Le blog des éditions Libertalia

Entretien avec Manon Bouchareu dans Friction magazine

mardi 9 juin 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Friction magazine, le 9 mai 2020.

Une histoire d’émancipation à destination des enfants

Ines, petite rate au seuil de l’âge adulte, vit avec sa famille dans la paisible ville de Candy-Raton. Elle reçoit une invitation pour le grand bal des cœurs-à-prendre, véritable institution où ratons et ratonnes trouvent généralement leur « moitié ». Ines adore danser mais ne veut pas aller au bal. Pourquoi faudrait-il qu’elle cède sur ce dont elle a envie pour se conformer aux autres ? Une première lecture féministe, à mettre dans toutes les mains, des petit·es comme des grand·es. Rencontre avec l’autrice. 

À quel public s’adresse Ines voulait aller danser ?
L’histoire s’adresse d’abord aux enfants d’âge élémentaire, je trouve ça dur de déterminer un spectre chiffré, disons que cela dépend de l’usage que l’on en fait. Avant sa parution, des amis et collègues l’ont lue à leurs enfants ou dans leurs classes respectives, du CE1 à la 4e ! Elle a pu donner lieu à des lectures offertes ou autonomes ou encore à l’amorce d’une discussion à visée philosophique.
Les préoccupations des enfants ont été différentes selon leur âge ou leur genre. Les plus petit·es se sont davantage intéressé·es aux éléments narratifs présents dans les illustrations, aux jeux de mots ou aux raisons pour lesquelles Ines ne souhaite pas aller au bal. Les plus grand·es ont davantage questionné les relations intrafamiliales, se sont demandé·es ce que cela voulait dire de grandir en suivant ou non des codes existants, ou bien ont discuté de la nature de la relation entre Ines et Sara…
Le récit s’adresse en second lieu aux parents et aux éducateurices, il peut modestement aider à penser les désirs ou les schémas qu’iels projettent sur les enfants, souvent « pour leur bien ».

Pourquoi est-il important de s’adresser au jeune public ?
À la fac, j’ai fait des sciences de l’éducation et des études de genre. La question de « l’éducation à l’égalité » m’a souvent interpellée tant elle est parfois empreinte des valeurs d’une universalité masculine qui s’ignore (à l’école comme dans la littérature jeunesse). Par exemple, aujourd’hui dans la littérature antisexiste très riche qui existe, il y a un discours portant sur l’identité de genre qui entend remettre en question les stéréotypes et proposer de nouveaux modèles. Je trouve cela très bien de diversifier les modèles. Cependant je trouve dommage que cette subversion soit souvent faite sur le mode de l’antistéréotype, que les personnages féminins soient travaillés « en miroir », selon un modèle interprétatif masculin de ce que c’est qu’être forte, indépendante, ambitieuse, etc.
À travers l’histoire d’Ines, j’ai tenté d’aborder la question de l’écart à la norme à partir de travaux tels ceux de Séverine Depoilly, qui décrivent une forme de transgression particulière des filles. Leurs dispositions socialement constituées permettraient des parcours d’affirmation de soi alternatifs à la rébellion frontale ou à la rupture franche que donnent davantage à voir ceux des garçons.
Alors que les membres de sa famille tentent de lui faire emprunter un chemin qu’ils entendent tracer pour elle, Ines oppose une « résistance dans l’accommodation » : elle écoute, elle semble conciliante, elle questionne, apprend, accepte, revient en arrière… fait un usage d’elle-même qui permet de maintenir le lien avec ses aîné.es et ses pairs. Elle tente d’échapper à leurs injonctions bienveillantes mais ne condamne pas ses proches en les réduisant à des figures d’oppressions.
Les enfants grandissent dans un monde très normatif, et à différents âges iels peuvent avoir le sentiment de vouloir déroger à certaines normes mais de les accepter pour se conformer, épargner ou faire plaisir
Dans ses différentes relations, j’ai souhaité qu’on la voit « plastique », comme lorsqu’avec sa tante elle s’entraîne à « performer » son rôle de rate : prendre conscience et jouer des codes, des attitudes, des manières d’être. C’est grâce à cette plasticité relationnelle qu’elle parvient à « faire avec » l’autorité ou les règles pour finalement parvenir à s’en défaire (sans toutefois mépriser ou condamner le choix – ou le non-choix – d’autres personnages plus conventionnels comme Joline.)
Les enfants grandissent dans un monde très normatif, et à différents âges iels peuvent avoir le sentiment de vouloir déroger à certaines normes mais de les accepter pour se conformer, épargner ou faire plaisir. C’est pourquoi j’ai eu envie de leur adresser le parcours d’une héroïne qui décide d’être en désaccord avec ceulles qui ne veulent que son bien. Une héroïne qui montre qu’il existe un itinéraire praticable et difficile dans la volonté de ne pas être ou faire ce que l’on attend de nous. Quitte à décevoir pour ne pas avoir à renoncer à soi.

Pourquoi avoir choisi le personnage d’une jeune rate pour incarner ce désir d’indépendance ?
Pour être honnête c’était initialement une petite fille que j’avais en tête. Mais j’avais très envie d’illustrer et… mes êtres humains laissaient trop à désirer ! Je me suis dit que j’allais tenter de transposer l’histoire dans un univers animalier anthropomorphique (le texte n’était pas encore écrit).
A posteriori et en réfléchissant un peu je me suis rendue compte que ce n’était pas du tout original, mais dès la première tentative j’ai fait une souris, qui m’a plutôt satisfaite. J’ai juste décidé peu après qu’il s’agissait d’une rate (parce que ça faisait moins « mignon », que ça lui donnait plus de corps…). À partir de là, des jeux de mots sont arrivés très vite (Candy-raton, raton loveur…) et m’ont permis de démarrer l’écriture.

Vous avez choisi d’appeler le village d’Ines « Candy-Raton » pensez-vous que la question du regard des autres et de leur jugement est un sujet important à aborder avec le jeune public ?
Complètement : le regard, le jugement, le récit que les autres font de nous-même (d’ailleurs Candy-raton est jumelé avec Rat-Comtar). La pression que les membres de la famille d’Ines font peser sur elle tient peut-être en partie au fait qu’iels anticipent la manière dont sa vie va pouvoir s’inscrire dans celle, collective, du village.
Lors d’une fête où des inconnu.es apprennent qu’Ines est la rate qui n’est pas allée au bal, iels la questionnent avec insistance, la somment de justifier son choix. Situé.es du côté de la majorité, iels ne pensent à aucun moment leurs propres déterminations. C’est d’ailleurs le seul moment où Ines est prête à se mettre en colère

Le poids des conventions sociales qui pèsent sur les jeunes filles est incarné par les personnages de la famille d’Ines. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Je pense que la structure narrative m’intéressait : les membres de sa famille identifient un problème dans le refus d’Ines de se rendre au bal et décident tout à tour de le résoudre en proposant une solution en lien avec leurs propres projections.
Selon le jeu des générations cela m’a permis de développer différentes normes (être une « vraie » rate qui s’assume, être mince, « se faire belle », avoir des ratons dans le cadre d’un couple éternel…).
La famille est un espace de socialisation primaire au sein duquel on entretient souvent des relations ambivalentes. Ici, la famille d’Ines veut qu’elle soit heureuse. Pourtant les projections familiales, qui ne dessinent pas d’autres possibles que la reproduction de leurs propres désirs et valeurs, exercent une violence et une contrainte difficiles à déceler et à contourner pour Ines. Iels se montrent écrasants dans leurs attentes, mais se séparer d’eulles serait pourtant une blessure supplémentaire…
Être en désaccord avec les habitants d’un village nommé Candy-raton et assumer leur jugement est déjà quelque chose de pesant. Mais avoir en plus à s’affirmer face à ceulles qui comptent le plus pour elle (et pour qui elle compte manifestement beaucoup), cela traduit l’imbrication des différents faisceaux normatifs dans lesquels une rate en construction se trouve.

