Éditions Libertalia
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mercredi 6 mars 2019 :: Permalien
« Procès Baupin, “ Ligue du Lol ”, agressions sexuelles chez les jeunes communistes : le premier livre de Valérie Rey-Robert, Une culture du viol à la française, du troussage de domestique à la liberté d’importuner, paraît dans un contexte très chargé. Radio Parleur a rencontré cette militante féministe, connue pour son blog Crêpe Georgette. » (5 mars 2019)
radioparleur.net/2019/03/05/valerie-rey-robert-viol-livre/
mardi 5 mars 2019 :: Permalien
Dominique Vidal était l’invité de la Midinale de Regards du 5 mars 2019 autour de la question « antisionisme = antisémitisme ? » :
www.youtube.com/watch ?v=FWgbnKl8Bnk
samedi 2 mars 2019 :: Permalien
Publié sur le blog « Des livres rances », 2 mars 2019.
Le temps de me recoiffer et je suis à vous. En effet, ce livre de l’auteure algérienne Sarah Haidar est une tempête sur (et sous) le crâne. Début des hostilités avec cet avertissement « À la littérature, sublime salope sans scrupules ». Cet ovni littéraire est une polyphonie de monologues poétiques et violents. Une auteure publique, noire, alcoolique, « nègre » d’écrivains en mal d’inspiration conte ses blessures par allusions, hallucinations. Un employeur surnommé Chrysanthème, puis une rencontre avec un homme, pédophile et assassin d’enfants. Séquence dégoût total.
Puis tout un peuple va faire écho à l’auteure publique, va prendre la parole, divination de la littérature, son poids, son influence, son pouvoir. Prendre le train en marche : « Je n’ai pas assisté à mon enfance », dans les bas-fonds infestés de rats, araignées, mites et autres cafards. Récit halluciné, violence encore, impitoyable. Sans l’écriture nous ne sommes rien. Avec elle, elle seule survivra, et encore. Le couple symbole du nihilisme : « La rencontre entre un homme et une femme se fait toujours dans la violence car elle n’est rien d’autre qu’une intrusion intolérable dans l’univers de l’autre, une atteinte à sa solitude, un viol, une humiliation. C’est sans doute pour cela qu’il me faut à présent vivre avec lui quelques minutes de rejet, une possibilité de recul, trouver le moyen d’anéantir ce festival de délicieux cauchemars que me font miroiter ses yeux et son rictus. Je suis, comme lui, au seuil de l’enfer ; nous hésitons ensemble à y accéder tout en sachant que ne pas le faire nous ferait retomber dans la même linéarité insupportable. »
Certains moments sont rudes, insoutenables, la torture d’enfants, par tous les bords, de toutes les manières. Oui mais l’auteure publique a publié un livre sur la pédophilie, les lecteurs s’en sont imprégnés, se sont pris au jeu. La limite du supportable n’existe plus. Les barrières sautent, dynamitage du seuil de tolérance.
Ce texte est d’une agressivité sans nom. Un extrait le résume bien mieux que je ne pourrais : « Des créatures improbables venaient peupler le visage d’une nouvelle vie, de la dégénérescence minable d’un texte provisoire. Avec elle, l’écriture était affranchie de ses lâches virgules et de ses minables suspensions car elle venait de découvrir son essence inconditionnelle : jamais de début ni de fin mais un éternel tournoiement autour du néant de riens et vérités fatales ».
Lucidité, voire inquiétude de l’auteure qui, dans un dialogue entre l’auteure publique du récit et son éditeur, imagine ceci :
« – Les textes ne vous plaisent-ils pas ?
– Pour qu’ils me plaisent, faudrait d’abord que je les comprenne ! Or, ce que vous m’avez balancé, ce n’est rien d’autre qu’un amas de charabia qui n’a du français que l’alphabet, et encore ! Qui va vous lire des immondices pareilles ? Vous étiez sous-effet quand vous les avez écrits ?
– À vrai dire, je n’en suis pas l’auteur ; je les ai trouvés dans un cimetière. »
Sarah Haidar, féministe libertaire, est comparée à Lautréamont, mais il n’est pas interdit de penser au marquis de Sade, voire plus près de nous à Marcel Moreau ou à certains textes sulfureux de Jacques Chessex.
