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vendredi 5 février 2021 :: Permalien
Valerie Rey-Robert participait à l’émission Le Temps du débat du 3 février 2021 pour débattre de la question « Existe-t-il une culture du viol ? » avec Eugénie Bastié et Florian Vörös :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/le-temps-du-debat-emission-du-mercredi-03-fevrier-2021
mercredi 3 février 2021 :: Permalien
Publiés sur macommunedeparis.com (30 janvier 2021).
Des communards internationalistes, Léo Frankel est le plus jeune. Il a 27 ans pendant la Commune. Il est aussi le plus « international », au vu du nombre de pays dans lesquels il s’est déjà rendu.
Il est rigoureux et plein d’humour. Souvenez-vous, comme cet ouvrier hongrois de 26 ans se moquait des juges impériaux :
J’ignore à quelle école philosophique M. l’avocat impérial a appris la dialectique, mais son raisonnement me paraît aussi logique que celui qui consisterait, en voyant un enfant fermer les yeux, à déclarer que son père est aveugle.
C’était lors du troisième procès de l’Internationale, le 2 juillet 1870. Écoutez-le, quelques mois plus tard, défendre, à la Commune, les mesures socialistes prises par la délégation du travail :
Je le défends [le décret sur le travail de nuit des ouvriers-boulangers], parce que je trouve que c’est le seul décret véritablement socialiste qui ait été rendu par la Commune ;
Je n’ai accepté d’autre mandat ici que celui de défendre le prolétariat, et, quand une mesure est juste, je l’accepte et je l’exécute sans m’occuper de consulter les patrons.
Et cet homme, cet étranger, dont la Commune a validé l’élection,
Considérant que le titre de membre de la Commune, étant une marque de confiance plus grande encore que le titre de citoyen, comporte implicitement cette dernière qualité ;
La commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose l’admission du citoyen Frankel,
cet homme, le premier « ministre » du travail de toute l’histoire de France, un des premiers marxistes au monde, qui a été blessé Faubourg-Saint-Antoine en défendant la Commune, qui a réussi à gagner la Suisse puis l’Angleterre, a été condamné à mort par contumace par les versaillais, emprisonné en Autriche au risque d’être extradé — et donc exécuté –, qui après avoir été ouvrier bijoutier, a été correcteur et journaliste et, après avoir vécu dans différents pays européens, a choisi de venir s’installer à Paris, pour y travailler, s’y est marié, y a eu des enfants, cet homme remarquable, il n’y avait aucune biographie de lui en français !…
Eh bien voilà, c’est fait, il y a en a une. Merci à Julien Chuzeville (et à son éditeur).
C’est un beau livre (rouge) et la belle histoire d’un beau personnage, de sa naissance le 28 février 1844 à Obuda (Budapest) à sa mort de la tuberculose à l’hôpital Lariboisière (Paris) le 29 mars 1896, à travers toute l’Europe, toujours militant et agissant pour l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes (selon la devise de l’Association internationale des travailleurs).
Outre raconter la vie de Léo Frankel, ce qui l’a amené à dépouiller des archives, à lire des lettres et des journaux de plusieurs pays (et en plusieurs langues, dont l’allemand et le hongrois), Julien Chuzeville nous donne à lire de fort beaux textes de Léo Frankel, dont plusieurs paraissent ici pour la première fois en traduction française.
Je reproduirai deux de ces lettres de 1871 dans mes articles du cent cinquantenaire (le 13 mai, et les 12 et 13 juin).
Pour aujourd’hui, laissez-moi vous citer le début d’une lettre plus tardive. Léo Frankel est (encore une fois) en prison, à Vác (sur le Danube, à 40 km au nord de Budapest) et il apprend la mort de Jenny von Westphalen, l’épouse de Karl Marx. Il a vécu près des Marx à Londres et il en est resté très proche. Il signe d’ailleurs cette lettre « Ton très fervent ami et disciple ».
Le 18 décembre 1881
Cher, très cher ami !