Pourquoi la rencontre entre Sara et Ines est-elle déterminante ?
Il y a un passage de l’histoire où Ines comprend que son écart en fait une minorité au sein du reste du village. Et même s’il existe des rat·es sympas et protecteurices comme Joline, elle se prend à envisager un futur fait d’incompréhensions et de justifications sans fin.
C’est là qu’intervient la rencontre avec Sara.
Sara c’est la promesse d’un lieu où l’on peut être accueilli·e dans son étrangeté. Leur amitié (leur sororité) a un effet protecteur pour elles deux et leur permet d’impulser un mouvement vers ailleurs et vers elles-mêmes. Elles comprennent qu’une vie en-dehors de la majorité est possible et se mettent à la désirer et l’imaginer ensemble.

« Ines voulait aller danser » évoque le début de l’émancipation de la jeune rate. Pourquoi avoir fait le choix de conclure l’histoire sur le départ des deux rates ?
J’imagine que c’est parce que malgré le courage qu’elle a déployé pour oser vouloir autre chose que ce que tout le monde semble désirer, je pense que l’on s’émancipe rarement tout·e seul·e. Pour expérimenter, pour voyager, pour explorer le monde et ses propres envies, trouver des pairs est facilitant et rassurant. Et puis face à un chat, le fait d’être deux est un atout non négligeable.
Le départ d’Ines et de Sara (qui est encore plus isolée car sa famille est moins compréhensive) devait pour moi rester ouvert afin de ne pas figer le récit dans un discours moralisant : cela permet d’imaginer plusieurs horizons possibles. Vont-elles rester partenaires de voyage, s’installer quelque part, devenir aventurières, trouver d’autres ami.es, revenir, repartir… ?

Entretien avec Lola Miesseroff dans Trou noir

mardi 9 juin 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Trou noir, numéro 5, mai 2020.

Lola, une fille à pédés révolutionnaire

Cet entretien est le fruit de notre première rencontre avec Lola Miesseroff en mai 2018. Quelques mois auparavant, sortait en librairie son Voyage en outre-gauche, Paroles de francs-tireurs des années 68 aux éditions Libertalia. On y trouve le récit de ces bandes révolutionnaires de 68, de leurs liens avec le mouvement étudiant, avec la sexualité, avec la destruction des catégories, avec le combat contre les aliénations pour se libérer toujours plus, avec des expérimentations collectives… Et Lola pratique le passé pour arpenter le présent : « transmettre, mais pas faire la leçon ». Les Assemblées générales, la masculinité et la féminité, le poids des normes sociales, les affinités politiques sont autant d’éléments qui d’une époque à l’autre continuent à former des questions, tant sur les manières de s’organiser que sur le front qu’il s’agit de construire contre le vieux monde. C’est là que Lola place au centre la liberté et l’amitié.
On retrouve ci-après anecdotes et fragments de vie révolutionnaire de notre fille à pédés qui seront dépeint avec ce bouillonnement qui la caractérise, dans son livre Fille à pédés paru l’année suivante aux éditions Libertalia.
Notre discussion actualise les enjeux politiques de la sexualité expérimentés par Lola et les siens depuis leur prime jeunesse. Elle nous livre par sa parole et par des extraits de ses écrits, ses impressions sur le FHAR et les luttes de l’époque qu’elle a traversée et réaffirme la primauté d’une construction politique radicale, d’une position.
Nous conseillons la lecture de l’entretien réalisé avec son amie Hélène Hazera paru dans le premier numéro de TROU NOIR.

À BORDEAUX

« Bordeaux était alors un pôle de la « contre-culture » et des prémices de la « révolution sexuelle ». Avec la création en 1965 du festival Sigma, « creuset de la création avant-gardiste » qui « électrisa Bordeaux pendant près de trois décennies », et notamment la participation fulgurante, en 1967, du Living Theatre : « Sigma c’est le signe mathématique de la somme, ça se voulait la somme de tous les arts. Il n’y avait rien de comparable dans les autres villes. Il y avait le Living Theatre, Xenakis, la musique électronique, des peintres, un peu de tout. Il n’y avait pas de rapport direct avec les AG, mais tout le monde y allait. Ça faisait partie de la culture locale, donc ça a joué un rôle. » À l’université, on n’était pas en reste puisqu’un professeur de sociologie maoïste (!) organisait dans ses cours « des groupes non directifs de la parole, sur lesquels s’est greffée une sexualité non directive », « la sexualité en/ou de groupe est à l’ordre du jour » (Voyage en outre-gauche)

Anal Wintour : On aimerait, pour commencer, que tu nous racontes ce que tu as vécu ici, à Bordeaux : l’ambiance politique, les événements, la ville… Le contraste doit être saisissant avec aujourd’hui.

Lola Miesseroff : Bordeaux, j’y suis venue un peu par hasard. J’avais connu des copains à Avignon en 1968 et 1969 que j’ai retrouvés ici. À l’époque, Bordeaux m’est apparue comme une très petite ville. Il y avait deux ou trois endroits où les gens se retrouvaient. Autour de la place Pey Berland, il y avait des cafés : Le Pey-Berland, Le New York et un truc qui s’appelait La Brasserie des Arts. Il y avait Saint-Michel, le quartier anar où les parents d’une de nos copines avaient un restaurant. Il y avait « tout un milieu et une solide tradition anars », « où les anarchistes espagnols réfugiés avaient fait souche ». Il y avait un local rue du Muguet où il y avait un ciné-club ; il y avait aussi, le festival Sigma. Quand je compare Bordeaux avec les autres villes où les étudiants radicaux ont pris, Bordeaux était très dans la culture. Il y avait Pierre Molinier et tous ceux qui le suivaient. Tu avais Bouyxou qui n’a jamais participé au tract « Crève salope » des Vandalistes contrairement à ce que l’on raconte. Il s’en est vanté, mais il n’y était pas.

