Éditions Libertalia
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vendredi 9 mars 2018 :: Permalien
Dans CQFD, septembre 2017.
Comment peut-on être anarchiste ? en nos temps cyniques où règne le réformisme « ne réformant jamais rien » demande l’impétueux Claude Guillon dans son recueil d’articles, de tracts et de posts sans merci (2000-2015) portant ce titre que les éditions Libertalia ont eu le cran de sortir. Et l’auteur des cravachants La Terrorisation démocratique (Libertalia aussi) et de Notre patience est à bout (IMHO) de répondre on ne peut plus concrètement et explosivement à sa question tout au long du brûlot : en faisant la révolution, jambon à cornes !, « la révolution étant le projet collectif de la libre association d’individus libres qui commencent à changer le monde dès maintenant ». Effectivement, précise Guillon, « pour que l’utopie soit la sœur de l’action, il est possible de commencer tout de suite, dans chaque mouvement de résistance sociale, à expérimenter de nouveaux rapports : se réunir sans les vieilles organisations, occuper des lieux privés ou publics et en faire des lieux de vie et de libre expression, vérifier dans les risques partagés et les victoires communes que l’on gagne à se connaître ». Et plus loin : « Nous n’avons d’autre choix que nous déclarer nous aussi en état d’urgence. On se bouge. » On se bouge en se ralliant aux insurrections libertaires visant « l’utopie d’un monde sans frontière, sans argent et sans chefs ». S’il est vain, continue le polémiste, de dresser par avance le catalogue des mesures révolutionnaires qui s’imposent, on peut d’ores et déjà établir, « pour donner des ailes à la pensée critique », qu’il ne s’agira pas d’autogérer cette société piteuse mais de la transformer malicieusement, de bannir tout espèce de rapport de pouvoir ou d’autorité, de veiller à ce que la liberté personnelle soit confirmée par la liberté de tous, d’exalter fourieristement les expérimentations amoureuses, ou d’accepter que les assemblées générales souveraines prenant des décisions clés puissent être constituées par les manifestants dans la rue.
Noël Godin
jeudi 8 février 2018 :: Permalien
Le Soir , 6 février 2018.
« Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est une forme réinventée de l’antisémitisme. » Contrairement aux apparences, cette phrase n’a pas été prononcée par l’Israélien Benyamin Netanyahou mais bien par le président de la République française, Emmanuel Macron, le 16 juillet 2017.
Elle en avait fait sursauter plus d’un. Dont Dominique Vidal, qui a décidé d’écrire un petit livre, Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron.
En trois chapitres qui narrent l’histoire du sionisme, de l’antisionisme et de l’antisémitisme, le lecteur se familiarise ainsi avec des notions qui ne lui sont peut-être pas limpides. Cent seize pages format poche. Du grand art.
L’historien Dominique Vidal, un journaliste chevronné qui a fait l’essentiel de sa carrière au Monde diplomatique, connaît la matière pour la pratiquer depuis plusieurs décennies. Son approche, didactique, permet aux profanes ou aux sceptiques de mieux saisir les enjeux lexicaux à partir d’une approche historique. Car il ne faut pas s’y tromper, justement : antisionisme et antisémitisme sont bien deux concepts différents.
D’ailleurs, de nombreux Juifs opposés à la création d’un État juif ont jalonné l’histoire même du sionisme. Ils étaient antisionistes, assurément pas antisémites. Et il en reste…
Comme le dit l’auteur, l’antisionisme est une opinion tandis que l’antisémitisme est un délit. Mais voilà, la manœuvre consiste à amalgamer les notions. Pour mieux faire taire les critiques contre Israël. À l’heure où ce pays, mené par un gouvernement de la droite extrême, connaît un isolement croissant, ses partisans acharnés recourent volontiers à cet amalgame. Dominique Vidal explique en quoi Emmanuel Macron, en s’associant à cette confusion, commet « une erreur », voire « un dérapage ».
Baudouin Loos
jeudi 8 février 2018 :: Permalien
Dans Les Cahiers de l’Institut CGT d’histoire sociale, n° 144, décembre 2017.
