Le blog des éditions Libertalia

Léo Frankel, communard sans frontières sur Bibliothèque Fahrenheit 45

mercredi 9 juin 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Bibliothèque Fahrenheit 451, 8 juin 2021.

Léo Frankel naît et grandit en Hongrie, pays pluriconfessionnel et multiethnique. Il devient ouvrier d’art en orfèvrerie, après de courtes études, et s’initie au socialisme auprès de travailleurs, dans le sud de l’Allemagne où il s’est rendu pour perfectionner son métier. Julien Chuzeville reconstitue ses premiers engagements : sa rencontre avec Marx, à Londres, dès 1869 n’est pas avérée, sa participation au groupe de l’AIT du XIIIe arrondissement de Paris est difficile à dater avec précision. En revanche, il est bien signataire de la protestation contre l’arrestation de Varlin le 13 février 1870, et fondateur de la section allemande de Paris de l’AIT, qui comptera jusqu’à une quarantaine d’adhérents, puis son secrétaire-correspondant. Il est inculpé, lors de la vague de répression bonapartiste, pour appartenance à une « société secrète », puis condamné à deux mois de prison, avec 37 autres accusés.
À l’automne 1870, il intègre le 66e bataillon de la Garde nationale, basé dans le XIe arrondissement. Alors que le gouvernement d’Adolphe Thiers tentera de désarmer la Garde nationale, il doit se replier à Versailles et laisser place à la Commune, réclamée depuis des mois. Aux élections du 26 mars, Frankel est élu dans le XIIIe arrondissement et sera l’un des militant de l’AIT les plus actifs. Il fait partie de la commission du travail, de l’industrie et de l’échange. Julien Chuzeville rapporte scrupuleusement chacune de ses interventions dont il a réussi à retrouver trace dans la presse, les archives des délibérations ou des correspondances. Sous sa direction, la commission met en place plusieurs mesures sociales : suppression du travail de nuit des boulangers, réquisition au profit d’associations ouvrières des ateliers abandonnés, interdiction des amendes et retenues sur salaires, indemnités journalières pour les femmes illégitimes des gardes nationaux équivalentes à celles des femmes légitimes, etc. « Frankel figure parmi les militants les plus avancés de l’AIT, en faveur de l’égalité femmes-hommes notamment. » Ses propositions ne sont pas toutes acceptées : suppression des mont-de-piété, journée de huit heures, etc.
Pendant la Semaine sanglante, il fait partie du Conseil qui se regroupe dans le XIe arrondissement et défend une barricade rue du Faubourg-Saint-Antoine, où il est gravement blessé. Il parvient à échapper à la répression versaillaise avec l’aide d’Élisabeth Dimitrieff, et à rejoindre la Suisse. Se sachant recherché, il fuit à Londres, par la Belgique et sera condamné à mort par contumace le 19 novembre 1872. Après avoir intégré, à l’automne 1871, le cercle des proches de Marx, il est élu à l’unanimité, avec deux autres communards, comme membre du conseil général de l’AIT, le 22 août 1872. Il continuera à publier de très nombreux articles qui auront une certaine influence, et à participer à de nombreux journaux, car comme il l’écrivait dans l’Arbeit-Wochen-Chronik : « Une des armes les plus efficaces dans les mains des opprimés contre la classe dominante est la presse. »
Fin 1875, il s’installe à Vienne pour participer à l’essor du mouvement ouvrier en Autriche-Hongrie. Il milite pour le suffrage universel et, pour contourner l’interdiction qui vise toute formation d’associations socialistes, il cofonde le Parti des non-électeurs (Nemválasztók Pártja), en avril 1878. En juin 1881, il est condamné pour avoir publié un texte antimilitariste à près de deux ans de prison. Dès lors, il essaie de se faire plus discret, puis revient vivre à Paris à partir de 1889, après y avoir participé au congrès socialiste qui fonde la Deuxième Internationale. Sa santé se dégradera rapidement : il meurt de tuberculose le 29 mars 1896 et sera enterré quelques jours plus tard au cimetière du Père-Lachaise.
Son énergie et son engagement permanent impressionnent. Fort de ses recherches, Julien Chuzeville s’est efforcé, autant que faire se peut, de rapporter les propos et les prises de position de Léo Frankel, démontrant, s’il en était besoin, qu’il était avant tout un « internationaliste en actes ».