« En 1967 donc, quelques jeunes gens en rupture de ban s’ennuyaient ferme à Bordeaux, rêvant désespérément d’en découdre avec ces “Chartrons” qui monopolisaient les meilleurs vins, classés dès 1855 et vendus à des prix prohibitifs. On n’avait pas vu d’émeutes depuis la Fronde… C’est dans ce ciel grisâtre — et qui, à certains, devait paraître serein — qu’éclata le 31 mars 1968 un tract signé d’un Comité de salut public des Vandalistes jusqu’alors inconnu : cette feuille était un tissu d’injures adressées à toutes les autorités (parents, professeurs, flics et curetons) et à tous les impuissants (étudiants en particulier). Ce fut le début de l’affolement chez les fils à bourgeois des quartiers protégés qui fréquentaient l’université »

Lola Miesseroff : Et puis j’ai découvert cette bande qui avait signé ce fameux tract Comité de Salut public des Vandalistes et qui était en fait un réseau. Dans ce réseau de gens, on trouvait des marginaux, certains faisaient des études, d’autres étaient des prolos complets. 
Dans les relations entre les gens, les plus proches de l’Internationale situationniste ne connaissaient pas grand-chose du monde ouvrier. En revanche, le fameux groupe de voyous qui les avaient rejoints avait constitué le groupe Octobre. Claire Auzias, qui a travaillé sur les voyous de Mai 68 a fait un excellent livre là-dessus et continue à travailler sur le sujet. Quand le mouvement de mai 68 s’est arrêté et que les enfants sages sont partis en vacances, eux sont allés s’entraîner. C’est un épisode que même moi je ne connaissais pas. À Bordeaux il n’y avait pas, comme à Nantes, de fortes liaisons avec les ouvriers. Il y avait des gens très bizarres à Bordeaux, des gens vraiment extraordinaires. Il y avait un mec que j’aimais bien. Il s’appelait Alexis Cassagne, c’était un prolo, il s’était fait casser la gueule pour avoir manifesté en réclamant la retraite à 30 ans. Une nuit, il s’est jeté ou il est tombé du pont de la Garonne on ne le saura jamais. Enfin, Bordeaux était peuplé de toutes sortes de gens étranges. Autour du café Le Pey-Berland, il y avait toute une animation avec des côtés un peu beatniks, des gens plus avancés, des anars, cette bande cryptosituationniste dont je parlais, et puis toute sorte de gens, des artistes, etc. Le Pey-Berland était un endroit magique, extraordinaire, et il était tenu par un vieux couple très convenable.

Anal Wintour : Que vous appeliez Papa et Maman ?

Lola Miesseroff : Oui, tout le monde les appelait comme ça. Un copain m’a raconté une histoire récemment. Un voyou qui sortait de taule était au Pey-Berland quand Maman lui dit : « écoute, je dois aller faire une course est-ce que tu veux bien garder le bar ? ». Elle lui disait vraiment quelque chose à ce moment-là. Elle était en train de lui dire : « Oui, je sais que tu as fait de la taule, je sais que tu es un voleur, je te donne ma confiance et je veux te le montrer. » D’où cette femme sortait ça ? D’où sortait-elle cette sensibilité de mettre un taulard, un voyou, derrière son comptoir pour lui montrer qu’elle pensait que c’était un mec bien et qu’elle n’en avait rien à foutre du reste ? C’était unique.
À la même époque, il y avait à Bordeaux celui que l’on nommait le déserteur, un mec qui avait refusé d’aller à l’armée et dénonçait la guerre menée par la France au Tchad. Il s’appelait Martinez, je m’en souviens encore. Il arrivait dans des assemblées générales où il prenait la parole et les flics le cherchaient partout.

Anal Wintour : Et après ses interventions, il se cachait ?

Lola Miesseroff : Ça devait être en 1970-1971. Il rentrait dans son trou et les flics ne le trouvaient jamais. Au point que la police nous pistait tous, y compris moi d’ailleurs. Comme je venais souvent faire des enquêtes à Bordeaux, ma boîte me payait un hôtel. Il y a une nuit où je ne suis pas rentrée et l’hôtelier m’avait attendue toute la nuit pour fermer sa boutique. Et on commence à s’engueuler, il est violent et il me dit : « De toute façon, quand on est surveillée par la police… ». À cette époque, les hôtels devaient donner à la police des fiches de renseignement que chaque client remplissait. Les flics devaient imaginer que j’étais une envoyée spéciale de je ne sais quoi, alors que je venais pour bosser. Ils étaient assez cons et ils surveillaient tout le monde.

LA PRATIQUE DU TAS

« Toutes sortes de jonctions s’opéraient dans une grande fluidité et nous commençâmes bientôt à faire l’amour en groupe de façon spontanée. Dans ce que nous appelions “le tas”, tout était possible, c’était sensuel, c’était tendre et aussi très joyeux. On ne décrétait ni n’organisait un “tas” si ce n’est au dernier moment, quand il nous fallait trouver un lit ou une chambre plus larges pour nous ébattre collectivement. (Voyage en outre-gauche). »

Anal Wintour : Dans ton livre, tu racontes quelque chose qui a suscité beaucoup de curiosité de notre part, c’est la pratique du tas.

Lola Miesseroff : Dans notre cas, il y avait des pratiques homosexuelles, ce qui n’était pas le cas d’autres gens qui pratiquaient des tas comme ceux de la fac de Bordeaux. Et ce qui est incroyable et que je n’explique pas, c’est qu’en parallèle à Marseille on appelait ça aussi des tas. Quelqu’un a dû rapporter ça, à moins qu’ils nous l’aient piqué à nous, on ne le saura jamais.

Anal Wintour : Mais alors qu’est-ce qui différenciait la pratique du « tas » d’une orgie ou d’une partouze ?

Lola Miesseroff : Nous, on faisait plus que ça et, surtout, on ne le faisait pas de manière systématique. Ça se décrétait sur le moment. C’était la recherche de la transgression, du plaisir, mais du plaisir que l’on obtenait en transgressant ce qui nous était interdit. Tout est sérieux de nos jours alors que nous, on n’arrêtait pas de déconner. Je me rappelle d’un tas, qui a été décisif dans ma vie puisqu’il a généré une histoire d’amour à répétitions pendant de très longues années. On s’est retrouvés à Marseille dans une chambre avec un grand lit. On avait décidé de tous y aller ensemble. Et mon meilleur pote, Christian, avait trouvé un garçon dans le tas à qui il faisait croire que j’étais sa sœur ce qui mettait le gars dans un incroyable état d’excitation. Et puis, à la fin de la nuit, je me suis retrouvée avec un copain qui, à ce moment-là, était avec un garçon. Au petit matin, nous n’étions plus que quatre dans le lit : Christian et son mec, moi et ce garçon avec qui on est toujours amis. Quand son fils m’a dit : « Tu l’as rencontré où, mon père ? », je n’ai pas osé le lui dire. Il faut aussi dire que tout ça se passait dans des réseaux amicaux, sans doute un peu excluants. Tout le monde n’y était pas admis, c’était comme un vase clos un peu élargi. Mais, pour nous, c’était aussi un acte politique. On ne le disait pas au moment où on le faisait, mais toute notre vie était orientée par la pensée que la révolution allait avoir lieu demain. Tout ça se passe dans la foulée de 68. La révolution arrivait, donc il fallait la préparer. On était tout le temps en train de faire quelque chose. Ça pouvait être sexuel, participer à un mouvement, faire un scandale dans la rue ou ouvrir des caisses au supermarché… Jouer les petites terreurs, quoi. On poursuivait l’idée d’une insurrection totale, on était tout le temps sur la brèche.
On habitait ensemble, mais il ne fallait pas dire en communauté. La communauté, c’est la communauté de la misère. Quand les gens disaient qu’ils habitaient en communauté nous on répondait : « Non, ça n’existe pas ». On vivait en groupe parce qu’on pensait que c’était la meilleure façon pour être actifs. À Paris, on habitait en groupe dans un trois pièces, à la fin on était douze ou quinze dedans. Il y avait deux pièces pour dormir ou autre chose, et une pièce réservée aux gens qui voulaient causer. Évidemment on avait des lits collectifs donc tu peux imaginer ce qui s’y passait. Et ça a duré un moment puisque, quand on est entrés au FHAR, ça a continué dans un autre appart collectif.

