Éditions Libertalia
> Blog & revue de presse
jeudi 8 janvier 2015 :: Permalien
Fascisme et grand capital dans Alternative libertaire (décembre 2014)
Les éditions Libertalia ressortent ce mois-ci une nouvelle édition de Fascisme et grand capital de Daniel Guérin. Cet ouvrage, classique, n’avait plus été réédité depuis dix ans. Cette édition qui fait suite à celles de Maspero et de Syllepse, est la plus complète à ce jour. Elle comprend toutes les préfaces écrites par Guérin, ainsi que la postface de l’édition américaine.
Cet ouvrage entend donner une lecture matérialiste du phénomène qu’est le fascisme, au-delà des simples explications morales qui le voient comme une forme de mal absolu, mais qui souvent ne vont guère plus loin. Au contraire, Guérin, qui a une lecture matérialiste de l’histoire, explique par la situation sociale des pays le fascisme en Italie de même que le nazisme allemand. Ainsi, c’est un contexte très particulier qui voit l’émergence du fascisme.
Il naît à la suite de l’agitation ouvrière dans ces deux pays après la Première Guerre mondiale. Les ouvriers prennent alors le contrôle des usines, voire de régions entières. Le patronat industriel, mais aussi les grands propriétaires terriens sont contraints à de nombreuses concessions qui leur restent en travers de la gorge. Pour contrer cette agitation ouvrière, la propagande et la démocratie parlementaire ne sont pas suffisantes. De nombreuses milices sont montées. Elles répriment dans le sang cette agitation (assassinat de Rosa Luxemburg par exemple). C’est de ces milices que naissent les partis fascistes, qui se lancent alors à la conquête du pouvoir, et qui le prennent en 1922 en Italie et 1933 en Allemagne.
Une lecture matérialiste.
Le fascisme n’est pas un courant politique issu de la bourgeoisie dominante mais, par sa mystique et son positionnement dans la lutte des classes, il a rapidement son soutien, plus particulièrement de l’industrie lourde (sidérurgie, mines…) dont les intérêts sont très directement menacés par les grèves et dont les commandes dépendent pour beaucoup de l’armée et de l’industrie de guerre.
D’un autre côté, les groupes issus de l’industrie légère sont plus portés sur des politiques de compromis. Le soutien et la compromission de la grande bourgeoisie avec le fascisme, minorés voire occultés dans la plupart des livres d’histoire sont ici étudiés avec minutie, s’appuyant sur une documentation fournie et extensive.
Soutien de la bourgeoisie.
Néanmoins, le fascisme n’est pas seulement subventionné par la bourgeoisie. Il est aussi capable de convaincre et d’entraîner des catégories de la population que les politiciens bourgeois habituels n’arrivent plus à toucher. Par sa mystique et sa rhétorique, il parvient à séduire la petite bourgeoisie, les classes moyennes (employés, cadres intermédiaires) particulièrement effrayées par le déclassement, ainsi que certaines portions de la classe ouvrière…
Les fascistes, en Italie et en Allemagne, n’arrivent pas au pouvoir par un coup d’État, ni une révolution, serait-elle nationale. Ce sont les élites bourgeoises, qui lui ouvrent les portes du pouvoir. Lors de la grande marche fasciste sur Rome en novembre 1922, ce sont les bus du gouvernement, qui a accepté Mussolini comme dirigeant qui amènent les Chemises noires, coincées à 70 kilomètres de Rome, en ville. Le même schéma se répète en Allemagne, où Von Papen, soutenu par les élites prussiennes, appelle Hitler au pouvoir.
Il faut dire que ces prises de pouvoir interviennent dans un moment particulier : dans un contexte de crise, alors que les politiciens bourgeois de la démocratie parlementaire sont totalement décrédibilisés. Elles interviennent aussi dans un contexte de lutte des classes exacerbé : malgré une certaine agitation, la classe ouvrière n’a pas pu faire la révolution, mais en revanche, elle a fait suffisamment peur à la grande bourgeoisie pour que celle-ci envisage le recours au fascisme. C’est donc dans une large mesure par défaut que les régimes fascistes sont arrivés au pouvoir.