Qu’on ne s’y trompe pas : derrière ces enchevêtrements d’images terrifiantes dans un univers presque gothique, c’est bien un hommage appuyé à la littérature dont il est ici question. Les mots claquent, errants abandonnés, orphelins, sans but. L’écriture y est très exigeante. C’est aussi une ode à la Terre, Dame souillée par l’humain et par ses dieux destructeurs. Une lecture qui laisse K.O., roman poésie (ou récit halluciné) écrit en 2013 et sorti fin 2018 en France chez les immanquables Éditions Libertalia.
vendredi 1er mars 2019 :: Permalien
Publié dans Libération, 1er mars 2019.
Dans un essai, la militante féministe Valérie Rey-Robert dénonce la culture du viol historiquement ancrée dans notre société et confortée par une prétendue tradition galante.
C’était mi-février. Sur le plateau de l’émission Touche pas à mon poste, Jean-Marie Bigard se lance dans une « blague » sur le viol : l’histoire d’une femme consultant un médecin pour une déchirure, et à qui le praticien demande de se dévêtir. « Et là, il la chope par le chignon, il défouraille, il l’attrape par les hanches et il l’encule », enchaîne Bigard, mime à l’appui… À défaut d’être drôle, cette séquence atterrante, qui a suscité l’ire de nombreuses féministes et une douzaine de signalements au Conseil supérieur de l’audiovisuel, illustre à merveille le poids de la culture du viol dans la société française.
Dans un essai très documenté paru jeudi dernier, la militante féministe Valérie Rey-Robert appelle à prendre conscience de l’ampleur de ce phénomène, décrit aux États-Unis dès les années 1970 et qui désigne un environnement dans lequel les violences sexuelles sont banalisées. Pis, pour l’auteure du blog « Crêpe Georgette », devenu en dix ans une référence en matière de féminisme et de problématiques liées au genre, « la vérité, aussi culpabilisante soit-elle, est que les violences sexuelles ne sont pas un problème pour nous ». Alors l’auteure appelle à regarder la réalité en face, chiffres à l’appui. Selon les données croisées de l’Insee et de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, chaque année en France, 84 000 femmes et 14 000 hommes de 18 à 75 ans sont victimes de viol ou de tentative de viol. Des données en-deçà de la réalité, bien des viols n’étant jamais déclarés. Seule une victime sur dix porte plainte, et une plainte sur dix aboutit à une condamnation. Pour Valérie Rey-Robert, il y a urgence à agir. Seulement voilà, à l’en croire, « la lutte contre les violences sexuelles est possible à condition de revoir un peu nos idées reçues sur le viol ». Alors, au fil de ces 300 pages, Valérie Rey-Robert s’applique à décortiquer ces préjugés qui contribuent à culpabiliser les victimes et déresponsabiliser les coupables : trop souvent encore, circule l’idée que les victimes l’auraient bien cherché, ou que les violeurs auraient agi en raison de pulsions masculines incontrôlables. La preuve ? Selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos en décembre 2015 pour l’association Mémoire traumatique et victimologie, pour 40 % des Français, la responsabilité d’un violeur est atténuée si la victime a eu une attitude jugée « provocante » en public ; et pour près d’un tiers des Français (29 %), les hommes sont plus susceptibles de commettre ce genre d’actes « à cause de la testostérone, qui rend leur sexualité incontrôlable ». La méconnaissance de la réalité des faits est telle que 16 % des interrogés pensent qu’il est rare qu’un violeur s’attaque à quelqu’un qu’il connaît… Alors que c’est le cas neuf fois sur dix. Pis, pour 30 % des 18-24 ans, une femme peut prendre du plaisir à être forcée à un rapport sexuel.
Pour Valérie Rey-Robert, il y a une « manière très française d’envisager les violences sexuelles ». Et même, une « culture du viol à la française ». Pour comprendre ses racines et mieux l’endiguer, l’auteure remonte l’histoire, de la Bible à l’affaire DSK, et fournit des pistes pour sortir de cette dangereuse impasse. Entretien.
Comment expliquer notre difficulté à accepter la réalité des violences sexuelles dans l’Hexagone ?