LE FRONT HOMOSEXUEL D’ACTION RÉVOLUTIONNAIRE

« Le nom que le petit groupe se donna dans la foulée annonçait déjà qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement de libération des homosexuels, mais d’un front révolutionnaire animé par des homosexuels. Parfait pour Jojo, Christian et les autres qui n’entendaient pas se définir par leur orientation sexuelle, mais comme des “révolutionnaires” qui avaient, comme les femmes, une répression spécifique de plus à combattre plus activement (Voyage en outre-gauche). »

Anal Wintour : Le FHAR c’est arrivé comment pour toi ?

Lola Miesseroff : Avec tout ce petit monde, on était déjà dans de grandes discussions. Mon ami Christian, qui était très jeune, était énervé de ne pas pouvoir coucher avec une fille. On pouvait discuter de ça pensant des heures. Il avait retrouvé une scène initiale de blocage sur les filles qui n’expliquait pas son attirance pour les garçons, mais qui expliquait son blocage sur les filles. Le père de la petite voisine avec laquelle ils s’amusaient lorsqu’il avait 5 ans avait menacé de la lui couper et de le pendre par les oreilles. On avait dépiauté tout ça entre nous et puis, un jour, tout d’un coup, quelqu’un arrive et dit : « Y’a Christian et Laure qui sont en train d’essayer de baiser ».
Tout le monde chuchote, on attend, on se dit : « Putain, il va y arriver ». C’était l’enjeu, il avait dit : « Je sais que j’aime les garçons, mais si je ne peux pas du tout coucher avec une fille, je ne suis même pas sûr que j’aime les garçons. Si c’est qu’un blocage, ça ne m’intéresse pas. »
Et alors ils arrivent tous les deux, écroulés de rire, et ils étaient vachement contents. Et Christian, entre deux camionneurs, il pouvait lui arriver de rencontrer une fille, même si c’est resté très occasionnel. On était dans cette problématique-là et on n’a jamais été dans des groupes exclusivement déclarés homos. C’était toujours un mélange de gens. À Aix, on était déjà dans des provocs assez redoutables, les réactions violentes ne s’appelaient pas encore homophobie mais on se faisait casser la gueule et on tapait aussi. Nous étions très sensibilisés à toutes ces questions.
On a été au MLF une fois avec les copines, les garçons nous attendaient au bistrot d’en face. Et puis on apprend l’existence du FHAR, je sais plus comment, peut-être par Alain Pacadis qui traînait beaucoup à la maison. Pacadis était vraiment un drôle de personnage, il est devenu ensuite le prince des nuits parisiennes et faisait les chroniques du nightclubbing dans Libération. Le FHAR se réunissait encore dans un local protestant avant que la première AG ne se tienne aux Beaux-Arts. On a tout de suite plongé dans cette histoire-là, ça nous convenait vachement bien parce que ce n’était pas un front de libération homosexuelle mais un front de lutte contre les discriminations et surtout un front de lutte et d’action révolutionnaires. On y a connu plein de gens. L’appartement où nous habitions à ce moment-là est devenu le siège d’une des commissions du FHAR, la commission du 4e, celle du Marais qui n’était pas du tout le quartier qu’il est aujourd’hui. C’est là que j’ai rencontré Hélène Hazera qui avait encore l’apparence d’un garçon. Cet appartement est resté un lieu de rencontre et d’organisation même quand on a quitté le FHAR un peu plus tard, avec un tract de rupture titre : Et voilà pourquoi votre fille est muette.
Au FHAR, on était bien, il y avait plein de discussions, Il se passait plein de choses, c’était festif, il y avait des comités de quartiers. Le comité d’action du quartier était tout à fait intéressant. Et puis dans les AG on voit apparaître les tactiques bureaucratiques comme de décider des trucs avant d’arriver à l’AG. Ça commençait à nous mettre en colère. Là-dessus, on annonce en AG que le FHAR est invité dans une galerie d’art pour un vernissage. Mon copain Jacques, très remonté, y va avec d’autres et commence à graffiter sur les tableaux : « Les pédés sont des vandales ». Quelle indécence de nous inviter à un vernissage ! Le FHAR est devenu quoi ? Une officine de relations publiques mondaines pour milieux artistiques ? On n’était pas contents du tout. Il y avait un Bordelais dans le groupe, un mec que j’aimais beaucoup, il s’appelait Jacques Dansette. Avec lui, un jour, on a déroulé des kilomètres de papier-cul rose sur l’AG pour dire : « C’est tout ce que ça vaut le FHAR ! » Même on y a aussi rencontré des gens qui, comme nous, s’opposaient à cette bureaucratisation et qui ont formé par la suite les Gazolines.
Même après qu’on ait quitté le FHAR, la maison était encore un centre, il y avait toujours les clés sur la porte, c’était aussi un grand baisodrome. Et un grand droguodrome si je puis dire. Tout le monde passait et ça a été tout un moment d’activités qui n’était pas forcement centrées sur la cause homosexuelle. Ça a duré pour moi à peu près jusqu’à l’enterrement de Pierre Overney. Les Gazolines y ont fait les pleureuses.

Anal Wintour : C’était une sacrée provoc ».

Lola Miesseroff : Nous étions avec elles, mon compagnon portait un pantalon rose, il était maquillé comme une châsse. C’était drôle, mais drôle… Daniel Guérin s’en est indigné vertueusement. Même si Overney était un maoïste, on regrettait qu’il soit mort. Ce qui s’est passé au FHAR était toujours multiforme, il y avait toutes sortes de choses. Un truc que nous avons un peu raté, c’est Le Fléau Social, la revue d’Alain Fleig. J’ai demandé à Hélène Hazera pourquoi on n’aimait pas Alain Fleig, elle m’a répondu : « c’est parce qu’il faisait partie des petits chefs ». Alors que ce qu’il a fait était très honorable, on trouvait ça très bien. Mais on ne fréquentait pas ces gens que l’on pensait être des bureaucrates. C’est un peu dommage. Il y a des occasions manquées parfois.

Anal Wintour : Existait-il des tendances au sein du FHAR, des groupes, des sensibilités politiques ?

