Le blog des éditions Libertalia

Emprisonnées dans Breizh Femmes

jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Breizh Femmes, 6 novembre 2024.

Ces chemins qui mènent les femmes en prison

Ce que Audrey Guiller aime d’abord dans son travail de journaliste c’est « aller chercher les personnes qui n’ont jamais accès à la parole publique et leur donner une tribune ».
S’il en est qui sont plus que d’autres encore invisibles, ce sont bien les femmes détenues. Et c’est à elles justement que la journaliste rennaise a choisi de donner la parole, d’abord à la prison des femmes de Rennes puis plus largement.
Avec Emprisonnées paru aux éditions Libertalia, elle offre un recueil de témoignages de dix femmes dans dix pays différents à travers le monde.
 
Au début de l’aventure, Audrey Guiller avait des idées très arrêtées sur ces femmes derrière les barreaux. « Je me disais qu’elles étaient sorties du droit chemin – se souvient-elle aujourd’hui – puis en écoutant leur histoire j’ai compris que c’était leur chemin justement qui les menait tout droit en prison et je me suis posé la question : à leur place, aurais-je pu, moi, m’en sortir ? »
C’est toute cette humanité qui traverse le travail d’Audrey Guiller : onze ans d’abord comme intervenante à la prison des femmes de Rennes où elle animait le projet « Citad’Elles » puis trois ans pour collecter les témoignages et écrire son livre Emprisonnées.
Ces femmes de la marge, elle a su les comprendre et ose dire désormais qu’on « a énormément de choses à apprendre de ces voix qu’on n’entend pas ». Elles le lui rendent bien, saluant avec émotion son ouvrage ; « celles qui en ont connaissance – dit-elle – sont très touchées que leurs histoires puissent intéresser des gens qui ne vont ni les critiquer ni les juger mais juste les écouter ».
 
« Je me surprends à faire et à vouloir des choses que je ne me serais jamais permises avant. Je repousse mes limites (…) Je deviens celle que j’aurais dû être » Capucine (France)
 
L’incarcération n’est pas un sujet très porteur et celle des femmes encore moins, reconnaît volontiers Audrey Guiller qui a dû s’adresser à plusieurs éditeurs avant de signer avec Libertalia. Pourtant, depuis la sortie de son livre en juin dernier, les retours sont unanimes. Ces femmes qui témoignent de leurs dérapages dans des sociétés aussi diverses que le Mali ou le Japon, la Nouvelle-Zélande ou le Brésil en passant par la France, le Cambodge ou le Canada, sont autant de personnalités attachantes, à la fois coupables et victimes.

La journaliste a lancé une quarantaine de pistes pour aboutir à un recueil de dix témoignages écrits après quatre à dix entretiens pour chacune. Représentant moins de 7 % de la population carcérale totale dans le monde, ces femmes sont plus qu’une minorité, « une invisibilité ». Elle a su « s’effacer derrière » leurs mots, derrière leur « je » pour livrer une série de textes d’où ressortent « la force et la lumière ». Sous la violence et les épreuves, brillent quelques récits de reconstruction, quelques histoires de sororité. « La prison ne m’a rien appris – dit Enaam la Syrienne – mais les autres prisonnières m’ont tout appris. » « Si je n’avais pas été au fond du trou, me serais-je rendu compte combien je suis forte ? » s’interroge Merry l’Indonésienne.
La prison, dans la plupart des pays, reste aujourd’hui encore « un lieu de vengeance, d’humiliation, de dévalorisation » regrette Audrey Guiller qui a voulu « rencontrer chaque femme en tant que femme et pas en tant que détenue » même si dit-elle il ne s’agit «  pas les déresponsabiliser de l’acte qu’elles ont commis ».
Les conditions de détention en disent long sur l’état de la démocratie dans chaque pays. En Iran, elle a dû interrompre sa correspondance avec une prisonnière qui aurait couru trop de risques à témoigner ; aux États-Unis, elle a entamé quatre échanges qui n’ont pu aboutir. Parfois, les détenues demandaient un paiement pour livrer leur histoire… De tous les pays parcourus, c’est la Norvège, une fois encore, qui fait figure de modèle, se positionnant comme premier pays à avoir désormais plus de personnes condamnées à des peines hors incarcération que de personnes emprisonnées. Au même moment en France, on reparle de construire de nouvelles prisons ; « c’est bien connu – estime Audrey Guiller – plus on construit de places de prisons, plus on incarcère ! »
 
« Ma famille ne me rend jamais visite. Elle n’est pas venue à mon procès non plus. (…) Les femmes sont considérées comme détentrices de la morale de la famille. L’image de la prison leur colle à la peau » Kadiatou (Mali)
 