On a en quelque sorte construit une image type des viols : comme si le « viol idéal » ne pouvait être que le fait de monstres, de satyres au teint mat et aux pieds de bouc… Résultat : tout acte commis par un homme lambda, sans arme ou que la victime connaîtrait, n’est pas considéré comme un « vrai viol ». Ce sont des stratégies d’« altérisation » : le violeur, c’est l’autre. On a du mal à considérer qu’il puisse être un ami, un voisin, un mari. Cela se ressent dans le grand hiatus entre les déclarations générales sur le viol et les cas concrets : dans l’absolu, les gens n’ont pas de propos assez horribles pour condamner les viols mais dès qu’il s’agit de cas concrets, le discours change : on se demandera ce que faisait une femme dehors seule à une heure tardive, ou ce qu’elle portait, ou à un homme pourquoi il ne s’est pas défendu… On a beaucoup de mal à admettre que l’on a des préjugés sur le viol. Par exemple, il y a encore 10 % des Français qui considèrent qu’un homme ne peut pas être violé. Il est grand temps de parvenir à une prise de conscience.
Est-ce qu’elle n’a pas eu lieu avec les mouvements #MeToo et #Balancetonporc ?
C’est encore un peu tôt pour le dire. Ce qui est certain en revanche, c’est que cette période a fait remonter des arguments similaires à ceux brandis au moment de l’affaire DSK. Ce qui était surprenant, ce n’était pas tant de voir des gens le défendre, mais plutôt les excuses qu’ils invoquaient, à l’image du tristement célèbre « troussage de domestique ». Ont aussi été convoqués des siècles de littérature courtoise ou d’histoire galante, quitte à les déformer, ou les idéaliser, alors qu’on évoquait des faits extrêmement graves.
Cette idée d’une spécificité française dans les relations homme-femme a ressurgi à l’automne 2017 avec #MeToo. Une nouvelle fois, certains ont argué que les féministes ne comprenaient pas que la France serait le pays qui aurait inventé une certaine façon de pratiquer l’amour, fondée sur la domination masculine et donc sur des relations par essence asymétriques, empreints d’une certaine violence. La tribune parue à l’époque dans Le Monde revendiquant une « liberté d’importuner » illustrait cela très bien. Pour autant, il ne faudrait rien y changer, parce que cette spécificité serait un patrimoine culturel enviable, dont on devrait s’enorgueillir. La culture du viol à la française, c’est exactement ça. J’ai aussi été très frappée par la comparaison qui a été faite au moment de #Balancetonporc avec les collabos qui livraient les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme si dénoncer les violences sexuelles ou une certaine manière d’envisager les rapports amoureux revenait à trahir la nation !
Les femmes peuvent aussi véhiculer des stéréotypes sans s’en rendre compte…
On baigne tous et toutes dans la culture du viol, donc il est évident qu’une femme à qui on aurait inculqué l’idée que les viols sont forcément commis par des inconnus avec un couteau dans un parking, si elle est violée par son petit ami, va avoir tendance à minimiser. Cela explique entre autres pourquoi les victimes ne portent pas plainte. J’ai d’ailleurs très rarement rencontré des victimes qui exagèrent ce qu’elles ont vécu, bien au contraire. Je me souviens de gens violés étant enfant, qui avaient pourtant grandi et réfléchi sur le sujet, et continuaient de minimiser ou de culpabiliser. C’est un sentiment très difficile à combattre.
Comment agir, justement ?
D’abord, en prenant conscience de nos idées reçues, j’insiste là-dessus. Ensuite, il faut en finir avec l’idée qu’il y aurait des petits et des grands combats féministes, dont le viol ferait partie. Car tout est lié : dès lors qu’on commence à éduquer les enfants de façon genrée, dans l’idée que les petits garçons valent plus que les petites filles, mais qu’une petite fille doit les aider, se maintenir en retrait, ne pas manifester trop ses envies ou ses désirs, on prépare déjà une société faite de violences sexuelles. On devrait aussi repenser la place des femmes dans l’espace public. À force de leur répéter que si elles sortent tard, s’habillent court, ou que si elles prennent les transports en commun, elles vont être violées, elles finissent par adopter des stratégies d’autodéfense ou d’évitement, comme limiter leur liberté de mouvement ou moins sortir.
Vous exhortez aussi à mener des actions de prévention, pas seulement à cibler les suites des violences sexuelles ?