Lola Miesseroff : Pas tant, on était pourtant très nombreux à l’époque. Je ne sais même plus combien. Il y avait de moins en moins de filles, elles avaient foutu le camp. On faisait partie, ma copine et moi, des dernières filles. J’ai quand même ramené quelques femmes, mais la plupart des filles du FHAR étaient parties dans des histoires du genre des Gouines rouges pour qui être homo devait être « un choix politique ». On était drôlement loin de la sexualité libre et multiple que nous revendiquions. Donc il y avait beaucoup de garçons et des petits chefs gauchistes maos et trotskos comme Laurent Dispot, qui un jour m’a avoué carrément qu’il était toujours mao. Je m’étais fâchée avec lui sérieusement. Il m’avait dit : « Mais tu sais moi, je suis resté maoïste. » Comme ce connard de philosophe, Badiou. C’est drôle parce qu’il y a toujours eu aussi la mondanité qui guettait, avec ses histoires de galeries d’art et de milieux artistiques, ce qui allait être la période Palace. Et là j’ai très vite décroché. Chacun a un peu pris sa route. Hélène par exemple, a commencé à prendre des hormones. Je m’étais demandé pourquoi elle avait été au tapin pendant un moment. Elle avait posé candidature à l’Idhec (aujourd’hui la Femis), elle avait été admise, et quand ils ont découvert qu’elle était en transition, tout d’un coup, ça n’allait plus.

Anal Wintour : Ils lui ont refusé l’Idhec ?

Lola Miesseroff : Elle s’est fait ensuite quelques temps de tapin avant d’être embauchée à Libération comme chroniqueuse télévision. Bel exemple de changement de situation.

L’ARRIVÉE DU SIDA

« Il faut imaginer la tête des soignants de l’Institut Tarnier en voyant débarquer une dizaine de jeunes hommes et femmes aux relations sexuelles interconnectées de diverses façons et ayant tous, en conséquence, contracté la même maladie vénérienne. Depuis, nous avions acquis quelques années et perdu un peu de notre fantaisie, ce qui fait que l’arrivée du sida et de la capote obligatoire nous prit vraiment de court. Pourtant, il fallut bien se faire aux nouvelles contraintes que cette saleté de virus imposait (Voyage en outre-gauche). »

Anal Wintour : La période Palace dont tu parlais, c’était le début de la décennie du vide ?

Lola Miesseroff : Il y avait indéniablement une décrue par rapport à la révolution. Puis par-dessus tout, il y a eu le sida. Ça a changé la donne. Parce que ce qui nous permettait d’être si libres sexuellement… s’est arrêté. Il y avait un peu de MST qui circulaient, mais ce n’était pas phénoménal. Il y avait la gale entre autres. Je ne l’ai jamais eu, j’ai eu une chance folle. On vivait en groupe, on faisait attention aux serviettes, aux affaires, mais il y avait toujours des gens qui venaient se laver à la maison. Mais il n’y avait pas le sida. L’arrivée du sida a été un coup… c’est indescriptible. On en a perdu des gens. Des garçons et des filles. Parce qu’il y avait à la fois la sexualité dont l’homosexualité qui a été mise en avant, mais aussi les usagers de drogue, particulièrement de l’héroïne.

Anal Wintour : En fait, la stigmatisation de toutes les populations considérées comme marginale, voire négligeables : les drogués, les putes, les homos…

Lola Miesseroff : Il y avait beaucoup d’homos bourgeois qui n’étaient pas de ces marginaux. Il faut se rappeler d’un petit détail, c’est qu’avant le FHAR, il y avait Arcadie. Vous en avez entendu parler ? Arcadie était un endroit très honorable. On parlait d’homophilie et il n’y avait que des garçons. René Lefeuvre, des éditions Spartacus, allait à Arcadie. Et moi un jour je l’engueule et lui dis : « Mais ça ne va pas ! Qu’est-ce tu vas foutre à Arcadie ? » René me répond, en larmes : « Mais tu ne te rends pas compte, c’est la première fois de ma vie que je peux danser avec un garçon, que je peux tenir la main d’un homme. Il n’y a qu’à Arcadie que je peux faire ça. » Je l’ai fait pleurer. On me l’a rappelé après, j’en ai eu honte, c’était un vieux monsieur et j’étais quand même une peste.

Anal Wintour : Dans ton livre tu expliques qu’il ne s’agissait pas de porter des revendications spécifiques pour les homos ou pour les lesbiennes. Tu dis simplement : « je voulais libérer les sexualités ».

Lola Miesseroff : Peut-être parce que j’ai une histoire singulière par rapport à tout ça, j’ai toujours pensé que c’était la seule chose à faire. Et ça n’empêche pas de lutter par ailleurs pour des droits. Même dans le travail, il faut se battre pour le bout de gras, bien sûr. Tu ne peux pas échapper à des luttes conjoncturelles où tu vas te battre pour défendre tes droits. J’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas de raison que tout le monde ne s’en mêle pas, de ces luttes-là. Je veux bien que chacun prenne ses luttes en main, mais on est quand même solidaires. C’est vrai que c’est très compliqué. Est-ce qu’il faut se définir ? C’est ça la question. On pourrait très bien s’appeler le groupe orchidée ou je ne sais quoi et après tu fais une plate-forme où tu peux expliquer tes positions. Au FHAR, ce qui nous convenait, c’est d’abord que c’était une initiative mixte. Et mixte à tous les niveaux. L’idée d’appartenir à je ne sais quoi, ce n’est pas l’émancipation. L’émancipation de l’humanité passe par l’émancipation de l’aliénation et de l’exploitation et de tout ce que ça entraîne. S’il n’y avait pas la division du travail, la question ne se poserait pas. L’homosexualité en tant que catégorie à réprimer est une invention relativement moderne.
Aujourd’hui, mais évidemment ça dépend des milieux, il y a une admission sociale de l’homosexualité. C’est plus facile. Néanmoins, il existe un plafond de verre qui est presque identique à celui des femmes, sauf dans certains milieux de travail.

Anal Wintour : L’homosexualité est plus acceptée si néanmoins elle ne casse pas la norme du masculin et du féminin. Pédé et prolo ça ne passe toujours pas. Pas que ça ne passe pas dans ces milieux-là, mais chez les homos, entre nous, on ne peut que constater qu’il existe un désir d’ascension sociale.

Lola Miesseroff : La mondanité qui peut être mise en route dans tous les milieux, les garçons autour de nous n’y échappent pas. Le milieu homosexuel a toujours été un ascenseur social. C’est un milieu où l’on s’éduque et l’éducation est un ascenseur social. Le milieu homo a toujours rassemblé, c’est un milieu interclassiste. Même s’il y en avait de plus bourgeois que d’autres, j’ai rencontré beaucoup de gens qui venaient de milieux prolos dans des boîtes de garçons. C’est un ascenseur social possible, comme celui des beaux gosses et des belles filles, de ceux qui ont la beauté ou le charisme.

ET MAINTENANT ?

« Quant au “communautarisme” gay, pour aussi peu révolutionnaire qu’il puisse être en lui-même, on ne peut néanmoins oublier qu’il s’est construit en réaction tant à la répression qu’aux conséquences de l’épidémie du sida, et ce n’est pas la fréquence des agressions homophobes et des meurtres de transgenres un peu partout dans le monde qui va conduire à le remettre en cause, c’est le moins que l’on puisse dire. Les luttes de défenses sont donc plus que jamais nécessaires, mais les luttes pour les droits ne devraient, selon moi, représenter qu’une étape, ou plutôt qu’une partie de la lutte contre toutes les oppressions (Fille à pédés). »

Anal Wintour : L’époque que tu racontes nous semble tellement moins corsetée qu’aujourd’hui. Tant au niveau politique qu’au niveau sexuel. Dans l’un comme dans l’autre, on est astreint à se définir pour pouvoir exister.