Audrey Guiller en avait l’intuition avant d’entamer son travail ; les échanges avec les détenues lui ont confirmé : « la notion de genre impacte vraiment la détention ». Presque toutes les femmes qu’elle a approchées ont connu violences et traumatismes avant leur emprisonnement. « La société – dit-elle – emprisonne à un moment des femmes qu’elle n’a pas su protéger à un autre moment. » Les parcours racontés sont jalonnés d’histoire de violences sexistes et/ou sexuelles, d’un vécu qui a rendu ces femmes vulnérables et « favorise le passage à l’acte illégal ou délictueux ». « Ma famille n’en avait rien à foutre de moi, le système n’en avait rien à foutre de moi. Donc, j’en avais rien à foutre de moi » raconte Ina de Nouvelle-Zélande.
Si depuis 2020, la population carcérale féminine connaît une augmentation assez phénoménale – plus 60 % contre plus 22 % chez les hommes – c’est notamment, explique encore Audrey Guiller, à cause de la place grandissante des femmes dans les trafics de drogue où elles jouent les rôles de « mules », plus exposées que les hommes, et deviennent consommatrices pour « anesthésier les violences qu’elles ont subies ».
Dans tous les cas de figure, « la prison désocialise beaucoup plus rapidement les femmes que les hommes » défend encore Audrey Guiller. Si l’incarcération peut parfois être valorisante pour un homme, elle ne l’est jamais pour une femme qui se retrouve généralement privée de tout soutien extérieur. « Les femmes soutiennent les hommes en prison, mais pas l’inverse  » écrit Audrey Guiller.
Moins de possibilités de se former ou de travailler en prison, moins de visites ou d’aide financière, une réinsertion plus difficile encore à la sortie, la détention est un monde fait « par les hommes et pour les hommes » ; c’est aussi pour les femmes une forte culpabilisation de ne plus pouvoir s’occuper des enfants, des parents, etc. Certains pays ont compris que mettre les femmes en prison coûte cher financièrement et socialement et commencent à chercher des alternatives à la détention pour les femmes.

Geneviève ROY

Femmes pédagogues dans Alternative libertaire

jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Alternative libertaire, novembre 2024.

Les tâches éducatives, c’est comme la cuisine, au quotidien ce sont essentiellement les femmes qui y sont assignées mais quand il s’agit d’excellence on n’y retrouve que des hommes !

Constatant que « d’hier à aujourd’hui, quel que soit l’angle adopté, la théorisation pédagogique, à quelques exceptions près, reste l’apanage des hommes », Grégory Chambat redonne voix dans cet ouvrage à des femmes et collectifs de femmes qui ont toutes marquées l’histoire de la pédagogie émancipatrice.
Ce faisant il répare une injustice faite dans son excellent Pédagogie et Révolution, publié en 2011 déjà chez Libertalia, dans lequel ne figuraient que des hommes !
Grégory Chambat propose ici non pas de donner voix à des figures féminines pour y mettre en avant une prétendue « pédagogie féministe », mais, dans la lignée de ses « (re)lectures pédagogiques », de faire dialoguer des expériences individuelles et (surtout) collectives, en France mais aussi à l’étranger, avec nos questionnements pédagogiques contemporains, inscrits dans des réflexions que l’on peut mener dans « nos combats, militants, sociaux, pédagogiques ».
Tentant d’échapper à une histoire écrite d’en haut et pour le haut, Grégory Chambat propose de « renverser le point de vue sur la pédagogie » et d’insister davantage sur son « ancrage au plus près du terrain » de même que sur la « nécessaire articulation théorie/pratique/projet social ».
Ainsi l’ouvrage présente dix personnalités et collectifs que l’on découvre ou redécouvre à la lumière de ces « (re)lectures pédagogiques  ». Non pas dans le but d’aligner des biographies ou de dresser un inventaire des expériences et innovations pédagogiques, mais de chercher dans ces pratiques sociales inspirantes de quoi éclairer nos propres pratiques pédagogiques émancipatrices.
Un ouvrage particulièrement stimulant pour toutes les personnes intéressées par les questions pédagogiques et au-delà pour toutes celles et ceux qui se questionnent sur l’émancipation et son articulation dans nos luttes.

David (UCL Savoies)

Une belle grève de femmes dans Les Nouvelles de Loire-Atlantique

jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Les Nouvelles de Loire-Atlantique, n° 1078, 12 novembre 2024.

