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jeudi 5 avril 2018 :: Permalien
Sur le blog Mediapart de JC Leroy, 1er avril 2018.
À travers ce « Voyage en outre-gauche », que publie Libertalia cette saison, Lola Miesseroff donne la parole aux francs-tireurs des années 68, et c’est un autre son de cloche qui alors survient, où les plus purs combattants de l’époque firent montre d’attitudes sans calcul et n’ont pas cherché par la suite à faire fructifier leurs états de service.
Si les plus grosses lettres des livres d’histoire sont gravées par les vainqueurs et imposteurs dans un marbre trop immuable, celui de la postérité, il n’est pas mauvais que des voix moins autorisées mais non moins légitimes puissent se faire entendre à l’occasion. En attendant mieux.
À travers ce Voyage en outre-gauche, que publie Libertalia cette saison, Lola Miesseroff donne la parole aux francs-tireurs des années 68, et c’est un autre son de cloche qui alors survient, où les plus purs combattants de l’époque firent montre d’attitudes sans calcul et n’ont pas cherché par la suite à faire fructifier leurs états de service.
Le livre est dédié à l’ami Arthur, qui nous a quittés il y a bientôt quatre ans. Énergumène franc-tireur ô combien, il a été le type même, et avec un vrai panache, du citoyen incontrôlable. Subversif dans l’âme, Arthur opéra sous divers pseudonymes, à la manière de son cher B. Traven, dont il fut le passeur et traducteur. En 68, Arthur était des Vandalistes de Bordeaux, auteur d’un tract fameux dans lequel on lisait notamment : « Ne dites plus “Monsieur le professeur”, “bonsoir papa”, “merci docteur”, etc. mais “Crève salope !” » De quoi s’attirer quelques durables amitiés.
Quelqu’un rappelle d’abord le temps d’avant mai à l’école, ici dans un lycée technique public nantais, bonjour l’ambiance : « Le matin, le surveillant général était à la porte du lycée et renvoyait chez eux tous ceux qui étaient en jean. Les filles portaient une semaine une blouse bleue et une semaine une blouse rose. »
Un autre que nous connaissons était à Paris quelque temps après, au lycée Jacques-Decour, il décrit la façade bientôt ornée des drapeaux noir et rouge. « Et une banderole proclame que le lycée est autogéré, terme chargé, alors, d’une connotation immédiatement subversive évoquant la Commune de Paris ou les premiers soviets de Russie avant leur confiscation par les bolcheviks. Un courant anarcho-dadaïste s’empare de quelques salles de cours désertées et leur donne les noms d’Antonin Artaud, d’André Breton et de Tristan Tzara, ignorant délibérément les sinistres héros positifs d’un gauchisme essayant de rattraper le mouvement. [1] »
C’était l’époque où les jeunes les plus affûtés apprenaient à vivre avec Vaneigem et à penser avec Debord. Par ailleurs, « on critiquait le PC, mais critiquer la CGT, c’était beaucoup plus compliqué. […] Après 68, c’était facile, mais avant, taper sur la CGT, c’était s’attaquer directement à la classe ouvrière ».
« Non contents d’entraver les contacts, les miliciens de la CGT n’hésitaient pas à employer la violence et à cracher leur haine au visage de ces salauds de jeunes. » Les étudiants venus semer leur graine à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt se souviennent du service d’ordre musclé qui les chassa violemment. Pas question de révolution par ici.