Lola Mieserroff : Il ne faut pas magnifier non plus cette époque. C’étaient des belles aventures, mais c’était lié à un contexte social donné, d’avant la grosse crise. Vous êtes nés trop tard dans un monde trop vieux. Mais je fais de la transmission et l’idée c’est de transmettre à ceux que ça intéresse, pas de faire la leçon.
Devoir se définir, ça me fait chier. On est dans une époque d’identitarisme et de catégorisations, d’une quête vraiment énervante, comme s’il fallait toujours avoir une identité. Se définir par rapport à son identité de soi-disant race, genre, orientation sexuelle. À partir du moment où tu commences à faire de l’identité une catégorie publiquement identifiée, qui en plus a vocation de critique sur d’autres identités, tu es obligé d’adopter un code et ça ne m’emballe pas beaucoup.
C’est pareil dans les luttes pour vous, j’imagine. Ce n’est pas les étudiants qui sont les plus intéressants, c’est les franges les plus radicales qu’il faut rencontrer. Parce que queer ou homo, la lutte pour l’émancipation passe par l’expérience politique. Le fait que dans votre groupe il y ait une majorité d’homos ce n’est pas un détail, mais l’essentiel c’est d’avoir des positions politiques vachement claires et votre sexualité ne fait rien à l’affaire. Mais il y a les affinités, il faut aussi avoir des affinités avec les gens qu’on rencontre.

« La révolution est plus que jamais nécessaire, mais son horizon semble s’être très éloigné. Je suis hors de toute problématique espoir/désespoir quand je dis ça. Mais il y a une chose que je sais, c’est que les événements historiques explosent, éclatent alors que personne ne s’y attend, ou que très peu de gens s’y attendent. On a parfois un peu d’intuition en se disant qu’il va se passer quelque chose, mais on ne peut pas deviner quelle va être sa dimension. Pour moi, il n’est jamais impossible qu’il y ait des événements historiques extrêmement importants dans nos pays (Voyage en outre-gauche) »

Fille à pédés sur le blog de J.-C. Leroy

mardi 9 juin 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le blog Mediapart de Jean-Claude Leroy, le 22 mai 2020.

Lola, libre de soi

« Je voudrais tant espérer qu’on aura plus besoin d’affirmer telle ou telle orientation sexuelle, qu’on pourra simplement aimer… »

« Me définir comme bisexuelle me semblerait du coup bien réducteur. Je me vois plutôt comme une polyamoureuse, avec ou sans relations sexuelles, assumant par-là de refuser de distinguer ce qui est “sexuel” de ce qui ne le serait pas. »

Il est des enfances qui prédisposent le plus naturellement du monde à l’absence de préjugés. Grandie à Marseille d’une mère judéo-russe assistante sociale, puis dactylo, et d’un père d’origine arméno-russe qui tint un atelier de papier de verre avant de travailler comme ajusteur-électricien, Lola Miesseroff eut aussi pour nounou un dresseur de lions. Ses parents géraient un centre de naturisme où régnaient, la mixité la plus ouverte et dans laquelle la jeune Lola évoluait évidemment à son aise. Les hommes pouvaient être féminins, les femmes masculines, les tendresses suivaient leurs cours indépendamment des codes appris et de toute fixité des mœurs. Quand la grande variété humaine qui nous entoure ne participe d’aucune exclusion, prendre un parti plutôt qu’un autre peut paraître bien étrange, autant n’en choisir aucun ou les choisir tous. Mais il arrive que la liberté des corps engendre par incidence certains tourments inattendus : « Il me faut cependant avouer que ce culte voué au plaisir du sexe n’a pas eu sur moi qu’une bonne influence. Tétanisée par ce surmoi sexuel parental, cette injonction au bonheur des sens, j’ai mis un sacré moment à me débarrasser de ma virginité parce que – en plus – des copains plus âgés m’avaient mis en tête que la “première fois était importante”, qu’il ne fallait pas se rater en somme. »
Jeune étudiante, introduite par un ami du cercle naturiste, elle fréquente des jeunes hommes pour la plupart homosexuels, avec qui elle s’entend à merveille, c’est l’un d’entre eux qui lui dira un jour : « Il y a les filles à matelots, il y a les filles à soldats, toi ma chérie tu es une fille à pédés ! » L’intéressée précise : « À l’époque cette appellation était usuelle, car “homosexuel”, qui n’avait pas un siècle, était entaché de la connotation médicale et judiciaire bien antipathique d’une « déviance sexuelle socialisée. »
C’est une jeunesse des années 1960 que nous avons traversons dans ce livre qui fleure l’authenticité, la droiture et la saine révolte où se lovent encore les cœurs battants et battant. Le bain d’idées et de formes dans lequel évoluent les esprits curieux et aventureux a quelque goût de Beat generation mêlée au situationnisme, aux chansons de Barbara (avant que Lola ne s’attable avec un Ferré noctambule accompagné de la jeune Marie-Christine, sa future femme). Débouché inévitable de ce bouillonnement social, « Mai 68 » survient à point.
Parmi d’autres aventures, on glisse le bout de son nez au MLF, le temps d’une réunion non mixte où notre héroïne et ses amies tentent d’expliquer leur fonctionnement avec hommes et femmes, hétéro ou homos, mais leur message ne passe pas bien. Les mêmes rejoignent le FHAR, Front homosexuel d’action révolutionnaire, créé notamment par l’écrivaine Françoise d’Eaubonne. Le journal Tout, des « Maos Spontex », paraît dans cette période et publie leurs revendications. Après 1981 et ses multiples trahisons, Guy Hocquenghem dénoncerait dans un essai fameux les révolutionnaires passés bien vite « du col Mao au Rotary ». Au FHAR, se détachent les Gazolines, « nos âme sœurs, un groupe informel de femmes et de folles – dont plusieurs allaient par la suite faire leur transition. » Parmi elles, une certaine Hélène Hazéra, qui deviendra journaliste à Libération, puis à France-Culture – elle signe la postface chaleureuse du livre de son amie Lola.
À travers l’exemple d’un parcours (le sien, tout de même !), le livre de Lola Miesseroff ne déroule rien d’autre qu’un éloge de la liberté, de l’ouverture et du respect mutuel ; il apporte une goutte d’air frais dans une époque où la restriction inquisitrice semble vouloir prendre les rênes à tous les étages. Il va sans dire que le rétrécissement des désirs et de la spontanéité ne va pas sans un accroissement de la terreur et de la violence. À l’heure du flicage généralisé, le nombre d’abus de puissance, d’agressions ne paraît pas avoir diminué, et la publicité qu’on leur fait, sans que la justice soit mieux rendue, risque d’avoir pour effet, derrière un conformisme de façade, d’accroître le champ du sordide, la frustration et le crime.
Lire Fille à pédés, c’est aussi se rappeler que vivre à l’écart de la norme bourgeoise ou laborieuse était jadis économiquement jouable sans trop de sacrifices. Petits boulots occasionnels et débrouilles diverses permettaient de s’en sortir décemment ; le sens du partage et le refus de thésauriser étant bien sûr, aujourd’hui comme hier, la base de toute existence sensée. 