En raison de mon emprisonnement qui ne me permet que de rares échanges avec l’extérieur, ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai appris la nouvelle qui t’a frappé le 2 de ce mois-ci de l’amère disparition de ton excellente femme. Depuis la mort de ma bonne mère, que j’ai perdue alors que j’habitais à Paris, aucune nouvelle ne m’a autant secoué. Et c’est à moi qu’il reviendrait de te consoler ! Je cherche moi-même à me ressaisir, à me consoler ; comment pourrais-je dès lors te consoler de cette perte, toi qui as perdu à jamais une femme aimante, une amie entièrement dévouée, une compagne de vie débordant d’esprit ?! […]
Lisez le livre et la lettre en entier, Léo Frankel y explique à Karl Marx qu’il n’a pas le droit de se laisser submerger par la douleur : il est l’obligé du prolétariat, auquel il a forgé les armes intellectuelles pour combattre.
Je conclurai cet article avec quelques mots de Jean Allemane après la mort de Léo Frankel. Il était mécontent de certains discours entendus lors de l’enterrement :
Si telle doit être l’apothéose des communards, prière de les laisser crever tranquilles.
Et aussi
Ce qu’il fallait dire, ce qu’il est important que sachent nos fils, c’est que le mouvement de 1871 doit à Léo Frankel et à ses obscurs collaborateurs, de surgir dans l’histoire — non pas comme une révolte patriotarde ou politique — mais comme la Révolution sociale avec ses inévitables conséquences et son aboutissement franchement COMMUNISTE.
Voilà. Le livre arrive en librairie le 18 février.
Michèle Audin
mercredi 3 février 2021 :: Permalien
Publié dans Ballast, février 2021.
Si le devoir de mémoire s’est imposé dans les collèges et lycées comme une compétence à acquérir pour les écoliers, les objets de cette mémoire et le traitement qui en est fait ne cessent d’interroger. D’autant que l’évolution même des suites d’un événement se doit d’être comprise pour en retenir, au-delà des faits, leurs interprétations enchâssées. Ainsi de la Commune de Paris, délaissée par les programmes scolaires. D’où vient qu’on se souvienne de la mise à bas de la colonne Vendôme, de la danse apocryphe de Lénine passés les 72 jours de la Révolution d’octobre ou que l’on s’écharpe encore sur le nombre de victimes civiles de la répression versaillaise ? Quelle place pour la Commune dans l’imaginaire politique des partis de gauche comme de droite ? Tandis que l’on commémore cette année les 150 ans de l’événement, il est utile de lire l’histoire des devenirs de la Commune qu’a dressée Éric Fournier pour analyser les célébrations actuelles (ou l’absence de ces dernières). Partant du constat qu’il y a une « discordance entre l’histoire et les mémoires de la Commune », l’auteur aborde chronologiquement les manifestations provoquées par cette séquence. Si les années qui font suite à la répression sont celles d’une « mise en forme frénétique de la mémoire des vainqueurs », un équilibre se rétablit peu à peu après l’amnistie puis par le biais des partis politiques qui se constituent alors — socialistes et communistes. Tenants de l’ordre policier et héritiers des communards se livrent alors à une « concurrence des martyrs », qui invite les contemporains à « insister sur la répression plus que sur les réalisations ou les idéaux de la Commune » – en somme, « sur mai plus que sur mars ». La publication récente aux éditions Libertalia de témoignages de l’époque, de femmes notamment, complète une telle approche, approfondissant par le récit individuel les usages collectifs de 1871. Et il ne fait pas de doute que, dans les célébrations de cette année, Fournier trouvera une matière nouvelle à étudier.
E.M.
mercredi 3 février 2021 :: Permalien
Publié sur le site lundi.am (18 janvier 2021).