Ernest London, le bibliothécaire-armurier

Postface à la première édition du Mexicain, de Jack London (2007)

mercredi 9 juin 2021 :: Permalien

In memoriam Marc Tomsin (1950-2021).

Marc et Jorge sont tous deux militants actifs au Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (CSPCL). Nous les avons rencontrés pour faire un point sur la situation politique du Mexique, près d’un siècle après la publication de la nouvelle de Jack London. Fondamentalement, les raisons de se révolter perdurent.

La nouvelle Le Mexicain a été publiée pour la première fois en août 1911. La narration est ancrée dans l’histoire du début du XXe siècle. Pourtant les motivations qui poussent Felipe Rivera, le jeune boxeur, à quitter son pays, notamment la misère et la répression, semblent toujours d’actualité. Où en sont les Mexicains, socialement, en 2007 ?
Jorge : Le Mexique traverse des périodes cycliques. Il a commencé le XXe siècle avec une révolution. Cette révolution venait de loin, notamment des luttes du XIXe siècle, mais elle s’est concrétisée par la chute du dictateur Porfirio Diaz, en 1911. Les facteurs sociaux à l’origine de la révolution étaient nombreux : l’excessive concentration de la terre d’abord, l’absence de droits pour les travailleurs et puis, bien entendu, la répression. Dans la nouvelle Le Mexicain, Jack London raconte le massacre des huit cents grévistes de Rio Blanco, en janvier 1907. Un siècle après, c’est vrai, il semble que rien n’ait vraiment changé. Certains milliardaires concentrent toujours les capitaux, et une clique, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), a conservé le pouvoir pendant soixante et onze ans, au nom de la Révolution, mais sans jamais prendre la moindre mesure révolutionnaire ! Depuis plus d’une décennie, une grande révolte indienne a vu le jour. Elle a démarré avec l’insurrection zapatiste du 1er janvier 1994, c’est un mouvement qui dure et qui se développe.
Marc : Le XIXe siècle mexicain a commencé avec la guerre d’indépendance en 1810, une guerre populaire contre les Espagnols. Le cycle s’est poursuivi en 1910, puis en 1994.
Jorge : Le soulèvement de 1994 s’attaquait au régime de parti unique d’État instauré depuis la Révolution mexicaine. Les choses ont changé depuis l’année 2000, le PRI n’est plus au pouvoir, il a été remplacé par le Parti d’action nationale, le PAN, de Vicente Fox. Mais la révolte contre les caciques du PRI se poursuit, comme dans l’Oaxaca dernièrement.
Marc : Aujourd’hui, contrairement au siècle dernier, une partie importante de la population mexicaine vit de l’autre côté de la frontière nord. Les revenus envoyés font vivre les familles.
Jorge : L’argent gagné par les migrants clandestins qui récoltent le melon, la pastèque, les oignons ou les oranges en Californie et au Texas dépasse, désormais, l’argent du pétrole, du tourisme ou du narcotrafic. Cet argent soulage la vie des communautés indiennes paysannes, tandis que l’argent du narcotrafic sert avant tout à corrompre les partis et que l’argent du pétrole va directement dans les poches des gouvernants. L’exploitation de la ressource pétrolifère provoque de grands dégâts environnementaux. Les gisements brûlent et détruisent les rivières, les lagunes, la forêt. C’est la raison qui pousse les communautés indiennes à s’organiser pour se réapproprier des terres qui leur appartiennent et sur lesquelles, malheureusement, on a trouvé du pétrole.

Où se situent ces gisements de pétrole ?
Jorge : On les trouve surtout le long du golfe du Mexique. Sur l’autre façade maritime, on a des minerais. Du jour au lendemain, des compagnies américaines ou françaises arrivent, exploitent les terres et polluent les ressources d’eau potable. La lutte des communautés indiennes vise à défendre les ressources naturelles.