Par ailleurs, quelques-uns remarquent déjà l’arrivisme de Cohen-Bendit : « Quand les caméras ou les photographes arrivaient à Nanterre, Dany était le premier à se faire photographier, c’était un mec avide de notoriété, de se montrer. »
Et puis ce moment où se constitue, regroupant enragés et situationnistes, le Conseil pour le maintien des occupations (CMDO). « Outre leur participation aux manifestations et barricades, les camarades du CMDO publièrent moult affiches, textes, bandes dessinées et chansons détournées. Jusqu’à son auto-dissolution à la mi-juin, le CMDO s’efforça, avec un notable succès, d’établir et de conserver des liaisons avec les entreprises, des travailleurs isolés, des comités d’action et des groupes de province. » Selon René Viénet, auteur de Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations [2], cité par Lola Miesseroff : « Le CMDO, pendant toute son existence, réussit une expérience de démocratie directe, garantie par une participation égale de tous aux débats, aux décisions et à l’exécution. Il était essentiellement une assemblée générale ininterrompue, délibérant jour et nuit. Aucune fraction, aucune réunion particulière n’existèrent jamais à côté du débat commun. »
À Censier, haut lieu de la période, il est notable après coup, car cela était plutôt nouveau, que les filles prennent des responsabilités, elles « apportent aussi une liberté de parole nouvelle, celle de “parler sans réticence de sa vie, de ses expériences, de son travail” ». Au même titre que les garçons, elles participent aux décisions et aux actions politiques. Cependant l’une d’elles conclut son témoignage ainsi : « J’ai su que Mai était terminé lorsque, après le 24 mai, un type m’a draguée dans un couloir de Censier. L’ordre ancien était restauré. À nouveau, j’étais une nana. »
En plein mouvement il faudrait réfléchir aussi vite que l’action qui se mène, et même un peu plus. Or, c’est rarement le cas. En outre il serait indispensable et heureux d’« établir des points de vue communs ». Ne pas louper le coche. L’histoire n’aime pas repasser les plats, comme on dit. Certaine se souvient aujourd’hui de l’état d’esprit du moment : « Je n’ai pas imaginé une seconde que la révolution viendrait plus tard. On avait mis toutes nos forces et c’était impossible qu’on en retrouve autant. J’étais convaincue que la répression serait définitive et mortelle. Que cela ne reviendrait plus… et ça n’est jamais revenu. »
Maintenant, qui sont ces francs-tireurs ? Évidemment, le plus souvent des gens peu organisés, mais se donnant pourtant les moyens d’agir et d’opérer. L’argent manquant, il en faut. D’aucuns n’hésitent donc pas à franchir le seuil de l’illégalité. Pourquoi pas ? Ils témoignent : « On s’est fait cracher dessus par toute l’ultragauche, ils critiquaient le fait d’avoir recours à la délinquance […]. » C’est en effet l’occasion pour une partie de l’ultragauche de préciser sa réprobation, mais d’autres soutiennent ces pratiques, se référant au Mouvement Ibérique de Libération, dont les membres sont à la fois gangsters et révolutionnaires, l’argent volé servant uniquement les caisses de solidarité et la cause antifranquiste.
Quand un mouvement échoue, chacun a tendance à se replier sur sa particularité, et revendique à partir d’elle. Mai 68 aura vu fleurir à sa suite notamment les mouvements féministes et homosexuels, pensons au Front homosexuel d’action révolutionnaire, le FHAR, cofondé par le talentueux Guy Hocquenghem, le même qui signera en 1986 un pamphlet impitoyable pour ceux de ces camarades qui ont tourné leur veste.
Quand les protagonistes vieillissent c’est bien sûr qu’ils ne meurent pas, du moins est-ce vrai pour ceux qu’a choisi d’interviewer Lola Miesseroff (à la différence de ceux qui ont choisi la carrière nimbée de reniements). Ces vivants-là ne se font plus guère d’illusion, ils pensent qu’ils ne verront pas la révolution à laquelle toujours ils aspirent. Parfois, au coin d’un sourire échangé avec un ami ou un passant, un lecteur, ils se souviennent que « les événements historiques explosent, éclatent alors que personne ne s’y attend, ou que très peu de gens s’y attendent. On a parfois un peu d’intuition en se disant qu’il va se passer quelque chose, mais on ne peut pas deviner quelle va être sa dimension ».
Mais c’est l’auteur du livre qui, après avoir écouté à longueur de pages des échos assez divers, au final, donne son sentiment raffermi : « Quoi qu’il en soit, je maintiens, pour ma part, que la question de la révolution reste d’actualité et que la lutte de classes est la seule façon d’éviter que la faillite du capitalisme soit la destruction de l’humanité. »
À condition, bien sûr, que la lutte soit aussi une lutte pour la vie, avec la vie.