Militante féministe, antifasciste, anticolonialiste, Sylvia Pankhurst (1882-1960) renonce tôt à sa carrière d’artiste pour se consacrer à la fusion des deux mouvements de transformation sociale les plus importants en Grande-Bretagne au tournant des XIXe et XXe siècles : la défense des droits des femmes et celle des travailleurs. Elle lutte avec les suffragettes, au sein de l’Union politique et sociale des femmes, fondée par sa mère Emmeline, sera emprisonnée une douzaine de fois, nourrie de force pour briser ses grèves de la faim, avant de s’en écarter en 1914 alors que toute action et revendication sont suspendues pour « soutenir l’effort de guerre ». Elle contribue à la fondation du parti communiste britannique avant d’en être exclue, refusant de renoncer à son antiparlementarisme.
Marie-Hélène Dumas retrace rapidement l’histoire de la famille Pankhurst chez qui se réunissent régulièrement de nombreux militants politiques, dont Kropotkine, Malatesta, Louise Michel qui marquera l’imagination de Sylvia. Le père de celle-ci, Richard, meurt alors qu’elle a seize ans. Elle milite pour le mouvement des suffragettes dès sa fondation en 1903. Pendant ses études au Collège royal des arts de Londres où elle obtient une bourse, elle se rapproche du syndicaliste Keir Hardie, premier député travailliste, avec qui elle va pouvoir partager ses idées.
« Si elle s’est tournée petit à petit vers le communisme, c’est parce qu’elle en est venue à penser que les injustices commises envers les femmes trouvaient racine dans le système parlementaire capitaliste qui exploitait tous les travailleurs, quel que soit leur sexe. Pour elle, seul le renversement du capitalisme et du colonialisme permettrait un jour aux femmes du monde entier non seulement d’obtenir le droit de vote, mais de devenir les égales des hommes. »
En 1906, elle est arrêtée pour la première fois lors d’une manifestation devant la Chambre des communes. En 1907, elle parcourt le nord de la Grande-Bretagne, rencontre des ouvrières, des pêcheuses écossaises, des travailleuses des mines, qu’elle dessine et peint. Elle participe à des réunions ou en organise partout où elle s’arrête, constate les inégalités qui règnent entre les hommes et les femmes. En 1911, elle publie The Suffragette, un volume de 500 pages dont elle ira assurer la promotion aux États-Unis, pendant plusieurs mois, prononçant jusqu’à trois allocutions par jour, devant des salles combles. En 1912, elle s’installe dans l’East London pour y faire naître un mouvement de masse, par opposition aux actions organisées par des privilégiées, comme sa mère et sœur aînée Christabel avec qui les divergences ne cessent de s’aggraver. En 1914, la Fédération de l’East End qui souhaite conserver son fonctionnement démocratique et ne pas se contenter d’obéir aux ordres de l’Union, devient autonome et se dote d’une publication : Women’s Dreadnought. Avec l’éclatement du premier conflit mondial, les dissensions atteignent un point de non-retour : « l’Union glisse du féminisme élitiste vers le militarisme » avec un zèle patriotique forcené, tandis que la Fédération des suffragettes d’East London prend position contre l’effort de guerre. Celle-ci s’implante dans d’autres banlieues de Londres, puis en province, au pays de Galles et en Écosse. Sylvia Pankhurst agit politiquement pour abolir la pauvreté en organisant des centres de distribution de lait, des restaurants communautaires à prix coûtant, des centres de soins, des garderies, une fabrique de chaussures et une de jouets, organisées selon des principes de solidarité et de collaboration.