Moment d’histoire.
La grève des Penn sardin de Douarnenez

À Douarnenez en 1924, des milliers de filles d’usine œuvrent dans les conserveries de sardines, appelées au turbin par des contremaîtresses qui battent le rappel à l’arrivée des marins et de leur cargaison. Le travail est épuisant, pouvant parfois les maintenir debout jusqu’à dix-huit heures d’affilée, les pieds dans les viscères de la poiscaille. L’activité sardinière, c’est aussi la fabrication de millions de boîtes de conserve, notamment par l’usine Carnaud d’où partira l’étincelle d’une grève qui mettra tout Douarnenez à l’arrêt, grève suivie rapidement par le pays entier, grève dont les initiatrices sortiront victorieuses, après plusieurs mois de lutte.
Avec son livre sur ce moment d’histoire, Anne Crignon nous donne à voir le monde des sardineries du début du XXe siècle ainsi que les conditions de travail totalement dégradées des ouvrières parmi les plus mal payées de France, les heures supplémentaires à rallonge non rémunérées, le mépris des patrons et de leurs sous-fifres, les rancœurs qui grandissent. L’autrice nous donne à voir par ailleurs les manœuvres des patrons, intraitables et sûrs de leur bon droit, qui se réunissent à Quimper pour garder la distance, le Comité des forges, puissant syndicat patronal ennemi déclaré du prolétariat, des gros bras mercenaires venus de Paris pour briser la grève.
Mais Anne Crignon nous montre aussi le drapeau rouge usé de la grève des sardinières et des soudeurs de 1905 ressorti, les manifestations désordonnées du début qui s’organisent peu à peu, les chants de toutes les luttes entonnés par les rues et les meetings, ceux que l’on invente pour la circonstance, cette solidarité qui fait bloc dans la ville, la région puis l’ensemble du pays.
De cette histoire lutte vont émerger, au milieu de la foule en mouvement, quelques figures exemplaires, de la journaliste de L’Humanité Lucie Colliard au maire communiste Daniel Le Flanchec avec une attention particulière portée à Joséphine Pencalet qui sera ensuite élue au conseil municipal, élection invalidée par un Conseil d’État qui ne pourra pas admettre qu’une femme puisse être élue à une époque de suffrage uniquement masculin.

Entretien avec Théo Roumier pour SolidaritéS

jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien avec Théo Roumier pour SolidaritéS, octobre 2024.

Rééquiper le tissu syndical d’une stratégie offensive

Malgré sa perte de vitesse lors des dernières décennies, le mouvement syndical français reste un contre-pouvoir essentiel qui s’appuie sur un tissu organisationnel composé de centaines de milliers de personnes. Théo Roumier rappelle que c’est précisément ce caractère massif qui fait la force du syndicalisme et qui fonde son potentiel de transformation sociale. Entretien avec ce syndicaliste qui vient de publier un ouvrage sur Charles Piaget et qui donnera deux conférences en Suisse.

Malgré l’arrivée en tête du Nouveau Front populaire (NFP) lors des élections législatives françaises au début de l’été, Macron a choisi un vieux baron de la droite – Michel Barnier – comme Premier ministre. En tant que syndicaliste, quel regard portes-tu sur cette séquence des derniers mois ?

Disons déjà que la constitution comme le score du NFP n’étaient pas gagnés d’avance, loin de là. On sortait d’un scrutin européen fratricide à gauche, avec des désaccords très profonds, notamment sur l’expression de la solidarité – pourtant indispensable – envers le peuple palestinien. Mais l’élan unitaire a su déborder les appareils. D’abord par des appels à l’union, et ce dès le 10 juin, lendemain de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Macron. Des appels qui émanèrent assez vite de militant·es du mouvement social mais aussi d’organisations syndicales en tant que telles, avec au premier rang, il faut le dire, la CGT. Tout le monde au sein du « peuple de gauche », si on peut utiliser cette expression, avait parfaitement conscience que le risque de victoire de l’extrême droite était réel. Toutes listes confondues, elle avait atteint quasiment les 40 % au soir du 9 juin. Nous étions en état de choc. Mais nous avons su retourner ça en énergie militante, dépasser les sectarismes et les postures doctrinaires.
Dans mon propre syndicat – SUD éducation – j’ai été bluffé par la conscience qu’avaient les adhérent·es et les militant·es d’être face à un moment de bascule, par la conscience qu’elles et ils avaient de la gravité de la situation. SUD est très attaché à l’indépendance syndicale, farouchement même. Très méfiant aussi envers les formes de représentation de la démocratie bourgeoise. Mais là, lorsqu’il a fallu décider d’appeler clairement à voter pour les candidatures du NFP, le syndicat n’a pas tergiversé. Sans se subordonner non plus. Et ça, on l’a retrouvé dans d’autres structures, CGT et FSU principalement, et dans d’autres secteurs professionnels. Des associations aussi, comme Attac ou le Planning familial, n’ont pas hésité à prendre leurs responsabilités. Pour la France c’est quelque chose d’assez exceptionnel (même si ça n’est pas absolument nouveau).
Cet engagement du mouvement social, ainsi que de nombreuses personnes inorganisées, c’est ce qui donnait la base d’un Front populaire qui n’était pas réduit au seul cartel électoral. Cette distinction était présente : les syndicats, la CGT, appelaient à « faire front populaire », dépassant la seule logique du scrutin. C’était un sursaut antifasciste dans les urnes, oui, mais ça n’était peut-être pas seulement ça.
Et je crois qu’un des problèmes que nous avons aujourd’hui c’est que les habitudes ont bien trop vite repris le dessus : le NFP est devenu (ou resté) une combinaison d’appareils politiques sans se saisir pleinement de la vitalité qui s’est exprimée au début de l’été. C’est une étiquette, un sigle presque banal qui ne remplit pas la fonction de « catégorie politique vivante » [1]. Alors qu’on aurait pu imaginer des cadres communs de Front populaire – à la base mais aussi au sommet – alliant les associations, les syndicats, les politiques pour « battre le fer tant qu’il est chaud » comme dit la chanson. Y compris en garantissant l’indépendance et la liberté de critique et d’action de chacune et chacun. Mais au moins, l’initiative aurait été de notre côté… et surtout n’aurait pas été seulement cantonnée au choix laborieux d’un nom de premier·e ministrable du NFP ! Quant au présidentialisme, il continue de dévorer les ambitions, même à gauche malheureusement. Ça n’est pas seulement ça, mais c’est aussi ça qui a laissé de l’espace à Macron : résultat, on se retrouve avec un gouvernement de droite dure sous surveillance d’un RN au groupe parlementaire renforcé. Rien n’est jamais perdu, mais l’extrême droite est plus que jamais en embuscade.