Jean-Claude Leroy
mercredi 4 avril 2018 :: Permalien
Plus vivants que jamais dans Ballast, mars 2018.
En mai 1968, Pierre Peuchmaurd n’a pas même vingt ans lorsqu’il prend pleinement part au mouvement de révolte. Révolte ? Non. Pour le jeune poète, cela ne fait aucun doute, Mai 68 est une bouffée d’air révolutionnaire. Détaché de tout groupe ou parti politique, il décrit ce qu’il vit sous forme de journal : Plus vivants que jamais est son premier livre, paru alors et aujourd’hui réédité aux éditions Libertalia. Sa plume, directe et poétique, nous plonge dans un Paris en ébullition : on se croit à ses côtés, parcourant les rues en essayant de contourner les CRS qui bloquent l’accès au Quartier latin. Car la Sorbonne, « ce vieux tas de pierres, c’est vrai, tout d’un coup nous la voulons. Étudiants ou pas, elle est à nous ». D’un jour à l’autre, d’un lieu à l’autre, le lecteur est pris dans les événements qui s’enchaînent. « C’est le début du pouvoir dans la rue. La rue en mai est subversive », lance l’auteur avant un meeting à la Mutualité. Les slogans qui fleurissent de partout le réjouissent : « Cette fois, c’est vrai, la poésie est dans la rue. » La spontanéité est palpable, la vie a quelque chose de différent : « Les arbres en tremblent de plaisir. Ce soir, eux aussi seront aux barricades ». Celles-ci se mettent en effet rapidement en place – « Une barricade ça sort de terre plus vite que le blé ». La nuit du 10 mai est marquée par des attaques de CRS, les lacrymos, le chlore. Les pavés volent, avec un seul mot d’ordre : tenir ! Quelques jours plus tard, ce sont des cortèges désordonnés qui avancent au rythme de L’Internationale. Si la Sorbonne bouillonne, le mouvement prend auprès des ouvriers. Rapidement, grèves et blocages se répandent : « Paris sans essence. Ça fait tout de même plus propre », écrit Peuchmaurd, qui ne cache pas son excitation. Mais aussi sa déception lors de la « trahison » de Georges Séguy, signant avec le pouvoir et actant la reprise du travail au début du mois de juin. L’impression que tout était possible fut courte, mais elle est merveilleusement retranscrite au travers de ce « journal des barricades ».
M.B.
mercredi 4 avril 2018 :: Permalien
L’École du peuple dans Ballast, mars 2018.
Après Trop classe, Véronique Decker réitère : ce livre – fort de l’épaisseur de la quotidienneté – montre la difficulté, pour les collectifs enseignants comme pour la directrice qu’elle est, à réussir, par mille stratégies et économies de bouts de chandelle, à garder à flot un établissement par temps de casse des services publics et du système scolaire. Celle-ci s’exprime avec fureur dans les quartiers populaires comme celui de la cité Karl-Marx à Bobigny, où Decker lutte contre des conditions de vie souvent très dures. Jamais misérabilistes, ces soixante-quatre anecdotes confèrent une densité faite d’émotions, d’échanges, de solidarités et de stratégies de survie à cette vie scolaire qui déborde volontiers de ce seul cadre. On touche du doigt combien une école qui vit est une école à même de cristalliser les efforts des enseignant·e·s, des parents, des divers agent·e·s et des élèves – en mettant en avant le temps long, l’apprentissage progressif, la pédagogie Freinet ou les valeurs d’entraide et d’empathie… Il y a quelque chose de L’Établi ou de l’enquête sociale dans ce livre. Déprimant ? Eh bien non ! Au chevet de l’école et à l’écoute de tous, le talent de Véronique Decker, dans sa manière de vivre comme d’écrire, est de rappeler, pour qui en doutait, qu’il est une joie, par-delà les moments las, à tenir tête. L’auteure vise une réussite sociale pour tous ces enfants : il y a fort à parier qu’elle a réussi pour nombre d’entre eux. Une bouffée d’oxygène.
