Le blog des éditions Libertalia

Cinq questions à Guillaume Davranche

mercredi 26 novembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié sur le site Questions de classe(s), novembre 2014.

Cinq questions
à Guillaume Davranche

C’est un livre colossal de 544 pages et plus d’un million de signes portant sur la période 1909-1914. D’une grande érudition, mais très accessible. On peut le lire intégralement ou ne se référer qu’à certains thèmes clairement identifiables grâce à un index minutieux. Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre est un événement éditorial (en librairie depuis le 20 novembre). Nous avons souhaité poser quelques questions à son auteur, par ailleurs syndicaliste et militant libertaire.

Tu viens de publier Trop jeunes pour mourir, un travail considérable coédité par Libertalia et l’Insomniaque. Mais en cette année 2014, un autre ouvrage auquel tu as largement participé a été publié : le Maitron des anarchistes (éditions de l’Atelier). Quel est le lien entre les deux ? Comment t’es venu l’idée de t’intéresser au mouvement ouvrier et révolutionnaire d’avant-guerre ? Concrètement, combien de temps de travail t’a demandé cet ouvrage et comment as-tu procédé ?

Le travail sur le livre a précédé celui sur le dictionnaire. Vers 2006, j’avais déjà accumulé des matériaux pour écrire l’histoire de la Fédération communiste anarchiste (FCA) quand, sans voir venir le coup, j’ai été happé par le projet de Dictionnaire biographique du mouvement libertaire français, plus connu sous le nom de Maitron des anarchistes. J’ai mené les deux en parallèle, l’un nourrissant l’autre. Pour le dico, j’ai donc rédigé ou révisé, entre autres, à peu près toutes les notices biographiques de personnages de la période 1909-1914, qu’on retrouve tous dans mon livre. Mais, hormis Anthony Lorry qui soupçonnait quelque chose, mes camarades du Maitron ignoraient que je rédigeais un bouquin en parallèle. Je préférais le taire, ne sachant pas si je parviendrais un jour à achever un tel morceau !
Au total, cela représente environ huit ans de labeur, sur mon temps libre, employant mes périodes de chômage à faire des recherches aux archives de la police, aux Archives nationales ou à la BNF… Je rédigeais le soir, la nuit, ou tôt le matin. Tout cela, au début, sans vraiment de méthode (j’ai œuvré hors du cadre universitaire, auquel je suis étranger). Ce n’est que progressivement que l’architecture du livre s’est élaborée dans mon esprit, au fur et à mesure du défrichage des archives…
En effet, au départ, je ne visais pas autre chose qu’une modeste histoire de la FCA. Mais je me suis vite rendu compte que c’était impossible sans faire, en même temps, une histoire du mouvement syndical sur cette période – ça tombait bien, elle était très mal connue. Enfin, pour ne pas laisser ces acteurs hors sol, je me suis résolu à élargir encore le champ, en expliquant le contexte belliciste de l’époque. Arrivé à ce stade, je pense que j’étais quelque peu possédé par mon sujet, fasciné par l’univers que je découvrais. Alors, par goût du récit, j’ai fini par truffer le livre d’épisodes connexes – les grandes grèves, les « affaires » Aernoult-Rousset, Ferrer, Bonnot, Bintz, la fondation de La Bataille syndicaliste, l’« excommunication » d’Alphonse Merrheim… – et d’études complémentaires – sur les femmes, sur la « main-d’œuvre étrangère ». Le résultat final, c’est cet ouvrage un peu baroque, multipliant les entrées de lecture, tout en conservant un fil rouge (la FCA) et une toile de fond homogène (la montée vers la guerre).

Ton livre est illustré et dresse le portrait de nombreux militants. Quelles sont les figures qui t’ont le plus marqué ?