Quelles sont, selon toi, les implications de cette situation pré-fasciste en France sur le mouvement syndical ?

Elle nous met au pied du mur. Je parlais des habitudes : il va falloir sérieusement les bousculer. La crise institutionnelle, réelle, ne tempère pas les appétits du capital. En dernière instance, le patronat, comme en 1936, préfèrera le RN au NFP. Qu’est-ce qui peut faire rempart pour notre camp ? Le mouvement social. Dans toute sa diversité et avec le plus de combativité et d’imaginaire possible.
Il faut pour çà « rééquiper » le syndicalisme d’une stratégie offensive. Ça n’est pas simple : les discours sur le « bouton rouge » de la grève générale sont passablement agaçants de ce point de vue quand on sait à quel point le travail d’organisation est exigeant. Un travail d’organisation qu’il faut remettre au centre. Faire des « cartes ouvrières » pour se développer, réfléchir les implantations importantes… Et puis est-ce que « l’intersyndical » c’est seulement un appel avec une collection de logos ? Est-ce que ça ne peut pas être des tournées communes, des affiches collées ensemble, des tracts distribués ensemble, etc. ? Est-ce qu’il ne faut pas renforcer encore l’unité, réfléchir plus avant – et plus vite – à une possible unification syndicale ?
Le syndicalisme hexagonal n’est peut-être pas au mieux de sa forme, mais il offre toujours des possibilités que n’ont pas les autres organisations. Par le maillage du territoire qu’il a, les locaux… et surtout la connexion directe et concrète aux classes populaires. Même s’il y a des permanent·es, des « bureaucrates », le syndicalisme ça reste des centaines de milliers de femmes et d’hommes qui résistent et tissent des solidarités au quotidien. L’outil n’est pas parfait (mais lequel l’est aujourd’hui ?), il n’est pas non plus imperméable aux idées d’extrême droite, mais il a cet ancrage, dans les villes mais aussi dans les territoires ruraux, qui peut être décisif dans les mois et les années à venir. À condition d’arriver à traduire les aspirations des classes populaires dans un sens anticapitaliste et progressiste.

Tu seras présent le 30 octobre prochain à Lausanne, répondant à l’invitation de la section vaudoise de solidaritéS pour présenter ton ouvrage sur la trajectoire de Charles Piaget. Qu’ont les réflexions et expériences de ce célèbre syndicaliste à nous apporter dans la période ?