T.M.
mercredi 4 avril 2018 :: Permalien
Propos d’un agitateur sur Ballast, mars 2018.
Il est des bouquins à la taille de votre poche de manteau : ils n’en dépassent pas et rassemblent pourtant toute la puissance de la pensée et des actions de leur auteur. Propos d’un agitateur est de ceux-là ! Il offre la plupart des textes les plus percutants du révolutionnaire mexicain Ricardo Flores Magón. D’emblée, la couverture attire l’œil : du noir, du blanc et du rouge ; un squelette coiffé d’un sombrero monté sur un cheval, fusil dans le dos. Puis on tourne quelques pages : nous voici embarqués aux côtés de la révolution mexicaine du début du XXe siècle. Dans sa préface, David Doillon, traducteur d’une partie de l’ouvrage, écrit : « La production de Flores Magón ne compte pas de longs essais ou d’ouvrages théoriques. Quand il était en liberté, et lorsqu’il n’était pas en fuite, les tâches de l’organisation l’absorbaient totalement. Même en prison, le peu de moyens dont il disposait pour écrire était réservé au travail clandestin. Considérant la presse comme l’un des meilleurs instruments de propagande, sa pensée s’est donc essentiellement diffusée par le biais des différents journaux qu’il a créés ou auxquels il a collaboré, sous forme d’articles ou de contes. Partisan de l’action révolutionnaire insurrectionnelle, il considère ses textes — au même titre que le fusil ou la dynamite — comme une arme contre le système d’oppression. » Treize textes, autant de cartouches tirées pour le « Droit à la révolte », depuis « La Barricade » et au nom des ouvriers autant que de la « Justice populaire ». Assez, portées en bandoulière, pour un début d’insurrection ou un débat houleux !
R.L.
mercredi 4 avril 2018 :: Permalien
Refuzniks dans Ballast, février 2018.
Des « traîtres ». Ils ont refusé le service militaire, la guerre ou les politiques d’occupation conduites par leur pays, Israël ; ils sont une quarantaine à témoigner dans les pages de ce beau livre de reportage photo, signé Martin Barzilai, paru aux éditions Libertalia et soutenu par Amnesty International – on les appelle les refuzniks. Et il en faut du courage, commente l’auteur, pour refuser de se soumettre « dans un pays où la pression de l’État est constante et où le prix à payer en termes d’exclusion sociale et parfois de rejet familial est extrêmement élevé ». On découvre au fil des pages des hommes et des femmes de tout âge, invoquant tour à tour la volonté de ne pas manier une arme, l’exigence de dignité, l’antisionisme, les droits humains, l’anti-impérialisme, le rejet de la violence ou bien l’objection de conscience. « À 17 ans, je me suis rendu dans les territoires occupés pour aider les Palestiniens à ramasser les olives. Ça m’a beaucoup marqué. Un jour, des colons ont volé la récolte. Leur argument était que tout ce qui pousse sur la terre d’Israël appartient aux Juifs. Il n’y a pas d’instance juridique pour régler ce genre de problème. J’ai compris que l’argument de la sécurité pour occuper la Palestine était un mensonge. Lorsque j’ai décidé de ne pas faire mon service, j’ai voulu que cette décision soit perçue comme politique. Pour la rendre publique, il fallait que j’aille en prison », confie ainsi Alex, la petite vingtaine, barbiche rousse et silhouette filiforme. Omri, 18 ans, dont le visage fier illustre la couverture de l’ouvrage cartonné, raconte quant à elle : « Je suis contre le fait de prendre une vie. Que ce soit celle d’un animal ou celle d’un humain. […] J’ai rapidement réalisé que je ne pourrais pas faire partie d’une structure violente comme l’armée. […] Chez moi, on ne parlait pas de politique, je ne savais même pas ce qu’était l’occupation des territoires palestiniens. Lorsque je me suis rendue en Cisjordanie, ça a été comme un électrochoc. » Ils sont marginaux, à l’évidence, mais n’en sont pas moins l’espoir.
M.L.