Éditions Libertalia
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lundi 25 octobre 2021 :: Permalien
Paru sur le site d’Acrimed, le 22 septembre 2021.
Guillaume Goutte, correcteur et secrétaire délégué des correcteurs au Syndicat du livre CGT, publie un court ouvrage aux éditions Libertalia, dans l’objectif de « faire le point sur les réalités du métier de correcteur au XXIe siècle, dans la presse et dans l’édition, et sur les enjeux dont l’activité syndicale doit se saisir pour permettre aux correcteurs de faire face et de rebondir ».
Guillaume Goutte met l’accent sur la précarité de la profession. « Aujourd’hui, la majorité des correctrices et correcteurs en activité sont des travailleurs payés à la tâche, à la pièce », explique-t-il. Un « tâcheronnage » qui « s’exprime à travers divers statuts ou formes de rémunération, dans le cadre du salariat (statut de travailleur à domicile, rémunération à la pige, contrat de travail à durée déterminée) ou du travail prétendu indépendant (microentrepreneuriat, rémunération en droits d’auteur). »
La précarité est en effet, écrit-il, « la règle pour tous » :
Car le paiement à la tâche, c’est d’abord l’assurance d’avoir des revenus qui fluctuent d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre, sans grande visibilité, les charges de travail prévues pouvant être annulées ou reportées à tout moment.
« Le métier de correcteur est socialement sinistré », résume-t-il, après avoir évoqué la disparition progressive du métier de correcteur de presse. « Les cassetins de presse, qui accompagnaient chaque titre de presse au siècle dernier, ont été réduits à portion congrue, voire supprimés. » Dans la PQR, exception faite du Parisien, « les correcteurs ont disparu, la correction étant reléguée aux secrétaires de rédaction […], voire, dans certains titres, éliminée. » En revanche, tous les titres de presse quotidienne nationale « disposent encore d’un service de correction ». Tous… sauf Libération, « qui a eu bien du mal à embaucher des correcteurs mais aucun à s’en débarrasser en 2007 ».
Face à ces dynamiques, Guillaume Goutte appelle à défendre le métier. Il incite par exemple à se mobiliser contre « l’injonction à la polyvalence », ici dans la presse :
Considéré comme désuet, hérité d’un autre âge, le correcteur voit son savoir-faire confié au secrétaire de rédaction, pour le support imprimé, ou à l’éditeur, pour le Web. Soit il devient lui-même secrétaire de rédaction ou éditeur, soit le secrétaire de rédaction ou l’éditeur absorbe sa charge de travail. Dans les deux cas, le métier s’efface derrière le salarié multitâche. Beaucoup d’entreprises, surtout en presse magazine et en presse quotidienne régionale, ne voient désormais plus l’utilité de professionnels exclusivement dédiés à la correction des journaux. La première victime de cette polyvalence, c’est la qualité éditoriale, du fait que cette fusion des fonctions impose que l’une s’exerce au détriment de l’autre, inéluctablement.
Avec « quels outils pour lutter » ? Guillaume Goutte achève son livre en proposant des moyens d’action : « créer du lien entre les correcteurs », s’investir dans le travail syndical, ou encore dénoncer publiquement les journaux et les maisons d’édition qui bafouent le Code du travail.
Maxime Friot
lundi 25 octobre 2021 :: Permalien
Paru dans Politis, 30 septembre 2021.
Ancien dirigeant de l’ONG Reporters sans frontières, Robert Ménard aime les devants de la scène. Maire de Béziers, ville de province « déclasséé », il joue aisément les porte-parole de la « France d’en bas » alors que, comme toujours à l’extrême droite, il se plaît à frayer avec les dominants. L’historien Richard Vassakos, enseignant à l’université de Montpellier, analyse sa stratégie d’édile d’extrême droite, mêlant provocations musclées et affichages réactionnaires. Le décryptage précieux d’une offensive culturelle nauséabonde, au sens gramscien du terme.
vendredi 22 octobre 2021 :: Permalien
Richard Vassakos, auteur de La Croisade de Robert Ménard, interrogé par France 3 Occitanie à propos de la venue d’Éric Zemmour à Béziers.
« Il affole les sondages, il joue les perturbateurs au sein d’une droite extrême qui ne sait plus où donner de la tête. Éric Zemmour était l’invité de Robert Ménard le maire de Béziers qui rêve toujours d’une union des droites au sens large. Une visite très médiatisée alors que le polémiste n’est toujours pas déclaré candidat à la Présidentielle.
Pourquoi un tel emballement autour d’une personnalité du PAF qui ne laisse pas indifférente ou qui agace ? Un historien chercheur, Richard Vassakos qui a consacré un livre au système Ménard à Béziers s’en explique. »
vendredi 22 octobre 2021 :: Permalien
Paru dans Partisan numéro 14, 2019.
Aussi vrai qu’elles n’ont jamais cessé d’y participer, les femmes n’ont jamais cessé de témoigner des luttes et des révolutions, par la plume et le pinceau. Mais le patriarcat s’est efforcé de les réprimer et les ramener au silence. Et souvent leurs propres camarades révolutionnaires se sont fait les auxiliaires les plus zélé-e-s de cette répression et de cette silenciation. Depuis les années 1970 on redécouvre progressivement l’œuvre de Séverine (de son vrai nom Caroline Rémy), longtemps présentée comme une simple « amie et collaboratrice » de Jules Vallès, le célèbre « insurgé » de la Commune de Paris.