Beaucoup je pense, même si les contextes sont différents. Charles Piaget – qui nous a quitté l’an dernier – est connu pour son rôle dans la grève de Lip en 1973. Mais il a milité toute sa vie. D’abord comme syndicaliste CFTC puis CFDT dans son usine, à Besançon [2]. En s’engageant contre le colonialisme et la guerre d’Algérie, pour un socialisme anti-autoritaire au PSU [3]. Il fut enfin, plus tard, membre fondateur d’AC ! [4]. Son seul parcours, qui est marqué d’une grande sincérité et d’une grande intégrité, est une source d’inspiration. C’était aussi un véritable intellectuel ouvrier. Ses réflexions, étroitement liées à son action, méritent d’être redécouvertes.
Par exemple, un de ses derniers textes directement politique plaidait pour une « voie révolutionnaire démocratique » [5]. Il commençait par affirmer qu’il « n’existe pas de raccourci électoral » pour changer la société. Et Piaget n’était pas anarchiste ! Lui-même a été candidat à plusieurs reprises pour le PSU (il a même failli être présenté, pour la « renverser », à la présidentielle de 1974). Non, ce qu’il voulait dire par là, c’est qu’on ne pouvait pas faire l’économie des tâches de mobilisation collective, d’organisation démocratique à la base. Il y voyait la véritable source d’un changement radical. Parlant du socialisme trente-cinq ans plus tôt, en 1974, il avait eu cette formule cinglante : « Notre objectif n’est pas de remplacer les patrons et les préfets de droite par des directeurs et des préfets de gauche. » En somme, il s’agit de ne pas se tromper, de ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Occuper les lieux de pouvoir, ce n’est pas transformer le pouvoir.
Il en faisait découler une disposition militante : « un projet n’a de valeur et de crédibilité que s’il se traduit dans la pratique quotidienne. (…) La question du socialisme, pour nous, se joue tous les jours. » C’est une conception de l’organisation politique, non seulement comme intellectuel collectif mais comme parti-atelier.
Et dédié à l’auto-organisation des classes populaires. Piaget n’hésitait pas à bousculer les cadres établis de l’action syndicale, martelant qu’il fallait avoir « la capacité d’écouter la base et de [se] laisser remettre en cause », défendant, lui, le délégué syndical, qu’il fallait « accepter d’être dépassé sinon nous devenions un frein au développement de la lutte ».
On retrouve là les termes du débat sur l’autogestion, qui a traversé la gauche dans la décennie 1970. Et finalement, toutes ces questions – il y en a encore d’autres, mais on ne peut pas toutes les soulever ici – on peut les remettre sur le métier.
Parce que regardons la situation actuelle, il n’y a pas de mystère : pour que l’extrême droite recule, il faut que la gauche avance. Pour ça, je suis convaincu qu’il faut une gauche qui se situe clairement, appelons-là comme on veut, « de combat », « de rupture »… mais surtout appuyée sur des pratiques militantes qui dessinent et défendent un projet d’émancipation. Qui le rende palpable et concret. Au plan syndical comme au plan politique d’ailleurs. Cette gauche d’émancipation se cherche aujourd’hui autour de la perspective écosocialiste… sans doute pas si éloignée que ça d’une « voie révolutionnaire démocratique ».

Propos recueillis par Antoine Dubiau

[1Voir Laurent Lévy, « “Front Populaire”, une catégorie politique vivante », Contretemps.eu le 24 juin 2024.

[2Confédération française des travailleurs chrétiens, dont la majorité devient la Confédération française démocratique du travail en 1964.

[3Parti socialiste unifié, fondé en 1960, dissous en 1990.

[4Agir ensemble contre le chômage, fondé en 1993.

[5Retrouvé dans les archives de Piaget, ce texte rédigé en 2009 est reproduit dans le livre de Théo Roumier.

Entretien avec Théo Roumier dans Mediapart

mardi 5 novembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié sur Mediapart le 4 novembre 2024.

« L’absence de sectarisme de Charles Piaget gagnerait à être plus largement partagée à gauche »

Un an après le décès de Charles Piaget, figure majeure de l’histoire du mouvement ouvrier français, l’historien Théo Roumier lui consacre un livre. Il détaille dans cet entretien son héritage pour la gauche contemporaine.

Militant ouvrier, figure des gauches hétérodoxes et révolutionnaires des années post-68, militant de l’auto-organisation critique de l’existence des leaders, Charles Piaget est décédé il y a un an, le 4 novembre 2023. Dans un livre érudit nourri d’un patient travail d’archives et stimulé par une filiation politique assumée, Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs » (Libertalia, 2024), l’historien et syndicaliste Théo Roumier rend justice à ses engagements.
De son combat contre la guerre d’Algérie avec le Parti socialiste unifié (PSU) à la grève de Lip en 1973 avec la CFDT, où les grévistes avaient fait le choix historique de la relance de la production de montres dans l’usine occupée, il donne à voir comment Charles Piaget s’est forgé politiquement, loin des querelles de chapelles qui nuisent souvent à la popularisation des luttes.
Le livre se conclut par la reproduction d’un texte inédit écrit par Charles Piaget en 2009, dans lequel il esquisse des pistes pour la construction d’un
« pôle révolutionnaire démocratique ». Il en appelle à un mouvement « ouvert » qui ne soit pas, pour les militant·es qui le rejoignent, « une nouvelle “Église” ». Toute ressemblance avec les préoccupations actuelles de la gauche n’est pas fortuite. Entretien.