Il y en a trois sortes. Primo, il y a les militants quasi inconnus que j’ai découverts, comme Thérèse Taugourdeau (une oratrice ouvrière, couturière syndicaliste et militante de la FCA) et Henry Combes (un militant doctrinaire assez désagréable mais qui a su, au bon moment, pousser le mouvement anarchiste à s’émanciper de Gustave Hervé).
Secundo, il y a les gens connus que l’on voit sous un nouveau jour. Louis Lecoin, par exemple, n’avait à l’époque rien du doux apôtre non-violent qu’il sera dans les années 1960. C’était une tête brûlée de première, un antimilitariste et révolutionnaire fanatique ! Mais je pense aussi à Pierre Martin, un anarchiste de la vieille école, rugueux prolétaire autodidacte, qui présida au tournant anarchiste-communiste du Libertaire en 1910.
Tertio, il y a des figures auxquelles j’ai consacré un portrait, tant ils me semblaient exprimer quelque chose de leur époque : Gustave Hervé (le directeur de La Guerre sociale), Almereyda (son « lieutenant », créateur des Jeunes Gardes), Georges Yvetot (le champion du courant anarchiste à la CGT), Émile Janvion (eh oui, ce triste sire, mais qui a joué un vrai rôle), Émile Pouget (qui aborde là sa dernière période militante, en tant que chroniqueur syndical à La Guerre sociale).

Quelle était la place des femmes au sein des organisations révolutionnaires ?

Très réduite ! La société de l’époque était encore plus précaire et patriarcale qu’aujourd’hui, ce qui limitait d’autant l’engagement des femmes. À la double journée de travail – salarié puis domestique – qui constitue toujours un frein aujourd’hui, s’ajoutaient les « convenances » : une femme craignait pour sa réputation si elle se rendait à une réunion d’hommes. Enfin, dans la mentalité commune, la chose publique restait une affaire d’hommes, et peu de femmes osaient s’y aventurer.
Il y avait pourtant des syndicalistes et, parmi elles, si on veut caricaturer, des institutrices socialistes et des couturières anarchistes. On ne possède hélas qu’une information très fragmentaire à leur sujet. La police ne s’intéressait guère aux femmes, et elles sont quasi absentes des rapports de mouchards. Celles qui ont pu être identifiées sont souvent les épouses ou les compagnes de militants connus…
Je cite là un phénomène bien connu des historiens : on a beaucoup plus de mal à cerner les actrices que les acteurs du passé.
Malgré tout, je suis heureux d’avoir mis au jour une structure quasi inconnue : le Comité féminin contre la loi Berry-Millerand, les bagnes militaires et toutes les iniquités sociales, actif en 1912-1913 et animé entre autres par Thérèse Taugourdeau, une couturière de la FCA. C’est un des rares exemples de groupes féminins ouvriers de l’époque, et le livre décrit son action et son originalité.

À l’heure du tout-numérique, pourrais-tu revenir sur le poids et la dynamique de la presse militante de l’époque ?

C’était un poids considérable. À l’époque, les organisations ne connaissaient pas la mailing-list, certes, mais pas non plus la « circulaire interne ». Tout passait par un canal public, celui la presse, qui drainait toute l’information, les rendez-vous, les petites annonces entre groupes, les débats, les mises en causes, les controverses…
Avant la création de la FCA fin 1910, le mouvement anarchiste était ainsi essentiellement organisé par quatre hebdomadaires : La Guerre sociale, Les Temps nouveaux, Le Libertaire et L’Anarchie. C’était une forme d’organisation non démocratique, puisque ces journaux étaient sous le contrôle privatif de la petite équipe qui les détenait, mais c’était néanmoins une forme d’organisation.
Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’en 1909-1910, le journal qui donnait le la dans le mouvement anarchiste n’était pas à proprement parler anarchiste, puisqu’il s’agissait de La Guerre sociale de Gustave Hervé. Mais avec son professionnalisme, son prestige, ses 50 000 ventes, il marginalisait les titres historiques tels que Les Temps nouveaux et Le Libertaire, qui ne vendaient que 5 000 exemplaires chaque semaine.
En 1911, les militants anarchistes et les dirigeants de la CGT auront à cœur de réduire leur dépendance vis-à-vis de La Guerre sociale, parce qu’ils n’avaient pas confiance en Gustave Hervé. C’est une des raisons du lancement du quotidien La Bataille syndicaliste. Ensuite, en 1912, avec le discrédit d’Hervé, Le Libertaire, devenu l’organe quasi officiel de la FCA, supplantera La Guerre sociale comme porte-voix des anarchistes révolutionnaires. Fin 1913, l’organisation aura en outre rassemblé toute une séries de titres locaux (La Cravache à Reims, Le Combat à Lille, L’Avant-Garde à Lens, La Vrille à Épinal, Germinal à Amiens…) et d’organes de tendance (comme Le Mouvement anarchiste, incarnant la gauche de la FCA, ou Le Réveil anarchiste ouvrier, proche de la direction de la CGT).