Que représente la part de la population indienne au Mexique ?
Jorge : C’est très variable, cela dépend des États. Les Indiens sont nombreux dans le Sud, dans les États d’Oaxaca, du Guerrero, au Chiapas… Dans l’Oaxaca, par exemple, tu as un peu plus de trois millions d’habitants, dont au moins un tiers sont indiens.
Marc : Les statistiques officielles affirment que sur cent millions de Mexicains, dix millions sont considérés comme « indigènes », c’est-à-dire parlant encore leur langue. Ces langues sont très nombreuses, plus de cinquante. Certaines, comme le nahuatl, sont parlées par deux millions de personnes, principalement dans les États méridionaux (Puebla, Veracruz, Hidalgo et Guerrero), d’autres n’ont que quelques milliers de locuteurs. Dire que les Indiens représentent un dixième des Mexicains ne signifie grand-chose, car le Mexique est complètement marqué par le métissage. La mascarade officielle offre aux Indiens des musées, des monuments qui rappellent le passé précolombien, mais cet espace honorifique est un tombeau. Or les populations indiennes sont tout sauf mortes. Elles sont bien vivantes dans les quartiers populaires des villes, dans les communautés, dans les villages. La dynamique est encore plus visible depuis l’insurrection zapatiste de 1994, qui a sonné le réveil. Outre 1994, une autre date importante est bien entendu 1992, avec les célébrations du cinquième centenaire de la colonisation de l’Amérique. J’étais, il y a peu de temps, dans un village otomi situé à une centaine de kilomètres de Mexico. Ce village s’est revendiqué indien à partir de l’année 1992. Les festivités liées au cinquième centenaire ont en effet provoqué la naissance d’une conscience et d’un mouvement se réclamant de « 500 ans de résistance indienne, populaire et noire ». Pour sa part, André Aubry, un anthropologue français installé depuis trente-six ans à San Cristobal de Las Casas, au Chiapas, cite souvent un grand forum qui s’est déroulé dans cette ville en 1974, soit vingt ans avant l’insurrection zapatiste. Ce forum était organisé par Samuel Ruiz, évêque appartenant à la théologie de la libération, en l’honneur de Bartolomé de Las Casas. Pour la première fois, les délégations indiennes parlèrent leur langue, revendiquèrent leur existence, leurs luttes, et ne firent plus de la figuration. Une autre date évidente, mais non liée directement au mouvement indigène, est 1968…

En 1968, la contestation était urbaine. Aujourd’hui, elle semble davantage rurale…
Jorge : En 1968, la contestation était urbaine et populaire, mais à sa tête se trouvaient fondamentalement des étudiants et des groupes idéologiques. Suite à la répression orchestrée par le gouvernement, on a assisté à une radicalisation, et de nombreux militants se sont tournés vers la lutte armée. Ont suivi des années noires avec beaucoup de morts, et plus de cinq cents disparus. Ces années noires ont touché toute l’Amérique latine.
Si l’on parle beaucoup des communautés indiennes ces temps-ci, c’est parce que ce sont elles qui ont payé le plus lourd tribut à chaque soulèvement, que l’on parle de la guerre d’indépendance, de la Révolution de 1910 ou de la lutte contre le grand capital (pétrole et chemins de fer). Il se passe la même chose à Oaxaca aujourd’hui. Tout a commencé par des revendications salariales d’enseignants. Leur mouvement a été réprimé, et une assemblée, l’Appo, s’est créée : le peuple a rejoint le mouvement. Or la femme au foyer tient un discours bien plus radical que n’importe quel homme politique, car elle parle de son vécu, de son quotidien. Oaxaca nous aide à comprendre comment se sont générées les révoltes mexicaines à travers l’histoire. La classe dominante a toujours nié la capacité de réfléchir et de s’organiser des Indiens. Ces Indiens ne demandent pourtant que des choses absolument fondamentales comme l’éducation, la santé, le logement, la liberté de circulation, et enfin, davantage de démocratie et de justice. Il faut bien comprendre que certains peuples du Mexique vivent à côté de grandes centrales hydroélectriques mais n’ont pas accès à l’électricité ! Le gouvernement inaugure des hôpitaux, mais il n’y a ni infirmières, ni médecins, ni médicaments !
Marc : Au Mexique comme dans le reste du monde, 1968 a touché le système scolaire et le monde étudiant. Après le massacre du 2 octobre de la place des Trois-Cultures (plusieurs centaines de morts), les mouvements qui se sont développés étaient souvent portés par des instituteurs, formés dans des écoles normales, en ville. Un des personnages influents de la révolte de l’Oaxaca, un Zapotèque de la Sierra Norte, était étudiant à Mexico en 1968. Quand il est retourné chez lui, une fois diplômé, il est revenu avec une expérience politique qu’il a croisée avec l’histoire paysanne de ses parents. Un de nos amis, Carlos Manzo, est retourné vivre dans son village d’origine, mais il est lui aussi passé par l’université de Mexico (UNAM). En revanche, si l’on parle des zapatistes du Chiapas, ils sont à 99,9 % un mouvement indigène. Je ne connais pas de commandant zapatiste qui soit passé par l’université, donc par la ville, Marcos faisant exception, évidemment, qui est arrivé au Chiapas en 1984.

