulvérise ainsi le fameux #NotAllMen que toutes les féministes ont déjà entendu au moins une fois et qui permet à un homme bien sous tous rapports de dire que le problème vient des autres. Les femmes ont-elles systématiquement la garde des enfants ? La masculinité est-elle « en crise » ? Le hashtag #MeToo a-t-il lancé une guerre contre les hommes ? En refermant cet essai, vous aurez de quoi argumenter sur toutes ces questions et vous pourrez montrer que le culte de la virilité engendre un système néfaste qui a des conséquences très réelles sur les femmes. À lire puis à offrir à tous les hommes autour de vous.

Pauline Le Gall

Canicule

mardi 7 avril 2020 :: Permalien

Canicule - illustration de Bruno Bartkowiak

Il y a quelques jours, Jean Stern, l’auteur de Mirage gay à Tel Aviv, nous a envoyé un court manuscrit relatant son hospitalisation à Tenon au cours de l’été 2003. Cet ouvrage écrit à la première personne, plaidoyer sensible en faveur de l’hôpital public, nous a semblé avoir une telle résonance que nous avons décidé de le publier dès maintenant. Nous mettons à libre disposition les fichiers ePub et PDF. Lisez, faites circuler !
Nous avons envoyé les fichiers à l’imprimerie coopérative Laballery (Clamecy). Le livre pourra être commandé dans toutes les librairies à la fin du confinement. Vous pouvez également le commander sur notre librairie en ligne dès maintenant, et nous soutenir.

L’Homme sans horizon dans Chroniques noir et rouge

mardi 7 avril 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Chroniques noir et rouge, numéro 1, mars 2020.

Il est loisible d’affirmer que le degré de liberté dont dispose un individu quelconque à une époque donnée se mesure à sa capacité à voir, par-delà ses préoccupations coutumières, un horizon, lointain ou non, mais vers lequel vont ses pensées les plus audacieuses et ses désirs les moins faciles à satisfaire. Cet horizon, ouverture vers le possible, qui après avoir été occultée par bien des écrans métaphysiques imposés par les religions toujours obscurantistes, a pu être désignée, à la suite de Thomas More, comme une utopie. Sous le voile de la fable, il s’est ainsi agi de dessiner les contours d’une société plus juste, de façon à interroger les consciences et à exalter les énergies collectives pour qu’elles fassent brèche dans l’accablante continuité historique. La fin du XVIIIe siècle et surtout les premières décades du XIXe siècle, avec Saint-Simon, Owen, Cabet et surtout Fourier ont diversement offert matière à rêver comment refonder une communauté humaine délivrée de ses habituels fléaux, à rêver certes, mais hélas sans clairement concevoir comment réaliser des projets parfois splendides. Aussi enchantées furent-elles, les fins manquèrent de moyens tout aussi enchanteurs pour déchirer le voile d’illusions autrement plus aliénantes dont disposent l’État et le capitalisme. La saisie et l’exercice d’autres moyens de mettre bas tout régime d’exploitation et de domination ont fait, on le sait, la force du mouvement ouvrier, tandis que la théorie et la critique de ces moyens oscillant entre la conquête du pouvoir politique et le bouleversement des conditions socio-économiques permettaient à ceux-ci de se réfléchir et de s’affiner dans une conscience de classe s’invitant dans le jeu dialectique entre sujet et objet : et de là les infortunes diverses depuis les désaccords entre Marx et Proudhon puis entre celui-là et Bakounine, qui n’ont pu que se figer en idéologies aussi pauvres en raison qu’en imagination, et parmi celles relevant du marxisme, un marxisme-léninisme de sinistre mémoire.

L’Histoire n’a d’intérêt que considérée en tant qu’histoire des révolutions. Moments de grand chambardement où lorsque tout (ou presque) déraille hors des voies admises ; le temps vécu bondit hors de sa morose quotidienneté sous l’impulsion de la fête révolutionnaire et se reconnait dans la reviviscence du mythe de l’âge d’or. L’image archaïque du paradis, trace immémoriale sans doute des sociétés antérieures à la division du travail, à l’invention de la propriété et des pouvoirs hiérarchisés, se renoue dans celle du « temps des cerises » qui assigne au devenir la jouissance d’un printemps enfin maître de sa lumière. Cela qui alimente l’imaginaire utopique est certes ce dont se nourrit la vieille taupe qui sape en de moins heureuses époques les fondations de l’édifice social. Bel animal que cet emblème de la négativité, mais auquel fut abusivement prêté par les tenants du matérialisme dialectique le charme quasi-diabolique de représenter à la fois l’œuvre d’émancipation du prolétariat et son agent incarné par un parti s’auto-instituant porte-parole de la conscience de classe. C’est que l’imagination d’un autre futur, d’une communauté humaine réalisant sa liberté, déborde heureusement toute conception téléologique de l’histoire, toute idée d’une progression, qu’elle se fasse par bonds ou par glissades, tout fantasme d’un inéluctable progrès historique. Forte de ses propres excès, l’imagination, qui seule sait conjuguer le temps du mythe et la projection utopique, n’a de cesse d’interroger et de bousculer les outils conceptuels de la raison, même aiguisés au service des luttes révolutionnaires. Et c’est elle, cette imagination créatrice, qui, tandis que les fenêtres de l’espérance utopique ont été brutalement refermées l’une après l’autre au cours des deux derniers siècles, garde trace des nouveaux paysages toujours trop brièvement entrevus pour, comme dans le travail du rêve et l’expression artistique du merveilleux, en décrypter, lire et enluminer les perspectives inabouties, de façon à ce que d’autres mouvements de révolte en poursuivent le tracé, pourvu seulement qu’il traverse et enflamme jusqu’au cœur les sensibilités collectives jusque dans leur quotidienneté.