Comment s’organisaient politiquement et syndicalement les enseignants et les enseignantes ? On dit souvent que ce sont les hussards noirs de la République qui ont préparé la « revanche » en inculquant des valeurs cocardières et bellicistes aux enfants. Ont-ils quand même eu une place dans les résistances à la guerre qui venait ?

Certes, pour la grande majorité, c’est vrai, mais il y eut aussi eu une minorité syndicaliste à contre-courant !
En 1905, une Fédération nationale des syndicats d’instituteurs et d’institutrices a été constituée par de jeunes enseignants à l’esprit frondeur, qui publiaient une revue qui entrera dans l’Histoire : L’École émancipée. En 1907, la fédération s’est adossée à la CGT, sans pouvoir y adhérer officiellement : à l’époque, la syndicalisation des fonctionnaires était illégale, quoique tolérée, et les instituteurs évitaient de provoquer les pouvoirs publics.
Cependant, le congrès des syndicats d’instituteurs, les 16 et 17 août 1912 à Chambéry, fit grand bruit en votant la mise en place d’une caisse du Sou du soldat. Très répandu parmi les syndicats révolutionnaires, le Sou du soldat consistait à adresser une aide monétaire aux jeunes syndiqués durant leur service militaire – une façon de maintenir le lien avec leur organisation de classe. Mais le Sou du soldat était très mal vu des pouvoirs publics, qui y voyaient (souvent à juste titre) un moyen de propagande antimilitariste à l’intérieur des casernes. Le Temps se scandalisa donc de voir naître un foyer de désagrégation nationale au cœur de l’Instruction publique, et le gouvernement prononça la dissolution des syndicats d’instituteurs. Certains capitulèrent, d’autres résistèrent et posent des recours en justice. Mais globalement, ils cherchèrent à montrer patte blanche, en récusant l’antipatriotisme dont on les accusait. Cela peut s’expliquer par le fait que chez les instituteurs, de nombreux syndicalistes étaient également encartés au PS.
Néanmoins, leur combativité impressionna plutôt favorablement la direction de la CGT, qui les mit à l’honneur au congrès confédéral du Havre, en septembre 1912 – cela agaça d’ailleurs certains anarchistes qui, par ouvriérisme, ne croyaient guère à la flamme révolutionnaire des fonctionnaires. Pourtant, durant la Grande Guerre, la Fédération des instituteurs sera une des premières, avec celle des Métaux, à relever le drapeau du pacifisme et à s’opposer à l’Union sacrée !

Propos recueillis par Jacques Collin

L’École des barricades, dans la revue Silence

mardi 25 novembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique de L’École des barricades (Grégory Chambat), parue dans la revue Silence, n° 429, décembre 2014.

« En étant prof, j’étais devenue agent d’un système qui favorise les classes dominantes » (Noëlle de Smet). En 25 exemples et textes pris entre 1789 et 2014, ce livre, rédigé par des membres de la revue anarchiste N’Autre École, entend nous faire visiter des voix discordantes qui ont plaidé pour une vision de l’école comme lieu d’émancipation personnelle, sociale et politique. Qui n’oublie pas que « pour comprendre le monde il faut le transformer, et pour le transformer, il faut le comprendre ». On y croise la pédagogie d’action directe, Simone Weil, on découvre l’expérience des écoles populaires kanakes et zapatistes… Les chapitres sur l’action de Noëlle de Smet et la réflexion de Charlotte Nordmann sont particulièrement stimulants. Pour le reste, on regrettera que ne soient présentées, très brièvement, que des déclarations d’intention théoriques et presque aucun exemple pratique.

G.G.

L’aide sociale à la presse (caniveau)

mardi 25 novembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique de Éditocrates sous perfusion par le blog Un chiffon rouge, datée du 9 novembre 2014.