La Commune d’Oaxaca restera le grand mouvement de l’année 2006. C’est un mouvement très populaire localement. Mais est-il soutenu dans le reste du Mexique ?
Jorge : Contrairement à la lutte des zapatistes en 1994, la lutte de la Commune d’Oaxaca a mobilisé beaucoup plus de monde localement. Les affrontements ont été très violents, notamment le 2 novembre, où la police fédérale préventive s’est tristement illustrée. Les gens du quartier sont descendus dans la rue pour défendre leur université, même s’ils n’y ont jamais étudié, car ils y ont vu un symbole à ne pas laisser fouler par les bottes militaires. La solidarité nationale et internationale a tardé, elle n’a pas été aussi radicale et déterminante que pour les zapatistes, probablement parce que les révoltés d’Oaxaca sont moins bons communicateurs, et parce qu’il y a eu une certaine méfiance à l’égard des groupuscules politiques. La révolte a éclaté suite à un ras-le-bol de la population, mais elle couvait depuis longtemps.
Marc : En suivant les rencontres liées à L’Autre Campagne des zapatistes, certaines en villes, d’autres dans les villages, j’ai constaté que les parties de la population mexicaine les plus sensibles à la transformation de l’existence étaient d’une part les peuples indigènes, on en a déjà parlé, et d’autre part la jeunesse. Cela se voit à travers une floraison d’activités urbaines : musique, création de radios, Internet, etc. En revanche, le reste de la population mexicaine se mobilise moins, et beaucoup ont les yeux tournés vers la frontière nord. Il y a des ferments de transformation sociale, mais les classes moyennes et une partie de ceux qui pensent encore s’en sortir par leur travail se sont montrés très peu solidaires avec Oaxaca. À Mexico, les manifestations de soutien ne comptaient que quelques milliers de personnes, ce qui est très peu pour une ville de cette ampleur (vingt millions d’habitants), et surtout, cela n’a rien à voir avec la mobilisation en faveur des zapatistes.

Quel regard portez-vous sur la période 1994-2007 ?
Jorge : En janvier 1994, au Chiapas, pendant quelques jours, les affrontements ont été extrêmement durs. L’armée est intervenue en bombardant. Il y a eu des centaines de victimes. La situation politique mexicaine, entre 1995 et 2006, a ensuite beaucoup changé. Pendant quelques années, les Mexicains ont cru en la possibilité d’un jeu démocratique réel. D’abord parce que le pouvoir quasi unique du PRI a été démantelé. Puis la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) a donné l’illusion de l’accès du Mexique au statut d’État reconnu, membre du « premier monde », aux côtés des États-Unis et du Canada. Cet accord s’est traduit par la paupérisation de la population rurale. Enfin, l’arrivée au pouvoir du président Vicente Fox en 2000, membre du PAN (un parti qui comprend des fractions quasiment fascistes), a laissé croire à une alternance politique. On revient de loin avec le nouveau recours à la fraude lors de la dernière élection présidentielle, celle du 2 juillet 2006.
En 1994, il y avait encore des illusions sur la gauche institutionnelle au Mexique, celle du Parti de la révolution démocratique (PRD) notamment. Cette gauche ne soutient plus les mouvements sociaux, jugés trop subversifs. Le parti de la peur, de la crainte, règne là aussi.