Ces fenêtres que bien sûr le décervelage contemporain s’est acharné à occulter derrière rideaux et volets de ferraille et de vermine, Joël Gayraud, posté comme théoriquement sous leurs ombres portées, a dans son nouveau livre L’Homme sans horizon voulu sur le plan philosophique en quelque sorte faire pièce au mauvais vitrier de Baudelaire. « La vie en beau ! la vie en beau ! » La fureur du poète l’accompagne secrètement dans sa dénonciation de la disparition de l’horizon utopique émancipateur organisée systématiquement (si tant est que tel esprit de système soit source de profit pour la déraison capitaliste) depuis quelques décennies. La tyrannie du Spectacle n’a pas été ébranlée par Mai 68. Et depuis 1945, le monstrueux développement du complexe militaro-industriel s’appuyant sur l’énergie nucléaire a quelque peu oblitéré la possibilité d’une révolution commençant de façon traditionnelle par une grève générale et des insurrections. L’incessant développement technologique permettant un contrôle des populations, ridiculisant les tragiques prouesses de la Gestapo ou du Guépéou, s’aggrave du fait que les individus participent librement à leur propre surveillance en achetant eux-mêmes leurs propres chaînes et en s’enfermant dans leurs réseaux virtuels. De ce constat amer, que faire sinon désespérer du désespoir lui-même ?

S’aidant de la théorie critique de l’école de Francfort, des travaux d’Ernst Bloch aussi bien que de Guy Debord mais également impulsé par la rageuse sensibilité surréaliste, Joël Gayraud en appelle à l’imagination, reine des facultés, pour qu’en ces jours – où tout de même ce pays traverse quelques belles agitations ! – les mécanismes dystopiques mis en place n’aliènent pas tout à fait l’expérience du réel. C’est en s’aventurant au-delà du Politique et en mettant fin au despotisme de l’Économie, en renouant avec la nature un accord rétablissant l’antique analogie entre le macrocosme et le microcosme qui est notre corps et notre subjectivité, que les révoltés d’aujourd’hui et de demain auront à inventer, en toute urgence, « l’éclair de l’utopie (qui) déchire le voile noir qui s’est abattu sur l’horizon ».

Guy Girard

Propos d’un agitateur sur Bibliothèque Fahrenheit 451

lundi 6 avril 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Bibliothèque Fahrenheit 451, 10 novembre 2016.

Ricardo Flores Magón est l’un des principaux leaders et théoriciens de la révolution mexicaine qui éclata le 20 novembre 1910. Refusant tout compromis avec le pouvoir quel qu’il soit, il expose ses grands principes dans les journaux qu’il dirige, sous forme de textes courts, allégoriques et didactiques, adressés à un peuple essentiellement analphabète.
Ses brefs pamphlets mettent souvent en scène des personnages qui incarnent des idées. Dans « Le Droit à la révolte », par exemple, le Vieux Vautour, symbolisant le tyran, observe sans comprendre un géant qui se dresse, représentant l’insurrection.
Dans un autre, il charge son Voleur d’expliquer au Mendiant qu’en violant les lois promulguées par la bourgeoisie, il ne fait que rétablir la justice bafouée par les riches, qui volent les autres au nom de la loi.
C’est la Machine qui va inciter l’ouvrier à s’emparer d’elle au lieu de se lamenter, à travailler pour lui et les siens plutôt que pour le « vampire qui [lui] suce le sang ».
Ricardo Flores Magón affirme que c’est une escroquerie de faire miroiter aux travailleurs l’émancipation du prolétariat par voie légale. Il revendique l’expropriation des nantis comme condition essentielle à l’émancipation de l’humanité. Il réclame l’abolition de la propriété individuelle. Il refuse l’accession au pouvoir, considérant que « les gouvernements sont les chiens de garde des classes possédantes […] et les bourreaux des droits intangibles du prolétariat ». Pour lui, la vraie révolution c’est « celle qui a surgi pour exterminer les riches et abolir leurs lois ; celle qui incendie les églises et brûle les registre de propriété ; celle qui arrache la terre des mains du propriétaire pour en faire le bien de tous ».
Ces textes allégoriques ont inspiré le mouvement zapatiste et les insurgés de la récente commune d’Oaxaca. On retrouve d’ailleurs sous la plume de Marcos la même verve et la même volonté pédagogique.
Leur lecture est vivifiante.
« La révolte, c’est la vie ; et la soumission c’est la mort. »