Les lecteurs des Cahiers connaissent bien Julien Chuzeville. Cet historien du mouvement ouvrier a publié de très intéressantes monographies dont nous avons déjà souligné l’intérêt. Avec cette dernière livraison, l’auteur nous livre sa lecture de la création du parti communiste français. Né de la scission opérée à Tours en 1920 au congrès socialiste, le parti communiste français plonge ses racines dans le choc profond pour certains que fut le ralliement du mouvement ouvrier français à l’Union sacrée. C’est dans le vivier des militants du Comité pour la reprise des relations internationales et des zimmerwaldiens que va naître la génération qui opère la rupture de 1920. Très largement imprégnée par la culture du syndicalisme révolutionnaire, une première génération du parti communiste français, dont Fernand Loriot, Boris Souvarine et Pierre Monatte sont les principales figures, se construit en opposition au parti socialiste d’avant-guerre. Mais cette tendance se heurte rapidement à la construction d’un appareil très largement piloté et aidé par l’Internationale communiste. En 1924, le processus de bolchévisation est arrivé à son terme au prix de nombreux ruptures et départs. Un livre qui s’appuie sur des archives en partie inédites et qui fournit en outre sur la création de la CGTU un tableau clair et précis sur les enjeux de la scission syndicale. Bref, lisons Julien Chuzeville !
J. B.
jeudi 8 février 2018 :: Permalien
Dans Alternative libertaire n° 280, février 2018.
Quarante-sept portraits de citoyens israéliens qui ont refusé de servir dans l’armée de leur pays sont photographiés, servis d’un texte percutant.
Des refuzniks comme on les appelle depuis que ce mouvement a essaimé avec la guerre du Liban. « Schministin, pacifistes, rescapés d’une tentative de suicide, réformés, réservistes », il faut du courage pour s’insoumettre dans un pays en état de guerre permanente où il est un devoir de protéger les frontières. Le photographe Martin Barzilai a commencé ce reportage en 2008 dans le village de Ni’ilin où des manifestations contre le mur avaient lieu. La préface d’Eyal Sivan est éclairante sur la situation des insoumis : « Le numéro d’identifiant militaire est appelé tout simplement numéro personnel… » Le professeur Leibovitz ajoute : « Ici, l’insoumission relève de l’héroïsme. » Taïr Kaminer, emprisonnée cent cinquante jours pour refus de servir une armée d’occupation raconte : « Cela fait partie de la problématique générale de ce pays, tout est relié à la peur. »
Que dire d’Omer Goldman, figure d’Antigone et fille d’un général membre du Mossad qui a passé deux mois en prison et dont le père promettait de venir lui jeter des cacahouètes en détention où il n’est finalement jamais venu la voir.
C. G.
mardi 6 février 2018 :: Permalien
Publié dans le mensuel Union pacifiste, février 2018.
Beau livre émouvant de vérité disparate, document argumentaire donnant à voir des trajectoires individuelles aux motivations multiples et singulières. Pour ne rien gâter, la présentation typographique est agréable avec des photographies en couleur pleine page ; l’auteur, Martin Barzilai, d’ailleurs photographe, a choisi de dresser le portrait de près d’une cinquantaine de jeunes gens, et de moins jeunes, qui risquent la prison, et qui y vont, parce qu’ils et elles refusent de faire leur service militaire ou de combattre dans les territoires occupés par Israël. On estime à plusieurs milliers ces réfractaires qui, depuis la création de l’État d’Israël, ont refusé de servir à un moment ou un autre. Pour ne pas monter ces faits en épingle, la hiérarchie militaire préfère quelquefois en réformer les acteurs et les actrices.
Il faut savoir que sont dégagés de l’obligation militaire les Palestiniens citoyens d’Israël et les juifs religieux ultraorthodoxes.
Eldar Brantman pense que, « si Israël n’avait pas son armée, ce pays ne pourrait pas exister. La situation est compliquée car aucun pays limitrophe ne veut de nous. Je ne sais pas si une solution est possible. Nous sommes arrivés ici et les Palestiniens étaient déjà là. Nous sommes ici à cause de la Seconde Guerre mondiale, de l’Holocauste… Nous avions besoin de trouver une terre. Ce qui arrive aux Palestiniens n’est pas juste. Je comprends les deux côtés ».