Pouvez-vous nous parler de L’Autre Campagne et de la VIe Déclaration de la forêt Lacandone des zapatistes ?
Marc : Dans la VIe Déclaration, les zapatistes dénoncent la classe politique dans son ensemble, ils rejettent toute alliance, tout contact avec la gauche institutionnelle, dans les partis ou les organisations syndicales. Ils prennent le risque de l’isolement. Ils se situent également hors de l’influence des grands médias. Or le Mexique est un pays où règne la télévision. Les deux principales chaînes n’ont évidemment jamais eu la moindre inflexion pour les mouvements rebelles, mais avec la presse écrite, comme le quotidien La Jornada ou l’hebdomadaire Processo, un bout de chemin avait été fait…

Que dire des conditions de travail ?
Jorge : C’est toujours le XIXe siècle ! Notamment dans les maquiladoras, les zones franches. Avant, elles ne se trouvaient que dans la bande frontalière entre le Mexique et les États-Unis. Il y en a aujourd’hui un peu partout dans le pays, c’est un des résultats de la politique néolibérale. Les conditions de travail de millions d’employés y sont dignes de l’esclavage. En cas de grossesse, les femmes sont licenciées ; chaque passage aux toilettes est décompté du temps de travail ; il n’y a aucune pause du matin au soir, même pour fumer une simple cigarette ; les salaires sont misérables, et, enfin, il est interdit de se syndiquer ! Avec un tel tableau, que dire sinon que le Mexique se dirige vers une nouvelle explosion sociale digne de celle de 1910 !

Et ici, que peut-on faire pour les peuples du Mexique se battant pour leur dignité ? On rejoint le CSPCL ? Et d’ailleurs, depuis quand existe ce comité et que fait-il ?
Marc : Cela fait douze ans que le CSPCL existe, puisque nous avons commencé notre activité en 1995. Nous y participons tous les deux depuis l’origine, ce qui n’est pas le cas de la plupart de ceux et celles qui sont aujourd’hui actifs dans ce comité de solidarité. Au niveau social, cela me rappelle une expérience que j’ai vécue après 1968, dans un comité d’action de quartier, près de la place des Fêtes, à Paris. Le CSPCL est une structure locale. Contrairement au CSIA/Nitassinan, le Comité de solidarité avec les Indiens des Amériques, avec qui nous entretenons les meilleures relations, nous n’avons ni organisation nationale ni adhérents. Ce comité est avant tout une assemblée ! Pour rencontrer le CSPCL, il suffit de venir le mercredi soir au 33 de la rue des Vignoles pour discuter avec ceux qui s’y réunissent. Nous n’avons pas de secrétariat, pas de locaux à nous. Ce qui fait que depuis douze ans, le collectif a maintenu une certaine spontanéité et qu’il reste fréquentable, malgré un manque d’organisation évident. Dans certains domaines, notamment en matière de solidarité économique, de grands progrès ont été faits, avec, depuis 2001, l’initiative autour du café zapatiste, acheté aux coopératives du Chiapas et vendu en direct ici. L’association Échanges solidaires, qui s’est créée pour assurer la distribution de ce café, permet un véritable soutien économique à certaines communautés, à travers les caracoles et les conseils de bon gouvernement. Dans le domaine de l’information, une des tâches premières justifiant l’existence du collectif, nous avons fait des progrès certains entre 1995 et 2007. À travers Internet (cspcl.ouvaton.org), le comité de solidarité est devenu une source d’information réelle et fiable sur les luttes du Chiapas, mais aussi du reste du Mexique. De fait, sur Oaxaca, c’est le site du CSPCL qui a été le plus sûr et le plus précis en termes d’informations. Les séjours des uns et des autres au Mexique ont renforcé les liens sur place. Et la participation de Mexicains au comité a porté ses fruits. Ceux qui sont retournés au Mexique ont maintenu des liens, ce qui nous permet d’avoir une assise là-bas, y compris au sein de la radio pirate de Mexico Ké Huelga. Le dernier aspect est humain. Si ce comité a traversé douze années, c’est parce que des liens affectifs forts s’y sont créés, y sont vivants.
Jorge : L’une des qualités de ce comité, et c’est une chose que l’on doit aux zapatistes, est le respect de la parole de l’autre et le refus de la langue de bois. Dès le début, avec les peuples du Chiapas en lutte, nous avons toujours travaillé sur le principe de l’échange : nous observons attentivement les choix politiques qu’ils font, et, réciproquement, ils nous demandent de leur raconter les luttes menées ici, pour les sans-papiers, contre le CPE. Cela nourrit les réflexions et les pratiques des uns et des autres.