L’aide sociale à la presse (caniveau)

Je viens de lire Sébastien Fontenelle : Éditocrates sous perfusion (Libertalia, 2014). 
Nous sommes abreuvés au quotidien d’informations plus ou moins fiables provenant toutes du même moule libéral : trop d’assistanat, l’État providence doit faire des économies, etc.
 Si l’on y prend pas garde, il n’y a pas d’alternative à ce schéma, apparemment peu usé, qui nous « informe » du matin au soir. Que ce soit dans les journaux, à la télé ou à la radio, ce sont les mêmes discours, faits d’ailleurs par les mêmes gens, largement issus de la presse écrite privée mais intervenant aussi sur les chaînes publiques.
 Dans son livre, Fontenelle raconte l’histoire des subventions dont cette presse écrite privée bénéficie, comment et depuis quand, les différentes réformes dont elle a bénéficié alors que les différents rapports de contrôle de la cour des comptes montraient l’inefficacité de ces subsides.
 Une chose est certaine, et le référendum de 2005 en a été le parfait exemple, le rapport entre le citoyen et l’information a changé. Le burin et le marteau ne suffisent pas à lui inculquer l’information libérale pourtant généreuse (puisque subventionnée ?).

Pourtant, ces intellectuels de haute volée profitent sciemment, usent et abusent du service public pour répéter inlassablement les mêmes fadaises. Ces types sont tout de même les seuls donnant leur avis sur la politique de l’État à la plus grande partie des gens, celle qui ne cherche pas à s’informer (vraiment).
Un coup d’arrêt est nécessaire. Ce sont nos impôts qui les subventionnent, ce sont nos impôts qui leur donnent moult occasions de déverser leur haine de l’impôt.
 Il faut créer un observatoire citoyen de regard d’utilisation des subventions à la presse et de la redevance, une association qui passerait au crible non seulement ce que nous versons, mais aussi ce que nous donne en retour subventions et redevance. Il faudra aussi réclamer un droit de réponse à chaque dénonciation de l’assistanat par ces prêcheurs de la religion capitaliste.
Je sais, faut que, y’aura qu’à. En attendant, je balance une idée sur le Net, voilà.

Papadakis

Les Marchands de peur dans Alternative libertaire

mercredi 19 novembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —
Les Marchands de peur - illustration de Bruno Bartkowiak

Chronique parue dans Alternative libertaire (novembre 2014).

En 2011, Cuervo chroniquait déjà dans ces pages la première édition de ce petit livre salutaire qui est aujourd’hui toujours d’actualité et qui a d’ailleurs été réédité en mai 2013 dans une édition augmentée.

Membre du PS jusqu’en 1994, Alain Bauer devient un tenant de l’idéologie sécuritaire lors d’un séjour aux États-Unis. Il rassemble des intellectuels et professionnels issus de la gauche anticommuniste, de l’extrême droite des années 1960, des droites ultralibérales et néoconservatrices. Son arrivée à la tête du Grand Orient de France en 2000 élargit son réseau aux dirigeants économiques et politiques.

L’idée de base est que dorénavant, la criminalité prend des formes multiples, sans direction repérable. Ce caractère insaisissable permet de designer comme ennemi tout individu ou groupe tant soit peu contestataire. On comprend ce que les thèmes sécuritaires ont d’artificiel.

Bauer a créé sa propre société de sécurité AB Associates. Juges et parties, lui et sa bande manœuvrent pour jouer le double rôle d’experts et de prestataires. Un marché du sécuritaire se crée de lui-même, par la multiplication des « études » sur les taux de délinquance, et le déploiement de forces policières provocatrices dans les quartiers populaires. Parallèlement, Bauer s’emploie à conquérir une légitimité intellectuelle. Par la création ou le noyautage de revues – Le Meilleur des mondes, L’Élite européenne – ou de structures de recherche – Institut social du travail, Institut d’histoire sociale, Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice – pour l’approche policière et judiciaire. Par l’aménagement de « niches » dans les médias grand public : apparition « d’experts » dans С dans l’air sur France 5, réalisation et production du documentaire Ces musulmans qui disent non à l’islamisme (diffusé par Arte) de Antoine Vitkine et Daniel Leconte. Le démarchage pour les diagnostics et les plans locaux « de sécurité » porte ses fruits : la demande des municipalités explose. En proie aux conséquences des politiques ultralibérales, la société devient mûre pour adhérer à l’idéologie sécuritaire.