C’est aussi à cause de la faillite des organisations ouvrières que le fascisme arrive à ses fins. Cette faillite, qui est un reproche adressé par Guérin aux partis communistes mais aussi aux partis sociaux-démocrates, a plusieurs causes. La première est la division. Ainsi pendant deux ans, en Allemagne, les milices du parti communiste préfèrent attaquer les sociaux-démocrates du SPD, plutôt que les SA nazis. C’est aussi le refuge derrière la légalité bourgeoise et le refus de s’attaquer frontalement aux fascistes dans la rue qui est la cause de la défaite des organisations ouvrières. Le SPD allemand constitue une puissante milice (le Front d’Airain) à même d’écraser les SA, mais refuse d’attaquer les nazis, préférant s’en remettre à la police…
Par ailleurs, il est intéressant de faire un parallèle entre la situation actuelle, et les événements décrits dans l’ouvrage de Guérin. Si l’Europe ne sort pas d’une guerre mondiale, elle est bien en situation de crise économique, qui même si elle est plus larvée se rapproche dans une certaine mesure de celle de 1929. Les politiques d’austérité ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles menées immédiatement après la crise de 1929, et le personnel politique bourgeois est tout aussi discrédité, alors que l’extrême droite se développe dans tous les pays européens. Dans cette période moins violente, en France, le Front national a délégué le rôle de milice à quelques groupuscules néofascistes, mais son programme se rapproche toujours de celui d’Hitler et Mussolini.
Mêmes solutions.
En conclusion, nous pourrons dire que si l’histoire ne se répète pas et qu’elle n’a pas de lois immuables, souvent, les mêmes causes donnent les mêmes effets.
Avec la crise, et l’austérité qui s’ensuit, se sont multipliées les tensions impérialistes, et l’appauvrissement de la classe ouvrière mondiale s’est renforcé. Dans ce contexte, l’extrême droite européenne, si elle a abandonné les oripeaux du fascisme des années 1930, se propose d’appliquer les mêmes solutions, c’est-à-dire notre écrasement au service d’un capital national.
Dans ce contexte, pas de fatalité, l’histoire n’est pas écrite à l’avance comme nous le rappelle Guérin. Il faut prendre la mesure du danger et lutter. Nous finirons cet article par une citation de l’ouvrage : « Si finalement le fascisme s’empare du pouvoir, c’est davantage par défaut que par un renversement révolutionnaire. Le prolétariat, seule force capable d’écraser le fascisme est désarmé par ses leaders réformistes qui prêchent inlassablement le “respect de la loi et l’ordre et la confiance dans l’action parlementaire”. Ces mêmes leaders craignent d’ailleurs presque autant une révolution ouvrière qu’un coup d’État fasciste. »
Matthijs (AL Montpellier)
jeudi 8 janvier 2015 :: Permalien
Fascisme et grand capital sur Anarlivres (janvier 2015)
Autre référence, Fascisme et grand capital de Daniel Guérin, que Libertalia a réédité. Celui-ci est le fruit de deux voyages de l’auteur en Allemagne, en 1932 et 1933, et de ses contacts à Paris avec les premiers réfugiés antifascistes. Il souhaitait ainsi « exposer les véritables raisons de la victoire fasciste ; démasquer, sans ménagement, les défaillances des partis ouvriers vaincus, que d’autres s’obstinaient à camoufler ; convaincre le lecteur qu’on ne pouvait pas combattre le fascisme en s’accrochant à la planche pourrie de la démocratie bourgeoise, qu’il fallait donc choisir entre fascisme et socialisme… » Hélas ! lorsque l’ouvrage paraît en 1936, il est déjà trop tard. Régulièrement réédité depuis, il vient apporter un éclairage du passé pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui alors que le fascisme renaît en Europe sous d’autres formes.
jeudi 8 janvier 2015 :: Permalien
L’École des barricades sur Anarlivres (décembre 2014).
Dans L’École des barricades, Grégory Chambat a choisi et présente « vingt-cinq textes pour une autre école » écrits de 1789 à 2014. On y retrouve aussi bien des penseurs comme Proudhon et Bakounine que des pédagogues (Ferrer, Albert Thierry, Paul Robin, Freinet…) et des mouvements (Commune de Paris, Espagne 36, Mai 68, écoles kanak et zapatistes) qui se sont particulièrement souciés d’éducation populaire. Nulle vision ancrée dans le passé car l’ouvrage consacre une large part aux trente dernières années. Mais il s’agit toujours, en définitive, de mettre l’éducation au service des opprimés grâce à un enseignement « intégral » qui vise « à cultiver à la fois dans le même individu l’esprit qui conçoit et la main qui exécute ». Contre l’école de la foi ou de l’État !
jeudi 18 décembre 2014 :: Permalien
Article publié dans Le Quotidien du médecin, lundi 15 décembre 2014.
Le Dr Collin a photographié le bagne de Guyane et de Nouvelle-Calédonie au début du XXe siècle, offrant un témoignage rare et humaniste sur ces lieux de détention. Les photographies et les écrits de ce médecin font l’objet d’une publication et d’une exposition.