Marc

mardi 8 juin 2021 :: Permalien

Marc Tomsin

Compagnon de longue date des mobilisations zapatistes, éditeur de Ludd puis de Rue des Cascades, animateur du site La Voie du jaguar, correcteur portant haut l’étendard syndical, Marc Tomsin (1950-2021) vient de mourir. Il était la bonté même.

C’est grâce à lui que nous sommes allé·es au Chiapas, que nous avons fait la rencontre de Raoul Vaneigem, que nous avons tant appris sur l’édition indépendante et critique et sur ce qu’elle exige.

Il va terriblement nous manquer.

Là où le feu et l’ours dans CQFD

lundi 7 juin 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans CQFD n°199 – juin 2021.

S’il vous plaît,
dessine-moi un mouton horizon

Copinage & plantigrades

Avec son roman Là où le feu et l’ours (Libertalia, 2021), Corinne Morel Darleux, familière de nos colonnes, fait feu imaginatif de tout bois, entre Alice aux trousses du lapin blanc et Petit Prince libertaire.

Première comète propulsée dans le récit, il y a cette jeune fille qui s’appelle Violette et sympathise avec des ours terrés dans une tanière. S’ensuit une errance dans le désert en quête de tribus, puis une arrivée dans une oasis hissant le drapeau pirate. Déboulent derrière une palanquée de cavaliers patibulaires, de hiboux, de sages singes et de frangipaniers – tout un univers foisonnant, qui s’adresse aussi bien aux grands enfants qu’aux petits adultes.

« Tout est vrai », écrit pourtant celle qui évoquait dans notre dernier numéro le pouvoir de l’imaginaire animalier, une fois le récit terminé, dans une sorte de postface faisant office de « glossaire, symbolique et coulisses ». Une affirmation en forme de belle pirouette, résumant bien l’ambition portée par ce premier roman gorgé d’onirisme chatoyant et d’horizons émancipateurs – Là où le feu et l’ours.

« Tout est vrai ». Et après tout, pourquoi pas ? Les histoires contées dans ces pages, celle de Violette sillonnant le désert avec ses compagnons ours, celle de Princesse Cheyenne les accueillant dans une oasis aux faux airs de Zad, celle d’un monde essoré, cramé, où de nouvelles formes d’alliances avec le vivant composent un antidote à la catastrophe, et celle, in fine, d’un univers où enfants et femmes reprennent les commandes, composent tout un arrière-fond foncièrement terrestre, où tout se tient, fait sens. Rien de galactique ou d’extra-terrestre là-dedans, simplement une redistribution des cartes laissant plus de place à la poésie, à la sensibilité et aux galops de la nature.

Car si « tout est vrai » dans ce texte, du « bruissement des toucans » à « la course des margays dans les arbres à kapok », c’est à l’aune d’une approche de la fiction comme territoire d’expérimentation et d’utopie. De l’autre côté de ce miroir, il y a certes des drames, des doutes, des défaites et des amnésies envahissantes, mais aussi l’exorcisation d’un asphyxiant présent par cet univers rêvé où les artefacts pesants de la modernité sont évacués – le désert ou la forêt pour moteurs, pas les écrans ni le spectacle.

« Je me suis mise à écrire avec une envie féroce de grands espaces arides et de végétation luxuriante », explique en fin d’ouvrage celle dont l’essai Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (Libertalia, 2019) mettait en lumière la capacité de l’imaginaire (littéraire en premier lieu) à endiguer l’effondrement généralisé. Plongeant dans le bain fictionnel avec ses camarades ursidés, elle a clairement rempli sa mission, barbotant gaillardement avec les saumons de l’utopie. Un pur bol d’ère.