Un projet de loi, adopté en 1918, accorde le droit de vote aux femmes de plus de 30 ans, propriétaires ou mariées à un propriétaire. Le Dreadnought ouvre ses colonnes à la révolution russe, aux analyses des mouvements ouvriers et des mouvements révolutionnaires d’Irlande, de Grèce, de Bulgarie, d’Italie, d’Autriche-Hongrie et d’Allemagne. Sylvia Pankhurst se consacre pleinement à la lutte révolutionnaire pour l’avènement d’une société sans classe, débarrassée de l’exploitation, de la misère, de l’oppression, de la guerre et du nationalisme. « Elle défend l’idée de soviets sociaux, conseils qui doivent être établis là où les gens vivent et non où ils sont employés et impliquent ainsi la classe ouvrière tout entière, y compris les femmes qui ne travaillent pas à l’extérieur, les hommes au chômage, les enfants et les personnes âgées. » Elle rejette les compromis et les agenouillements, sera progressivement marginalisée puis oubliée : « J’ai créé quatre cliniques et je suis restée nuit après nuit au chevet des enfants. J’ai aussi mis en place une crèche, mais ces expériences m’ont toutes montré qu’essayer de remédier au système était inutile. C’est un mauvais système et il doit être anéanti. Je donnerais ma vie pour ça. »
Dans les années 1930 elle a lancé une campagne contre le fascisme italien qui la conduira dans « la dernière citadelle de l’homme noir », l’Éthiopie, seul pays d’Afrique qui n’avait jamais été colonisé. Elle dénonce les atrocités commises par l’armée italienne et décrit la résistance dans les colonnes de son nouvel hebdomadaire, le New Times and Ethiopia News qui sera le seul journal d’Angleterre à publier l’intégralité de l’intervention d’Haïlé Sélassié à la Société des nations le 30 juin 1936 : « Monsieur le président, messieurs les délégués, je suis aujourd’hui ici pour réclamer la justice qui est due à mon peuple et l’assistance qui lui a été promise il y a huit mois lorsque cinquante nations affirmèrent qu’une agression avait été commise en violation des traités internationaux. » De la même façon, pendant trois ans, elle rendra compte de la lutte des républicains espagnols et s’élèvera contre la non-intervention de la France et de l’Angleterre.
En 1955, à 73 ans, elle part s’installer à Addis-Abeba où elle meurt en 1960.
Passionnante biographie de la plus méconnue des Pankhurst : Sylvia, qui n’a eu de cesse d’appliquer au quotidien « ses convictions égalitaires, autogestionnaires, antihiérarchiques et antiautoritaires ».
Ernest London
mercredi 3 février 2021 :: Permalien
Publié sur Questions de classe(s), 28 décembre 2020.
Ce petit livre a fait l’effet d’un coup de tonnerre : voilà un enseignant et auteur d’histoire (Charles Martel et la bataille de Poitiers, rédigé avec William Blanc, également paru chez Libertalia ), qui, rescapé de l’attentat djihadiste, essaye de s’en remettre et s’appuie dans ce but sur la rédaction d’un journal : le ton et le contenu, très personnels, nous touchent de près, ce sont le propos d’un collègue, d’un copain qui raconte, sans étalage, sans nombrilisme mais dans le concret d’une souffrance qui revient par saccades. Humainement, c’est fort.
Politiquement, c’est passionnant : Christophe Naudin pointe les explications qui n’en sont pas, les zones d’ombre de son camp politique, l’extrême gauche, dont bien des membres ou des tendances hésitent à se démarquer de cette violence djihadiste, en n’évoquant ni la barbarie ni la fureur religieuse ni l’antisémitisme « que certains militants et ’experts’ » refusent d’admettre. Il affirme la nécessité de refuser à la fois les ’républicains’ drapés dans une laïcité « de combat » qui leur interdit de voir toute une partie de la réalité sociale, et qui font des musulmans l’ennemi n° 1, et les complaisants qui, au-delà des seuls Indigènes de la République tournent la tête de l’autre côté quand tel ou tel aspect déplaisant surgit ; ce faisant, l’auteur ne se contente pas de s’indigner, il explique : pour beaucoup de militants, si « ça » (la terrible réalité) ne rentre pas dans le cadre des explications univoques et des concepts qu’ils utilisent habituellement, ça n’existe pas. Réflexe dénoncé depuis la période stalinienne mais toujours présent.
Un autre aspect nous touchera beaucoup : le prof’ avec ses élèves. J’ai lu les passages qui évoquent ces relations avec émotion car en peu de mots vrais elles disent la force du lien. Jamais je n’ai lu des phrases aussi simples et vraies sur cet engagement de l’enseignant et le retour intense des élèves, sur la base d’un travail de dialogue à réinventer à chaque heure de cours.
On ressort de cette lecture plein de gratitude vis-à-vis de l’auteur (et de son éditeur) : merci Christophe.
Jean-Pierre Fournier