C’est dans le grenier familial que Philippe Collin, petit-fils du Dr Collin, a retrouvé il y a deux ans les documents présentés lors des Rencontres photographiques de Guyane au tout nouveau Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane. « J’avais le souvenir d’y avoir vu des photographies à caractère médical lorsque j’étais enfant, mais je ne savais pas exactement ce qui se trouvait au grenier », déclare Philippe Collin. C’est finalement un ensemble exceptionnel qu’il sort de la poussière, « un millier de plaques de photographies prises durant sa carrière dans les troupes coloniales ».
Une partie concerne le bagne. Pour Marie Bourdeau, directrice du Service patrimoine de la ville de Saint-Laurent-du-Maroni, la capitale du bagne de Guyane, « il est assez rare de trouver des photographies de bonne qualité et un fonds aussi conséquent, avec les textes. En général, on a des bouts de fonds, mais des aussi complets : je n’en connais pas ».
Pendant sa formation à l’Institut Pasteur
Le Dr Léon Collin a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il est médecin sur le bateau La Loire qui transporte les bagnards de Saint-Martin-de-Ré en Guyane, en passant par Alger où d’autres condamnés viennent grossir les rangs des forçats. « Il a fait ça quatre mois par an pendant quatre ans. Le reste du temps, il se formait à l’Institut Pasteur », explique son petit-fils. Cette formation l’emmena ensuite à faire une campagne de vaccination en Nouvelle-Calédonie de 1910 à 1912, où il visita également le bagne qui y vivait ses dernières années.
Le Dr Collin travailla ensuite à Madagascar, dans l’Annam à Hué, avant d’ouvrir un cabinet d’ophtalmologie à Mâcon. Au cours de cette carrière coloniale, il aurait contracté choléra et peste.
Le Dr Collin appartenait, comme les autres médecins du bagne, au Corps de santé des troupes coloniales. « Ils sont officiers ou sous-officiers, formés par l’École de santé navale de Bordeaux, fondée en 1889 », rappelle Michel Pierre, historien, auteur d’ouvrages sur le bagne.
En Guyane, on trouve alors trois hôpitaux, à Cayenne, aux Iles du Salut et à Saint-Laurent-du-Maroni. Les médecins du bagne sont aussi amenés à visiter les camps forestiers répartis sur le territoire guyanais, où les conditions de vie et de travail sont les plus éprouvantes. Un des clichés du Dr Collin montre une visite médicale au Camp de Charvein, dit « Camp de la mort » ou « Camp des Incorrigibles », car on y envoyait les forçats les plus récalcitrants. Les condamnés y apparaissent décharnés et le texte du Dr Collin mentionne le décès d’un des bagnards étendus au premier plan.
Critique du système pénitentiaire
« Tuberculose pulmonaire, accès pernicieux, misère physiologique, dysenterie amibienne »… sont les maux les souvent mentionnés dans les documents d’époque. « Les médecins se plaignent parfois de ne pas recevoir les médicaments demandés, explique Michel Pierre. Et l’un des plus gros problèmes, c’est la mauvaise alimentation et la sous-alimentation. » Sans compter les fièvres équatoriales qui font des ravages notamment dans les premières années du bagne.
Au fil de ces écrits, le Dr Collin se montre critique contre ce système pénitentiaire déshumanisant. Une dénonciation qu’il porte dans la presse de l’époque en publiant sous pseudonyme. En retrouvant les textes originaux et les négatifs des photos de son grand-père, Philippe Collin a découvert que certains articles publiés dans Le Monde illustré ou Détective étaient de son grand-père.
Comme le Dr Collin, d’autres médecins ont laissé des témoignages de leur passage au bagne. L’ouvrage du Dr Louis Rousseau, Un médecin au bagne, publié en 1930, joua ainsi un rôle dans l’arrêt de la transportation, l’envoi de condamnés aux travaux forcés en Guyane, qui fut supprimé en 1938.
Après la Guyane, l’exposition du Dr Collin pourrait être présentée au musée Ernest-Cognacq à Saint-Martin-de-Ré en 2015. Écrits et clichés photographiques seront réunis dans un beau livre, Des hommes et des bagnes, qui sortira en mars 2015 aux éditions Libertalia.
Hélène Ferrarini
lundi 15 décembre 2014 :: Permalien
Un bel article sur les pirates et marins paru en mai 2014 dans Le Monde diplomatique.