Émilien Bernard

La Semaine sanglante sur Lundi matin

jeudi 3 juin 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur les sites de Lundi matin et de la Bibliothèque Fahrenheit 451, mai 2021.

Du 21 au 28 mai 1871, le gouvernement versaillais met fin à la Commune de Paris, en menant une guerre meurtrière et massacrant sans distinction et souvent sans jugement. Michèle Audin, interrogeant les archives des cimetières de Paris mais aussi de la banlieue, de l’armée, de la police, des pompes funèbres, recherchant dans la presse les mentions des charniers sous les pavés, exhumés jusqu’en 1920, des corps brûlés dans les casemates des fortifications, de ceux repêchés dans la Seine, propose un décompte des victimes de cette « Semaine sanglante ».

Son estimation est supérieure à celles de Maxime du Camp, historien versaillais, et de Camille Pelletan, journaliste radical qui n’a pas eu accès à tous les services. Comme écrivait ce dernier : « Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois. »

Très brièvement, elle rappelle l’histoire factuelle de la Commune : la défaite contre la Prusse, la révolte, le massacre. Puis elle confronte aux faits l’« abondante légende dorée » qui entoure ces événements : la suppression du travail de nuit qui n’a concerné que les ouvriers boulangers, l’autogestion des ateliers abandonnés par leurs patrons et réquisitionnés, qui n’a pu être appliquée, faute de temps, l’égalité de salaire pour hommes et femmes dont elle ne trouve pas de trace, sauf un entrefilet dans Le Cri du peuple à propos du traitement des instituteurs et institutrices, sans confirmation au Journal officiel ni dans les procès-verbaux. Elle confirme la défense d’une barricade, place Blanche, le 23 mai, par un bataillon de femmes, et des participations féminines sur de nombreuses autres. Elle recense également les mentions d’élus de l’assemblée communale qui se sont battus jusqu’à la fin de la Semaine sanglante. Si un décret a bien été voté à l’unanimité le 5 avril, menaçant d’exécution d’un nombre triple d’otages, en représailles à des assassinats de prisonniers par les versaillais, il n’a jamais été appliqué par la Commune. S’il y a toutefois bien eu des exécutions (l’archevêque, des gendarmes et des prêtres), ce ne fut jamais sur décision de l’assemblée. En revanche, ce vote a immédiatement mis fin aux exécutions. Elle procède encore à de nombreuses mises au point, par exemple au sujet des viols, occultés par tous les historiens, des cours martiales.
Le dimanche 21 mai, 100 000 soldats entrent dans la ville par le Point-du-Jour, près de la porte de Saint-Cloud, tuant immédiatement des prisonniers. Michèle Audin procède donc à un méthodique décompte des morts depuis cette date, jusqu’au 28 mai. Préalablement elle passe au crible les évaluations des précédents « compteurs » : Prosper-Olivier Lissagaray (« 17 000 morts avoués »), Alfred Feydeau et Maxime Du Camp (6 667, « avec une certitude absolue »), Camille Pelletan (30 000 fusillés de Paris »), Robert Tombs (7 400). Elle présente les archives qu’elle a pu consulter, dont certaines inédites, proposent d’intégrer certaines inhumations au-delà du 30 mai, au contraire de ses prédécesseurs, et commence à égrener les registres des cimetières, à pointer d’évidentes dissimulations, voire des falsifications, pour parvenir à un « chiffre officiel » de 8 509 morts. Dans la presse, elle relève des mentions de corps jetés dans la Seine qu’il sera impossible de comptabiliser, et d’exhumation partout dans Paris : puits de la place des Fêtes, fossés de la Muette, bois de Boulogne, Buttes-Chaumont, square de la Tour-Saint-Jacques, etc. Des ossements identifiés comme ceux de fédérés, des ossuaires complets même, seront découverts à l’occasion de chantiers, jusqu’en 1920 ! En conclusion, elle estime qu’il n’est nullement déraisonnable de doubler ce chiffre minimum et officiel.
Au-delà du simple exercice de comptabilité, Michèle Audin articule de précieux témoignages sur ces journées sanglantes, participant à rendre justice aux victimes et à la « véridique histoire » de la Commune.

Ernest London, 
Le bibliothécaire-armurier