« Pourtant je voudrais tant espérer qu’on aura plus besoin d’affirmer telle ou telle orientation sexuelle, qu’on pourra simplement aimer des individus le jour où seront abolies, en même temps que l’exploitation du travail, les institutions que sont le couple et la famille, la sexualité normée et normative, et plus largement, tout ce qui nous vole et nous pourrit la vie. »

Après un premier livre qui rapportait les témoignages et paroles de quelques rescapés de mai 68, Lola écrit à la première personne, avec une simplicité qui fait du bien, une absence de détours ; son message est salubre et tonique, puisse-t-il nous débarrasser du jésuitisme ambiant. Il en est l’antidote.

Rengainez on arrive ! en accès libre

lundi 8 juin 2020 :: Permalien

Rengainez on arrive ! rend compte de la richesse des luttes contre les crimes racistes et sécuritaires, de la fin des années 1970 au milieu des années 2000, de Rock against Police aux dernières mobilisations du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB).
Cet ouvrage, rédigé par Mogniss H. Abdallah, l’un des acteurs importants de l’auto-organisation des quartiers populaires, a été publié en 2012. Il est toujours disponible au format papier.
En ces temps de forte mobilisation internationale contre les violences policières, sa lecture retrouve une particulière acuité.
Voici les fichiers ePub (2,8 mo) et PDF (7,5 mo), en accès libre.

Dixième tirage et une postface pour Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce

mardi 19 mai 2020 :: Permalien

Dixième tirage lancé ce jour pour le texte de Corinne Morel Darleux, une édition augmentée d’une postface d’après le confinement et reproduite ici.

Postface, mai 2020

Un an a passé depuis la première édition de Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, en juin 2019.
Des mois extraordinairement denses sur le front des luttes sociales et écologistes, qui ont vu se succéder les opérations de collectifs écologistes radicaux, la répression policière sur les Gilets jaunes et les mobilisations contre la réforme des retraites. Une année déterminée, des blocages d’entrepôts Amazon aux représentations du Ballet sur le parvis de l’Opéra Garnier. Une année marquée, évidemment, par l’apparition du coronavirus dans nos vies, le confinement et les attestations de sortie. L’impensable d’une économie stoppée net, des aéroports et frontières fermés, l’ébauche d’un krach boursier, des émeutes de la faim et le pétrole qui s’échange à prix cassés. Un état d’urgence sanitaire qui ressemble à s’y méprendre à un arsenal de lois sécuritaires, la promesse d’une vie épiée par des drones, d’autorisations, de tampons et de cachets, de décrets pour nous intimer de ne pas s’embrasser.
Le paysage qui se dessine est celui d’un monde fissuré. Une ligne d’horizon au relief torturé, dont le tracé aurait été piétiné par un golgoth s’engouffrant dans nos vallées. Écorchant ici, rayant là, fracturant tout ce qui se trouve sur son chemin. Une topographie s’apparentant à un gigantesque jeu de destruction. Des sommets écroulés, des vallées ensevelies, des gouffres ouverts, des rivières asséchées et, au milieu de cette désolation, des êtres doués de raison qui ne savent plus où poser leur regard. Un monde qui n’en finit plus de s’effondrer sous son propre poids, celui des dénis, des échecs et des trahisons. Et une ligne de crête qui se rétrécit sous nos pas.
L’impression de flotter sans grâce au milieu d’un océan de désastres, bande de naufragés épars qui tapent des bras sur la surface et ne provoquent que l’écume entre les yachts qui passent, respirent par petites goulées leur dose d’air quotidienne avant de retourner sous la ligne de flottaison. Se demandant parfois si plus bas, à l’abri des radars, dans les bas-fonds, se noue la tectonique d’où jailliront les futurs volcans. Là, se disent-ils, dans les abysses qui recèlent tant de trésors et de surprises, de vie aussi, se trament peut-être d’autres étoffes qui certes n’auront pas la douceur de la soie mais auront la résistance du tissu entrecroisé de mille liens, mille fois remis sur le métier. Là se tapit le droit de couler en beauté.
Je navigue entre la surface et ces bas-fonds. Entre la partie visible et celle qui ne l’est pas, entre le public et l’intime, entre l’institution et l’anonyme. Entre le réel et la fiction. Victime d’une « suspension d’incrédulité » non consentie, cette suspension of disbelief qui consiste à désarmer, le temps d’un film ou d’une lecture romanesque, son esprit rationnel pour mieux se plonger dans la joie de l’improbable, de l’absurde, de la prestidigitation. Mais dans le réel, la suspension d’incrédulité tourne vite au malaise. Ce sentiment parfois de vivre dans un film, un malentendu, que quelqu’un va exploser de rire en pointant la caméra cachée. Où est la frontière entre fiction et réalité ? Est-ce qu’on peut se frotter les yeux maintenant et se réveiller ?
Hélas non. Il n’y a pas de caméra cachée. Pas de dernière page au roman ni de The End indiquant qu’il est temps de retourner au réel. Juste une gigantesque dystopie.
Dans cette dystopie, naturellement il y a encore de la beauté, des instants volés, des joies pures. Mais entouré d’un tel fracas, le sel de la vie soulage à peine. Quand on passe du printemps dans le Vercors aux images de la gare du Nord. Quand on récolte avec une excitation de gamine les premières fraises de la saison tout en relayant les informations sur les distributions des brigades solidaires et les occupations de McDonald’s à Marseille. Quand la joie de la journée est d’avoir sauvé une nichée de rougequeues noirs… Comment vit-on avec ce sentiment déchirant d’avoir toute la beauté du monde à ses pieds pendant que la forêt brûle et de ne pouvoir « sécher la larme d’une seule feuille » ?
Ici, la vie quotidienne n’a pas changé. Les tracteurs ont continué à circuler, les vignes à être cultivées et les brebis à pâturer. On a continué à pester contre les intrusions intempestives des chiens et des sangliers. On a salué le retour des hirondelles et des martinets. Les promeneurs ont continué à apparaître, avec ou sans chien, sur le chemin qui mène au col. Et pourtant, insidieusement, ce qui constituait notre présent est désormais relégué au passé. Le futur est impossible à prévoir. Nous sommes incarcérés dans un entre-temps, un interstice de l’histoire dans lequel il va falloir faire de nécessité vertu.
Refuser de parvenir, cultiver la dignité du présent, lutter pour sauver chaque gramme de beauté et savourer le vivant… L’obus nommé Covid n’a pas enterré le fil que je déroule dans ce livre. Si je devais le réécrire à l’aune des événements récents je ne le modifierais probablement qu’à la marge, tant le sentiment est puissant aujourd’hui que tout a changé pour que rien ne change. Que la pandémie qui nous frappe aujourd’hui ne pose pas tant de nouveaux jalons qu’elle ne marque davantage le creux des tendances qui étaient déjà là, passant et repassant pour mieux marquer le trait comme de l’ongle sur le bord d’une feuille pliée, jusqu’à pouvoir la découper.
L’écho de ce livre ne s’est pas démenti depuis sa sortie, j’en suis touchée et surprise. Ce petit essai qu’on disait inclassable, rédigé à la première personne du singulier contre toute bienséance académique, qui mêle l’intime et le public, le littéraire et le politique sans respecter les conventions du genre, a trouvé des milliers de lectrices et de lecteurs qui ont su puiser leur universel dans son singulier. Et ce, loin des grands boulevards médiatiques, en empruntant les chemins de traverse de la littérature buissonnière. Quelques grammes de réflexions et de munitions marines qui ont circulé de main en main, grâce au formidable engagement de libraires indépendants, à des lectrices et lecteurs qui se sont improvisé·e·s ambassadeurs et le conseillent, l’offrent, l’abandonnent sur un quai de gare ou un comptoir pour le faire voyager, l’emportent sur un voilier et le prolongent à leur main, chuchotant son titre, le mettant en musique, le transformant en refrain, en vers ou le plaçant dans la bouche de comédiens.
C’est très beau, l’épopée d’un livre qui vous échappe. Un texte qui vit sa vie. Plus beau encore, d’avoir le plaisir extrême, en tant qu’écrivaine, de recevoir des cartes postales de ses différentes escales. J’ai reçu des centaines de témoignages de vos lectures, soulignant les mots qui vous ont renversés, ceux qui vous ont fait réfléchir, douter, ceux qui semblaient écrits pour vous, les idées qui ont provoqué des élans, la découverte de Moitessier et l’envie de relire Les Racines du ciel, les mots qui font écho, ceux qui rassurent, réveillent, décident. J’ai reçu des photos de lucioles et de ce petit livre en vitrine, en bord de rivière, au milieu des tomates, en bord de périphérique ou sur une table de pique-nique. J’ai savouré chacun de vos récits plus personnels, témoignages de confiance que j’ai accueillis comme une heureuse réciprocité dans le fait de livrer un peu de soi. Venus de marins poètes, de mavericks enchantés, de néophytes ou de militants convaincus, ce sont autant de témoignages d’une dignité folle, parfois drôles, toujours touchants, qui me donnent le sentiment que tout n’est pas complètement mort. Et diable comme on en a besoin !
Ce livre, je l’ai accompagné pendant des mois aux quatre coins du pays dans ses accélérations et ses détours, au gré des invitations en librairie, de festivals grands et petits, de salles associatives en débats publics, d’arrière-cours improbables en lieux censément prestigieux, sur les ondes de radios libertaires et associatives, à travers les lignes de blogueurs passionnés et de journalistes affûtés. Je l’ai croisé dans les salons et les cuisines de camarades de luttes, de voisins, d’activistes et d’intellos, de précaires et de radicaux. Je l’ai entendu bruisser dans les conversations de militants, apprentis ou expérimentés, dans les regards d’amies imparvenues, de pisteurs de sauvage et de romanciers généreux. J’ai suivi sa trace chez les adeptes de la beauté et les fans de poésie, chez des consultants en rupture de ban, des paysans engagés, des navigateurs émus et des amis, tout simplement… Je veux ici remercier chacun de vous d’accompagner ce petit livre avec autant de sensibilité, de confiance et de constance.