C’est essentiel. L’une des premières pistes pourrait consister à financer des recherches sur la sexualité et sur les violences sexuelles, dont on manque cruellement en France. À l’inverse, aux États-Unis, des travaux ont été menés pour comprendre la manière dont les hommes reçoivent les modes de négation exprimés par les femmes, lorsqu’ils ne sont pas formulés de manière directe, mais à travers une périphrase par exemple. Il en est ressorti que les hommes comprennent très bien ces formulations, tant qu’il ne s’agit pas du domaine sexuel. Là, le souci n’est pas de comprendre, mais bien d’accepter la négation. Ce genre d’études permet de mieux cibler les campagnes de prévention, remettant en cause celles fondées sur des slogans comme « non c’est non ». Au Canada, des résultats ont été obtenus avec des messages comme « vous ne voulez pas être ce type-là ». Une des idées reçues les plus prégnantes sur le viol est qu’il serait inévitable. Comme si de la même manière qu’on ne peut empêcher la pluie de tomber, on ne pouvait empêcher les hommes de violer. Comme si les femmes n’avaient qu’à s’y faire. Il faut déconstruire cette idée, parce que rien n’oblige évidemment les hommes à violer.
Virginie Ballet
vendredi 1er mars 2019 :: Permalien
Paru dans L’Humanité du 28 février 2019.
D’elle, on retient ce geste de refus, de ceux qui fixent dans l’histoire des points de basculement. Le 1er décembre 1955, à Montgomery, Alabama, au sud des États-Unis, une couturière de 42 ans, Rosa Parks, assise à l’arrière d’un bus, là où l’usage et les règles racistes reléguaient les Noirs, refusait de céder sa place à un Blanc. Son arrestation : une flammèche qui devait embraser les consciences, au point que l’historien Howard Zinn remarque, dans son Histoire populaire des États-Unis, que « Montgomery allait servir de modèle au vaste mouvement de protestation qui secouerait le Sud pendant les dix années suivantes ». Du boycott des bus de Montgomery à la marche sur Washington, sept ans plus tard, un puissant mouvement de libération prenait corps. L’acte singulier de cette femme noire en fut l’un des déclencheurs, des catalyseurs. Dans la mémoire du combat pour les droits civiques, une image a figé Rosa Parks en icône muette : la photographie reconstituant un an plus tard la scène du bus, alors que la Cour suprême venait de casser les lois ségrégationnistes dans les transports. Mais par-delà l’emblème, qui est Rosa Parks ? Les éditions Libertalia publient son autobiographie, inédite en France, dans une traduction de Julien Bordier. Coécrit en 1992 avec le journaliste noir américain Jim Haskins, ce patient récit redonne chair et vie à la militante résolue qu’elle fut tout au long de sa vie.
En se racontant, cette arrière-petite-fille d’esclave brosse tout à la fois une fresque familiale et un saisissant tableau de la vie des Noirs dans le sud des États-Unis, dans la première moitié du XXe siècle, entre exploitation, humiliations, élans de révolte et descentes meurtrières du Ku Klux Klan. Son cheminement est celui d’une femme du peuple née à l’aube du siècle, en 1913, tôt engagée dans le mouvement naissant pour l’égalité des droits, pour l’abolition du racisme institutionnel. Au début des années 1940, elle fut parmi les premières femmes à rejoindre les rangs de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP, Association nationale pour la promotion des gens de couleur). « Pendant la moitié de ma vie, j’ai vu s’appliquer des lois et des usages qui séparaient les Africains-Américains et les Blancs dans le sud de ce pays. Des lois et des usages qui autorisaient les Blancs à traiter les Noirs sans aucun respect. Je n’ai jamais pensé que c’était juste et dès ma plus tendre enfance j’ai tenté de m’opposer à ce manque de respect », résume-t-elle.
Le geste d’insoumission de Rosa Parks fut un acte politique réfléchi, inscrit dans un combat collectif et non la simple manifestation d’exaspération isolée d’une travailleuse fatiguée. Elle-même s’en souvient en ces termes : « S’il y avait bien une chose qui me fatiguait, c’était de courber l’échine. » En 1964 et 1965, la loi sur les droits civiques puis celle sur le droit de vote furent promulguées. Rosa Parks, elle, a continué à militer sans relâche. Sans jamais s’habituer, de son propre aveu, au « symbole » qu’elle est devenue.
Rosa Moussaoui