« C’était important de défendre mon pays », déclare Avner Wishnitzer. Puis : « Je me suis rendu dans les territoires occupés avec des militants. Là, j’ai vu la façon dont vivaient les Palestiniens et comment se comportait l’armée. Aujourd’hui, l’armée ne protège plus Israël, mais défend le projet de colonisation. »
Pour Meir Amor, les Juifs, parce qu’il leur fallait un endroit pour vivre, ont pris leurs terres aux Palestiniens, mais que « le courage était aussi de trouver une solution pour la paix ». Pour lui, la société israélienne est une société de classes fondée sur une première spoliation des « Arabes » et sur une fracture entre Ashkénazes (venus d’Europe) et Mizrahim (venus du Maghreb ou du Moyen-Orient).
« On ne parle jamais de la violence employée contre eux [les Palestiniens]. D’un côté, nous colonisons leurs terres et nous les poussons dehors pour créer des colonies. Et, d’un autre, quand ils y sont hostiles ou violents, le discours est de dire que nous colonisons pour sécuriser Israël », rapporte David Zonsheine.
Il y a cependant un consensus pour dire que « chaque pays a le droit de se défendre, mais pas d’attaquer les civils ».
Le refus d’Alona peut paraître des plus prosaïques : « Je ne voulais pas être là », à l’armée ; « il n’y avait donc pas de raison pour que je le porte », l’uniforme. Pour Omri, une autre femme : « Tout a commencé par une prise de conscience autour d’une chose simple : la valeur de la vie. Je suis contre le fait de prendre une vie. Que ce soit celle d’un animal ou celle d’un être humain. Je suis vegan aujourd’hui et végétarienne depuis mon plus jeune âge. »
Tamar Katz est pacifiste : « J’ai toujours détesté toute forme de violence. »
Yasso, elle, déclare avoir « toujours été sensible à ce que vivaient les Palestiniens ».
Haggai Matar avait participé à un convoi pour la paix en Cisjordanie afin d’aider à reconstruire les maisons des Palestiniens qui avaient été détruites par l’armée. « Plus je me rendais dans les territoires, plus je comprenais que les soldats n’étaient pas les seuls responsables des violences, mais qu’il s’agissait de tout un système qui poussait à la brutalité. »
« La décision que j’ai prise à 17 ans, déclare Gadi Elgazi, était qu’il fallait refuser de servir de façon collective en le revendiquant, et non de se racheter une conscience individuelle dans son coin. »
En 1982, alors que l’armée israélienne envahissait le Liban, un vieil homme, dans une cinémathèque de Jérusalem, apostrophait l’assistance : « Je vous appelle à organiser l’insoumission collective. Je vous incite à la révolte. » C’était Yeshayahu Leibowitz, rare intellectuel à soutenir le refus.
La situation semble donc inextricable parce que la société israélienne dans son ensemble ne veut pas d’une paix qui « signifierait une transformation structurelle majeure : il faudrait traiter les Palestiniens d’Israël comme des citoyens à part entière, partager les terres et surtout changer la politique économique de la guerre en une politique économique de la paix ».
« Si on lit les déclarations des généraux israéliens, déclare encore Gadi Elgazi, on comprend que leur idée n’est pas de gagner contre les Palestiniens. Ils veulent “tondre la pelouse” : l’herbe pousse, et il faut régulièrement la couper, tous les deux, trois ou quatre ans. Et il faut habituer les Israéliens à un état de guerre permanent. »
En ce mois de décembre 2017, Donald Trump, président des États-Unis, a jeté de l’huile sur le feu en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël. Son initiative ne vise pourtant qu’à satisfaire sa base électorale en prévision de la campagne présidentielle de 2020. Le Monde, en sous-titre de son édition du 8 décembre 2017, écrit : « La reconnaissance de Jérusalem est très populaire dans la partie spécifique de l’électorat, celle des chrétiens évangéliques. » Quatre-vingt pour cent d’entre eux sont « convaincus d’un don divin d’Israël au peuple juif ».
Par ailleurs, la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) poursuit sa route sans doute trop discrètement.
L’espoir vient de ces refuzniks qui, bien que très minoritaires, posent des actes car « refuser, c’est simplement défendre la dignité humaine et signaler à nos amis palestiniens qu’il y a un futur à bâtir, ensemble, au-delà de la domination ».
Rappelons que, en 2016, Les Éditions libertaires ont publié Les Anarchistes contre le mur avec une présentation d’Uri Gordon et d’Ohal Grietzer (138 p).
André Bernard