On pourrait croire les clichés et les rêveries liés à la mer éternels comme elle. Mais, comme le rappelle l’historien Alain Corbin [1], « un paysage est d’abord une lecture ». Et la lecture change selon les conceptions du monde… Des films Pirates des Caraïbes à l’informatique, la figure du pirate est demeurée une légende active, qui a durablement capturé le « bateau de l’imaginaire populaire [2] ». Mais le prestige des baleiniers d’antan, longtemps objets d’une admiration sidérée – ce dont témoigne fastueusement Moby Dick, de Herman Melville (1851) –, s’est aujourd’hui effacé : la pêche industrielle et la nécessité de protéger les espèces les ont rétroactivement condamnés. Pourtant, eux aussi ont connu d’étranges rivages et fait mentir les préjugés. Et chez eux non plus « il n’existe pas d’hommes soumis »…
Anglais, Français, Américains, tous sont aventuriers dans l’âme, même quand ils sont chirurgiens – on a le plaisir de croiser Arthur Conan Doyle. Ils racontent [3], au fil du XIXe siècle, les glaces du Nord et les cabarets des îles, l’épopée d’un travail hallucinant, la camaraderie entre matelots quelle que soit leur couleur de peau et la découverte impavide d’autres sociétés. Canaques, Maoris, Papous : leurs pratiques sont détaillées très amicalement. Cannibalisme ? En voie de disparition, et sans goût particulier pour les Blancs – trop salés. Paresseux, les « indigènes » ? Mais « pourquoi exalter comme une vertu ce besoin d’agitation » ? Non, les sauvages, ce sont les « civilisateurs » avides, ou les concurrents qui trichent, « une foule de pirates qui viennent vous barboter votre propriété. Y a pus qu’à quitter l’métier et s’faire brocanteur ! ».
Paradoxalement, les flibustiers, si l’on devait s’en tenir au dictionnaire [4] qui les recense, susciteraient moins d’amitié. Cartes, glossaire et chronologie sont précieux, mais les six cents notices – capitaines, ports et armateurs – sont souvent trop détaillées pour ne pas égarer le profane, tout en évitant de donner les définitions qui s’imposent (qu’est-ce qu’une lettre de marque ?). Certes, on découvre la piraterie cosaque et les origines de la Boston Tea Party, annonciatrice en 1773 de la guerre d’indépendance américaine. Mais sont absents, exemplairement, Olivier Misson, fondateur vers la fin du XVIIe siècle de la communauté libertaire Libertalia, ou encore l’élégant Edward John Trelawny, ami du poète Percy Bysshe Shelley et néanmoins pirate en mer de Chine. Autant dire que l’esprit dissident de ces marginaux, leurs rêves d’égalité, révélés discrètement par Daniel Defoe dans son Histoire générale des plus célèbres pirates (1724) et déployés plus récemment par l’universitaire Marcus Rediker, brillent par leur absence…
L’essai de l’historienne américaine Gillian Weiss [5] aurait pu constituer un long complément à ce dictionnaire, puisqu’elle s’y intéresse au rachat de Français devenus esclaves après leur capture par des corsaires ottomans en Méditerranée, pour l’essentiel entre le XVIe et le XIXe siècle. Mais l’ouvrage, qui postule un lien étroit entre la question des esclaves et la construction de l’appartenance française, colonisation de l’Algérie y compris, semble avant tout déterminé à intenter un procès à ce que l’auteure nomme la « francité » et aux Lumières à partir de notions quelque peu anachroniques (le « métissage culturel »). Il reste en revanche discret sur les enjeux économiques et politiques du transport maritime en Méditerranée, ainsi que sur les traités de paix et de commerce qui lièrent Paris à Alger. Autant se consoler en lisant la version qu’en donna, presque à chaud, Miguel de Cervantès [6] : il fut esclave à Alger de 1575 à 1580.
Evelyne Pieiller
[1] Alain Corbin, Le Ciel et la Mer, Flammarion, coll. « Champs », Paris, 2014, 98 pages.
[2] Marcus Rediker, Les Forçats de la mer. Marins, marchands et pirates dans le monde anglo-américain (1700-1750), Libertalia, Paris, 2010.
[3] Les Baleiniers. Témoignages, 1820-1880, présenté par Dominique Le Brun, Omnibus, Paris, 2013, 928 pages.
[4] Gilbert Buti et Philippe Hrodej (sous la dir. de), Dictionnaire des corsaires et pirates, CNRS Editions, Paris, 2013, 990 pages.
[5] Gillian Weiss, Captifs et corsaires. L’identité française et l’esclavage en Méditerranée, Anacharsis, Toulouse, 2014, 410 pages.
[6] Miguel de Cervantès, « L’Espagnole anglaise », dans Nouvelles exemplaires, Gallimard, coll. « Folio Classique », Paris, 1981 (première édition : 1613). Cf. aussi « Le récit du captif » dans Don Quichotte.