Vous racontez comment, jeune syndicaliste étudiant, vous avez commencé à vous intéresser au parcours de Charles Piaget, jusqu’à finir par le rencontrer en 2022 et lui consacrer ce livre. Qu’est-ce qui vous rend cette figure politique aussi attachante ?

En écrivant ce livre, je me suis confronté à un parcours qui force le respect, notamment par sa constance. La grande sincérité et la grande intégrité de l’engagement de Charles Piaget sont assez rares pour être soulignées. Mais pour moi, ce n’était pas seulement une figure tutélaire.
Quand j’ai commencé à militer, autour de novembre-décembre 1995, Piaget était lui-même encore militant, à « Agir ensemble contre le chômage ». Il était partie prenante de cette séquence qui a vu l’éclosion des syndicats Sud et des nouveaux mouvements sociaux comme Droit au logement, Ras l’front, qui témoignaient d’un renouveau de la question sociale. Piaget était une figure des mobilisations qui m’était contemporaine en tant que jeune militant.
Le premier contact, indirect, que j’ai eu avec lui a été ma lecture de sa préface au livre sur les dix ans de la fédération Sud-PTT, en 1998 (Syndicalement incorrect. Sud-PTT, une aventure collective, Syllepse). J’ai aussi lu ses interviews sur Lip en 2003 pour l’anniversaire de la grève de 1973. Pour moi, syndicaliste à Sud Étudiant, savoir que les initiateurs de Sud-PTT venaient de la CFDT était mystérieux – à l’époque Nicole Notat n’était pas spécialement bien accueillie dans les manifestations.
Piaget se politise par la réalité de l’usine, la réalité du colonialisme et de la guerre qu’il faut combattre. Ce n’est pas un engagement par en haut, doctrinaire.
On nous parlait de la « CFDT des Lip », comme si cette réponse suffisait. La curiosité est partie de là. Et je me suis assez vite rendu compte que Lip a été une lutte qui a énormément compté dans ces années-là. On a rarement retrouvé un tel niveau de popularité pour une grève ouvrière en France après la Seconde Guerre mondiale.

Charles Piaget n’a pas une image de radical, pourtant vous racontez qu’il était d’une telle efficacité dans les luttes que la CGT Lip lui avait demandé de participer à une délégation envoyée en URSS en 1959… Comment était-il dans l’action ?

C’est en effet surprenant parce qu’en 1959, il est encore syndicaliste chrétien à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – qui sera déconfessionnalisée en 1964 et deviendra la CFDT. Il est alors tout jeune militant : il dit qu’il a été « poussé dans l’escalier », et c’est littéralement vrai ! Ses camarades de travail trouvaient qu’il parlait bien, qu’il avait le langage qu’il fallait et ils l’ont poussé dans les escaliers pour négocier avec la direction. Il se trouve qu’il a eu gain de cause, pas spécialement du fait du rapport de force, mais parce qu’une commande arrivait et qu’il fallait qu’elle soit honorée. C’est un premier « fait d’armes » qui le fait remarquer dans l’usine.
Il découvre la réalité usinière en devenant délégué du personnel, ce qui lui donne le droit de circuler dans l’usine, qui comprend alors 1 200 salariés. Lui est ouvrier qualifié – il deviendra chef d’atelier en 1961 –, un poste prestigieux dans une usine d’horlogerie, mais plus de la moitié de l’usine est composée d’ouvriers spécialisés, et surtout d’ouvrières spécialisées. Ces femmes travaillent dans des conditions autrement difficiles que lui, avec des salaires bien plus bas. Et ça, ça le révolte.
Il s’engage parallèlement contre la guerre d’Algérie. Il est alors membre de l’Union de la gauche socialiste, qui fusionne avec le Parti socialiste autonome (PSA) en 1960 pour donner naissance au Parti socialiste unifié (PSU). Tout cela, mêlé à son militantisme chrétien progressiste – à l’Action catholique ouvrière –, fait de lui ce qu’il est : un militant qui se politise par des choses assez concrètes – la réalité de l’usine, la réalité du colonialisme et de la guerre qu’il faut combattre. Ce n’est pas un engagement par en haut, doctrinaire.
D’ailleurs, c’est aussi quelqu’un d’extrêmement ouvert, qui discute par exemple avec des militants de Voix ouvrière (future Lutte ouvrière après 1968), qui l’initient au marxisme.
C’est comme ça qu’il est invité par la CGT, qui est contente de sa prise : un ouvrier chrétien qu’on envoie en URSS ! Il y a d’ailleurs une photo de lui en une du Travail, l’organe officiel des syndicats soviétiques. Il en revient avec un discours assez critique, d’après ce qu’il en a dit par la suite. La conséquence très concrète, c’est qu’aux municipales de 1965, quand le PSU fait liste commune avec le PCF, ce dernier demande que Piaget ne soit pas sur la liste – officiellement parce que ses enfants sont à l’école privée.