Le pouvoir de l’écriture, des mots comme munitions, je l’avais expérimenté en tant que lectrice mais je n’osais y croire en tant qu’autrice. J’aurais trouvé ça laidement présomptueux de ma part. J’ai grandi avec des livres, des romans qui m’ont accompagnée dans mes moments de solitude, m’ont sauvée de moments pénibles en ouvrant des échappées, m’ont nourrie. Ma gratitude envers les auteurs qui savent offrir les mots qui évadent, envolent et consolent est infinie. Envers celles et ceux, surtout, qui savent raconter une histoire, nous y emmener avec grâce, fantaisie et finesse, celles et ceux qui construisent des mondes, des univers entiers, qui font pouffer, sangloter ou frissonner juste en alignant des lettres sur une page. J’ai toujours trouvé ça magique et remarquable. La fiction, l’imaginaire… Aujourd’hui que le réel est devenu si pesant qu’on a du mal à retrouver l’échappatoire que représente la fiction, voilà ce que j’aimerais offrir encore. Des récits, des paysages et des personnages comme autant de renforts qui sauvent ne serait-ce qu’un instant de l’ennui, de la morosité, de la médiocrité, des naufrages et du dévissage de la société.
Je souhaite profiter de l’occasion qui m’est donnée avec cette postface pour réparer un oubli. Pendant le confinement, j’ai été dans l’incapacité de renouer avec la fiction. Prise dans la virulence de l’actualité, ensevelie sous les informations, les conseils de lecture, les dossiers à lire absolument, les sollicitations pour donner mon analyse de la situation, soutenir des initiatives, relayer des actions, relire des textes, signer des tribunes… L’imaginaire siphonné par cet amoncellement de réponses à fournir et d’invitations à décliner, épuisée d’avance par le nombre de notifications arrivées pendant que j’écopais péniblement le raz-de-marée de ma messagerie, j’ai eu le sentiment très désagréable que ma capacité à m’évader du quotidien avec un bon livre ou à écrire en faisant preuve d’un minimum de créativité s’était tarie.
C’est Jack London, comme souvent, qui m’a sauvée de cette panne momentanée. Le premier roman que j’ai rouvert pendant le confinement a été Radieuse Aurore, un titre mésestimé dont je gardais un souvenir enchanté. En quelques pages, je me suis retrouvée sur les pistes des chercheurs d’or du Klondike. Mille fois je suis tombée amoureuse de cet aventurier robuste, joueur et capricieux et mille fois je l’ai quitté furieuse. J’ai arpenté avec lui la Sonoma Valley avec la gratitude de celle qui débouche d’une ruelle grise et humide un soir d’hiver pour entrer dans une clairière ensoleillée et noyée de fleurs. Surtout, je m’en suis voulu d’avoir oublié de faire une place à Radieuse Aurore à côté du Morel de Romain Gary tant ce personnage est l’archétype du rise and fall : son ascension dans les sphères de la finance, l’appât du jeu et de l’alcool qui déforment les traits, la fortune qui saccage le droit au bonheur, les combines sans pitié et, soudain, la révélation amoureuse d’une femme, le choc esthétique et sensoriel d’un territoire et de ses paysages qui conduisent au refus de parvenir, la libération par le dépouillement du superflu, la simplicité retrouvée d’une vie harmonieuse… Radieuse Aurore avait toute sa place dans Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Une place d’honneur.

De l’honneur, du courage, de la robustesse, de la simplicité et de l’élégance, il va nous en falloir notre ration quotidienne pour absorber les prochains chocs qui viennent, qu’ils soient sanitaires, climatiques ou économiques. Pour suivre les pistes ouvertes par les différentes initiatives d’entraide auto-organisée nées dans les marges du confinement. Pour résister à la destruction du monde, aux atteintes à nos droits et à nos libertés, pour assurer nos subsistances et faire le tri dans nos priorités. Alors prenez soin de vous, ne cédez rien de ce qui vous est singulièrement essentiel, autorisez-vous le beau et le sauvage. N’oubliez pas la tectonique des interstices et des bas-fonds. Dévorez les journées avec grâce. Et Carpe that fucking diem.

Corinne Morel Darleux