Ses thèmes deviennent centraux dans la campagne de Chirac en 2002. Sarkozy finit le travail à l’Intérieur, puis à la présidence. Ce sont alors les institutions qui se transforment : unification des RG et de la DST au sein de la DCRI, fusion de différentes instances pour créer le Conseil de défense et de sécurité nationale, la Cour supérieure de la formation et de la recherche stratégique.

Militants à l’Unef-ID dans les années 1980, Bauer et Manuel Valls reprennent contact à la fin des années 1990. Le PS bascule ouvertement vers le répressif.

La nomination de Valls à l’Intérieur en 2012, puis à la tête du gouvernement, a valeur de message. « Des Bauer et des Raufer sont produits à la chaîne chaque année dans les grandes écoles […]. La bande à Bauer ne doit sa longévité qu’à cet opportunisme qui lui permet de conserver une place à la table de tous les partis de gouvernement. Les idéologues sécuritaires ont pour mission de légitimer le contrôle, la surveillance et la répression de tout ce qui résiste […] ou existe contre les intérêts des classes dominantes. »

Patrick (AL Montpellier)

Tenir la rue dans Alternative libertaire

mercredi 19 novembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique parue dans le numéro d’octobre 2014 d’Alternative libertaire.

C’est un projet ambitieux que celui de ce premier ouvrage de Matthias Bouchenot, consacré aux groupes d’autodéfense de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) dans les années 1930. Projet historique en premier lieu, c’est avec la méthode minutieuse de la science historique, que l’auteur nous engage sur les traces de ces groupes dans un style particulièrement clair et accessible. Projet militant sans doute aussi, puisque derrière cette exploration, et bien que Matthias Bouchenot se garde toujours de prendre ces groupes comme exemples ou contre-exemples pour la situation actuelle, il est évident que l’on obtient l’une des investigations les plus fines de ce que peut être l’autodéfense antifasciste organisée.

La principale force de ce travail réside dans la contextualisation qui entoure les Groupes de défense (GD), Toujours prêts pour servir ! (TTPS) ou encore les Jeunes Gardes socialistes (JGS). Loin de nous les présenter comme de simples exécutants, l’auteur montre la place qu’occupe chaque groupe dans l’action, mais aussi dans les enjeux internes à la SFIO, à commencer par la classique opposition entre révolutionnaires et réformistes. On apprend ainsi que si ces groupes interviennent rarement directement dans ces conflits, ils n’en sont pas moins concernés, qu’il s’agisse de leur direction, des moyens qu’on leur attribue, voire de leur existence même. À l’occasion, ils peuvent se retrouver sur le devant de la scène, comme quand se pose l’épineuse question de la synthèse entre l’antimilitarisme des militants et la structuration efficace de groupes d’autodéfense. Sur ce point, on pourra parfois reprocher à l’auteur une tendance à être un peu plus jargonnant quand il s’agit de traiter de ces différents courants, laissant parfois un peu démuni le lecteur peu initié à cette période et à ses enjeux politiques. Fort heureusement, cette tendance est contrebalancée par une explication très fine des conséquences de ces enjeux, et il sera toujours possible à celui ou celle qui souhaite mieux les comprendre d’aller se documenter sur la question.

L’autre aspect essentiel de Tenir la rue se trouve du côté d’une histoire plus sociale. Une attention poussée aux caractéristiques sociales des membres de ces groupes permet de confirmer ce que l’on pouvait supposer sans en avoir de preuves (ainsi par exemple du faible nombre de femmes dans les TTPS, bien qu’elles ne soient pas totalement absentes). Mieux, l’analyse en profondeur des professions révèle des disparités internes, qui laissent deviner les rapports de domination, en particulier entre travailleurs intellectuels et ouvriers. Enfin, la reconstitution détaillée, en utilisant différentes sources, des événements du 16 mars 1937, où une manifestaion antifasciste tourne à l’émeute et où six manisfestants perdent la vie, permet une compréhension du fonctionnement de ces groupes dans l’action même.

Matthias Bouchenot nous propose avec ce livre une analyse rigoureuse de l’histoire, qui si elle ne vise pas à donner des leçons aux antifascistes d’aujourd’hui, peut les éclairer dans l’organisation de leur combat.

François Dalemer (AL Paris Sud)