Le centenaire de la révolution d’Octobre a été l’occasion de traduire enfin en français Six mois rouge en Russie de Louise Bryant, et d’apprendre qu’elle n’était pas que la « Friend and lover » de John Reed. Depuis 1919, le livre de Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, traduit dans toutes les langues, a été constamment réédité, et étudié à la loupe par des générations de militant·es qui se rêvaient d’imiter les bolcheviques. On ne se souvenait plus guère de Louise Bryant que grâce ou à cause du film romantique de Warren Beatty, Reds (1981), ou elle apparaissait sous les traits de Diane Keaton. Comme son traducteur l’écrit dans la préface du livre : « Cette unique occurrence cinématographique ne lui permettait pas de sortir du statut dépréciatif de jolie et sympathique girlfriend » du journaliste révolutionnaire. À la lecture de la fresque pleine de vie qu’elle dresse de la deuxième expérience de dictature du prolétariat, on mesure tout ce que lui doit le livre de Reed, publié quelque mois plus tard.
Journaliste socialiste et féministe, engagée dans le soutien aux luttes ouvrières et dans la bataille pour le droit de vote des femmes, Bryant a existé et témoigné de son temps avant sa rencontre avec Reed et a continué à la faire pendant les seize années où elle lui a survécu. Reed est mort à Moscou en 1920 dans les années héroïques de la révolution (même s’il sentait déjà venir le ressac). Bryant aura le temps de voir et de dénoncer dès 1926 la dégénérescence du processus révolutionnaire, sans pour autant renoncer à son idéal de libération. La bourgeoisie ne lui donnera pas l’absolution qu’elle réserve aux repentis. De plus, elle était trop libre et trop bisexuelle pour que son époque le lui pardonne. Même l’anarchiste Emma Goldmann la trouvait trop délurée pour l’inviter à sa révolution. Aucun groupe militant n’était prêt à prendre soin de son souvenir. Notre époque semble prête à l’écouter enfin. Tant mieux.
Comme femme, elle aura un accès privilégié à des figures de la révolution comme Catherine Breshkovski, Maria Spiridonova ou la camarade Alexandra Kollontaï. Elle aura côtoyé de près les bolcheviques dans leur QG de l’institut Smolny. Surtout, elle décrit avec finesse la spontanéité révolutionnaire, la rapide maturation des consciences, la façon dont le prolétariat s’empare des problèmes politiques et prend confiance en sa force. Bien loin des fantasmes de complots, et de coups d’état par lesquels la bourgeoisie explique la révolution, ce récit remet les masses sur le devant de la scène. Il montre que la réalité d’une révolution est complexe et ne rentre pas dans les schémas préétablis chers aux dogmatiques. Elle montre aussi à quel point c’est une expérience exaltante et elle le fait avec beaucoup d’humour, de passion et de lucidité politique.
mardi 19 octobre 2021 :: Permalien
Publié dans Libération, le 19 octobre 2021.
Radical et parfois déconcertant, un abécédaire réunit 68 autrices pour saisir le foisonnement de ces mouvements ces vingt dernières années.
« C’est une arme par destination », lance mi-sérieuse mi-amusée Elsa Dorlin. La philosophe et militante féministe a coordonné Feu ! Abécédaire des féminismes présents, publié le 14 octobre aux éditions Libertalia. Un objet contondant de 700 pages, qui réunit 68 autrices, militantes, penseuses, collectifs pour saisir la diversité des mouvements féministes de ces vingt dernières années. Des noms connus : Adèle Haenel, Assa Traoré, Valérie Rey-Robert, d’autres plus souterrains, non moins importants comme Geneviève Bernanos, cofondatrice du collectif Mères solidaires, des zadistes, des zapatistes…
Le duo entre la maison d’édition de critique sociale, indépendante, volontiers pirate et la féministe radicale laisse peu de place au doute quant au contenu de l’ouvrage. « Les féminismes contés dans ce livre sont autant de brasiers allumés, de contre-feux dans un monde partout calciné par le patriarcat », écrit Elsa Dorlin dès l’introduction.
Aucun article ne se ressemble, entre témoignages, manifestes, développements scientifiques. « Viande », « roller derby », beaucoup de notices surprennent, au milieu des plus classiques « intersectionnalité » et « écoféminisme ». Pas question de frontières fixes, donc, mais plutôt de lignes mouvantes, une « mangrove » selon l’expression d’Elsa Dorlin. Au cours des pages, le lecteur ou la lectrice découvre une nouvelle géographie du féminisme. Ainsi de l’analyse du cancer du sein que développe l’anthropologue Mounia el-Kotni. Pour elle, la malade est un violent réceptacle de toutes les injonctions à la féminité : continuer à se maquiller, mettre des perruques est autant de façon de « rester dans le rang » du féminin. « Cette injonction à la féminité […] fait du cancer du sein un lieu à partir duquel il est possible d’interroger le genre », explique l’autrice.
Dans « Mères », Fatima Ouassak croise le fer avec une certaine vision du féminisme qui, sous l’impulsion de la seconde vague, considère la maternité comme une aliénation : « En France, être mère, c’est trahir Simone de Beauvoir. […]. C’est perdre des neurones […] un truc de beauf, un truc d’immigrée. » Contre cette vision elle oppose une mère politique, engagée en collectif, au front pour une nouvelle éducation des filles et surtout des garçons. « Quels enfants pour le monde ? »
Toute la chair et la vivacité de l’ouvrage sont là : dans des témoignages puissants, des articles fouillés qui viennent du terrain. Car les coordinatrices de l’ouvrage ont eu à cœur de proposer une histoire populaire des féminismes, qui part des « révolutions », des « contre-conduites », des actrices et acteurs des mouvements féministes. La diversité des thèmes, parfois déconcertante, alimente une grande « boîte à outils » dans laquelle piocher pour « affûter ses armes » et « écouter des voix ».
Finalement, c’est à Despentes que les autrices ont laissé le soin de conclure cette joyeuse jungle : « Sur ce, salut les filles, et meilleure route. »
Clara Guillard