Comment, avant la grève de Lip en 1973 et son fameux slogan « On fabrique, on vend, on se paie », en vient-il à théoriser le contrôle ouvrier ?

C’est le parcours d’une certaine gauche hétérodoxe de cette époque. Celle qui ne se retrouve ni dans la gauche réformiste incarnée par la SFIO, ni dans le « socialisme de caserne » incarné par le Parti communiste français. Il appartient à un espace qui cherche alors un « socialisme en liberté » : c’est celui du PSU, dont il est membre dès le début. Il ne participe pas de manière très assidue aux débats internes de l’organisation, mais il lit autant Témoignage chrétien que Tribune socialiste, l’hebdomadaire du PSU. C’est un élément de politisation. Je pense que c’est ainsi qu’il lie très vite la question de l’auto-organisation, comme gage d’efficacité, à celle du changement de société. Il a cette volonté que ça marche, que ça fonctionne, et il s’aperçoit qu’un engagement le plus collectif possible est une condition de la victoire.
Pour lui, le risque de sclérose est bien plus grand que celui “d’ouvrir les portes”, y compris aux “gauchistes”.
Mai-68 en est le révélateur. Avec sa section CFDT, il organise une assemblée générale à l’usine où tout le monde pourra parler. Il se heurte d’abord à l’union locale de la CGT, qui avait posté ses gros bras devant l’usine. Pour eux, personne ne devait entrer dans l’usine, alors que pour Piaget, tout le monde devait y entrer pour discuter et voter ensemble. C’est à cette conception démocratique de la grève que s’articule la question du contrôle ouvrier, qui devient un thème très important dans le PSU à partir de 1972. Deux ans avant, en 1970, la CFDT adopte l’orientation dite du socialisme autogestionnaire. La question de l’autogestion traverse la gauche, et tout le monde se positionne en pour ou en contre. C’est un des débats clés de la période, et Piaget fait le choix de la démocratie, le choix du collectif, par souci d’arriver à faire de l’action collective efficace.

Un de ses apports dans la victoire de 1973 est d’avoir tissé des liens avec les organisations d’extrême gauche. A-t-il été à ce moment-là un homme-passerelle entre deux mondes, ouvriers et étudiants, syndicalistes et politiques ?

Déjà en Mai-68, il allait assister à des assemblées générales étudiantes, ce qui était original. La section CFDT-Lip a même publié un tract qui donnait raison aux étudiants, et appelant à les suivre. C’est un artisan, à sa modeste place, de la jonction ouvriers-étudiants, même si l’AG de Lip refusera, à l’époque, d’autoriser les étudiants à venir participer au débat dans l’usine occupée. C’était partie remise pour lui. Et la grève de 1973 lui a donné cette occasion. C’est là que sa très grande disposition au débat, à l’ouverture d’esprit, exerce une influence importante. Pour lui, le risque de sclérose est bien plus grand que celui « d’ouvrir les portes », y compris aux « gauchistes ».
Il avait été très impressionné par une grève qui avait eu lieu l’année précédente à Besançon, en 1972, au préventorium de Bregille. Cet endroit où on accueille des enfants post-tuberculeux était menacé de fermeture, et les femmes qui y travaillaient avaient organisé un système de double assemblée générale : une assemblée ouverte le soir où n’importe qui pouvait venir, et une deuxième assemblée le lendemain matin réservée aux grévistes. Elles avaient fait un énorme travail de mobilisation en direction de la population. Piaget en a tiré des leçons. Il avait la capacité à réintégrer des idées dans son militantisme quotidien.

En 1974, il tente de se présenter à la présidentielle, dans l’idée de la détourner, avec le soutien de Sartre notamment, qui a cette phrase : « Nous ne présentons Piaget comme maître d’une hiérarchie ancienne que parce que nous voulons la détruire. » Piaget a-t-il gardé cette critique du présidentialisme jusqu’au bout ?

À la fin de sa vie, quand on évoquait cette aventure présidentielle de 1974, il répondait d’un soupir et d’un haussement d’épaules. Mais ce n’était pas le cas à l’époque. Pendant une quinzaine de jours, effectivement, l’idée de la candidature Piaget a germé de plein d’endroits à la fois. Quand Pompidou meurt, le 4 avril, Rouge [journal de la Ligue communiste, dissoute en juin 1973 – ndlr] publie un communiqué proposant Piaget comme candidat, et Alain Krivine si ce projet n’aboutit pas. Une réunion se tient avec la quasi-totalité de l’extrême gauche – de LO, qui avait déjà prévu de présenter Arlette Laguiller, au PSU. À Besançon, les Cahiers de mai cherchaient aussi comment continuer la lutte.
On est à l’époque du Programme commun, qui est jugé très centraliste par les autogestionnaires et qui prévoit une forme de « démocratie avancée », pour utiliser les mots du PCF, par en haut, alors que toute une frange du peuple de gauche cherche une transition au socialisme par en bas. C’est ce courant qui cherche à s’incarner autour de l’idée de la candidature Piaget. Son organisation syndicale, la CFDT, s’y est vite opposée. Mais à l’intérieur du PSU, il y a quand même eu une minorité significative, un tiers des mandats, en faveur de sa candidature. Finalement, il ne sera pas présenté.

Jusqu’au bout, Piaget a joué le jeu, tout en disant qu’il faudrait que ce soit une candidature collective, qui représente les combats de l’époque, donc des femmes, des travailleurs immigrés, des soldats, etc. Il voulait faire en sorte que ce soit un genre de caisse de résonance des luttes. Sa motivation s’explique aussi parce que Mitterrand avait été ministre de l’Intérieur et de la justice pendant la guerre d’Algérie, or Piaget et ses camarades se sont forgés contre le colonialisme de la SFIO. C’était un marqueur important pour eux. Et bien sûr, radicalement opposé au pouvoir d’un seul, il critiquait fermement le présidentialisme de la Ve République !

Plusieurs documents d’archives que vous exhumez font écho à la situation présente à gauche. Piaget déclare par exemple en 1974 : « Il n’y a pas de voie médiane pour un gouvernement de gauche. Ou bien il se fait l’instrument conscient de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière dans toute la société, ou bien il reste un appareil contrôlé plus ou moins directement par la bourgeoisie. » En quoi peut-il être utilement relu aujourd’hui ?

D’abord, un de ses engagements initiaux, c’est l’anticolonialisme, en faveur de l’indépendance de l’Algérie, et je tiens à dire que lors de ses obsèques il avait souhaité qu’il y ait une caisse de soutien pour l’association Palestine Amitié de Besançon. Que l’anticolonialisme soit un réflexe à gauche devrait être évident.
Et puis, dans la démarche même de l’engagement de Piaget, son absence de sectarisme gagnerait à être un peu plus largement partagée aujourd’hui. Son absence d’ambition personnelle aussi. La volonté de travailler toujours à l’émergence de cadres collectifs. Ça ne peut qu’inspirer utilement la gauche politique et syndicale, entendue au sens large.
La gauche doit être attentive à ce qui se passe dans le monde du travail, dans la société. Tout n’est pas affaire de joute parlementaire.
Enfin, dans sa conception de la politique, on ne peut pas changer le monde par en haut. À la fin de sa vie, au plateau des Glières, il disait qu’il fallait construire des collectifs dans lesquels il y aurait déjà des morceaux du monde que nous voulons, qu’il n’y avait pas de « raccourci électoral » pour ça. Je pense que cette idée d’articuler le mouvement social aux perspectives de changement et de transformation est capitale aujourd’hui à gauche. Cela veut dire qu’il y a un lien à faire entre le politique, le mouvement syndical, le mouvement social. La gauche doit être attentive à ce qui se passe dans le monde du travail, dans la société. Tout n’est pas affaire de joute parlementaire.
La vitalité de la gauche, c’est sa capacité à faire mouvement social. C’est l’opposition, consciente ou non, qu’il y a eu entre l’étiquette « Nouveau Front populaire » et les discours syndicaux qui avaient plutôt tendance à dire qu’il fallait « faire Front populaire ». C’est là l’héritage de Piaget, qui était persuadé de la nécessité de l’ancrage, des mobilisations, de la question du rapport de force et de la question des contre-pouvoirs pour dépasser vraiment le capitalisme. Par ailleurs, une des dernières choses qu’il m’ait dites, c’est qu’il nous faudrait aussi un « grand parti révolutionnaire ».

Pourquoi la gauche a-t-elle autant de difficultés aujourd’hui à être représentée par des dirigeants ouvriers ?

Piaget était effectivement un militant ouvrier qui faisait de la politique au sens global. Il n’était pas cantonné à parler de l’horlogerie à Besançon. C’est un peu le problème qu’on a aujourd’hui avec la gauche et les représentants ouvriers. On va les chercher pour qu’ils parlent de leur domaine de compétences. Bien sûr, plus il y aura de personnes issues des classes populaires représentées à gauche à l’Assemblée nationale, mieux ce sera. Mais la gauche doit intégrer l’idée qu’il est possible d’être un militant ouvrier et d’avoir une réflexion politique, une pensée du monde et une pensée sur la manière de le changer – ce n’est pas réservé aux intellectuels et aux politiciens professionnels.

Mathieu Dejean