Le blog des éditions Libertalia

La Commune n’est pas morte dans le Canard enchaîné

vendredi 17 mai 2013 :: Permalien

Mercredi, nous publiions la chronique des Rois du rock par Émilien Bernard pour le Canard enchaîné. La semaine précédente, un autre ouvrage Libertalia était à l’honneur dans les colonnes du journal, La Commune n’est pas morte d’Éric Fournier.

L’insurrection qui vint

Depuis plus d’un siècle, chaque année ils ont plus ou moins nombreux à célébrer le 18 mars, le premier jour de la Commune, ce jour où les Parisiens se soulevèrent, refusèrent de capituler devant l’armée prussienne, luttèrent pour conserver les canons dont Thiers voulait les déposséder, et prirent le pouvoir. C’était en 1871, cela dura un peu plus de deux mois et se termina par un bain de sang, mais « il est des inachèvements plus riches de promesses que des accomplissements ordinaires », comme disait en 2003 le gaulliste Christian Poncelet, alors président du Sénat. Oui, surprise, et c’est ce qu’on apprend dans ce très solide ouvrage d’Eric Fournier, « La Commune n’est pas morte » (1), il n’y a pas que la gauche, le PC, Marx, Lénine, les anarchistes qui revendiquent l’héritage de la Commune, mais aussi des identitaires fascisants (qui cannibalisent sa mémoire à tort et à travers)…

La Commune fut-elle un crépuscule, la dernière révolution du XIXe siècle, ou l’aurore des révolutions du XXe ? Pourquoi reste-t-elle vivante dans nos mémoires, alors que d’autres révolutions du XIXe siècle, comme juin 1848, ont été si vite oubliées ? Pourquoi reste-t-elle un mythe indéracinable, et nous interroge-t-elle encore ? Eric Fournier montre qu’au cours du dernier siècle, notamment lors du Front populaire, sa mémoire fut activement mobilisée par la gauche, au service des luttes politiques. La montée au mur des Fédérés fut longtemps un rituel majeur : « 600 000 au mur ! » titre « L’Humanité » le 25 mai 1936. Mais aujourd’hui « les cortèges qui montent au mur deviennent fort clairsemés ». A la suite du pionnier Jacques Rougerie, les historiens ont dépouillé la Commune des légendes qui l’encombraient, et la voilà restituée dans sa complexité et sa singularité, ce qui en limite l’usage militant…

Certes, en 1981, Mauroy fut le premier chef de gouvernement en exercice à se rendre au mur. Certes, en 1998, Fabius déclarait placer 1871 du côté des « valeurs qui nous unissent ». Certes, le 25 mai dernier, le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, a commémoré la dernière barricade, rue de la-Fontaine-au-Roi, en y chantant « Le temps des cerises »… Mais qui croit vraiment que ces hommes politiques ont quelque chose à voir avec cette insurrection ? Et, si Mélenchon appelle à « l’insurrection critique » et crie « Vive la sociale ! » plus souvent qu’à son tour, jamais il ne se réfère à « cet essai de démocratie directe qu’était la Commune ». Or c’est bien cela qui faisait la force des communards : ils étaient « fermement convaincus que la souveraineté ne se délègue pas, ne se représente pas, mais qu’elle s’exerce ». Pourquoi nous parlent-ils encore ? Parce qu’ils « se sont dressés contre ce qui leur était inacceptable ; se sont organisés eux-mêmes, souverainement, au sens le plus fort de ce terme ». Leur leçon est que « rien n’est joué d’avance », et leur histoire « un antidote à la résignation ». Le 25 mai prochain, il n’y aura sans doute pas 600 000 manifestants devant le mur des Fédérés… Mais ça ne prouve rien !

Jean-Luc Porquet

Les Rois du rock dans le Canard enchaîné

mercredi 15 mai 2013 :: Permalien

Le Canard enchaîné de ce mercredi 15 mai 2013 caquette sur Les Rois du rock de Thierry Pelletier.

De drôles d’enfants

C’est un petit ouvrage sans prétention composé de très courts textes – une bonne vingtaine – et de photographies vieillottes sur lesquelles des gamins à banane exhibent leurs coquards ou leurs guitares.

Un livre réjouissant, qui sent bon la bière Valstar, la sueur des pogos et les arrière-salles enfumées de troquets à l’ancienne. Son auteur, Thierry Pelletier, est un vieux routier de la scène alternative parisienne des années 80. Il a écumé les concerts énervés, les manifs tendues, les bastons et les squats – son curriculum vitae à lui. Au fil des pages, il dévide ses souvenirs, empile les portraits des ses camarades d’antan – les rois déglingués du pavé parisien, abonnés aux embrouilles et à la dope, obsédés par la bonne tenue de ce «  conglomérat capillaire tarabiscoté qui fait rire les gens raisonnables  ». «  Nous étions de drôles d’enfants  », écrit-il. Pas faux.

« Les rois du rock » ne sont en rien réservés aux initiés. Même si l’on n’a jamais porté la fameuse banane ou le perfecto, même si l’on ne connaît fichtre pas la différence entre teddy boys et mods, on peut les apprécier. Voire les dévorer d’une traite. Car Thierry Pelletier a une belle plume, un bagout stylistique qui fait mouche à chaque page, qu’il conte la triste fin d’un camarade cancéreux ou une difficile nuit d’amour sous LSD. Loin des clichés rebattus et du fétichisme rock’n’roll, il dresse le portrait d’une jeunesse aussi touchante que paumée, et qui cherche avant tout à se marrer. « Dans les concerts, on chopait plus facilement des mandales que des princesses », lâche-t-il, pince-sans-rire. Ou bien : « On ne rigole pas avec l’honneur après onze mousses. »

Nulle gloriole dans ces récits, nulle pose. Pelletier ne se la joue pas ancien combattant ou encyclopédiste pédant. Il raconte simplement « cette longue errance », nourrie d’excès qu’il ne renie aucunement : « Ils font partie du cheminement (…) qui m’a construit et a nourri ma curiosité, mon esprit. » Une école de la vie qui en vaut d’autres. Après tout, «  rocker, c’est un boulot pas évident, quasiment un sacerdoce  ».

Émilien Bernard

Les Rois du rock : une sortie en musique !

vendredi 3 mai 2013 :: Permalien

Il y avait beaucoup de monde jeudi 2 mai au soir, sur les pentes de Ménilmontant, pour fêter la sortie officielle des Rois du rock. Thierry « Cochran » Pelletier a signé 119 livres puis a pris le micro aux côtés de ses vieux compagnons des Moonshiners.

Photo Yann Levy

On vous attend tous le dimanche 2 juin à 18 heures au CICP (21 ter rue Voltaire, Paris 11e), afin de fêter une nouvelle fois la parution de ce livre, mais également celle du disque Les Rois du rock, compilation des groupes eighties. Avec, au programme, d’ores et déjà confirmés : les Moonshiners, Fantazio, les Daltons.

Un détail inutile ?

vendredi 26 avril 2013 :: Permalien

Un détail inutile ? Le dossier des peaux tannées, 1794
Jean-Clément Martin
Vendémiaire, 2013, 154 pages, 16 €

Outre le fait d’avoir été guillotineuse, la Révolution fut-elle « tanneuse » ? Les membres du Comité de salut public ont-ils porté des culottes de peau humaine lors de la fête de l’Être suprême ? Une tannerie humaine secrète a-t-elle été mise en place par la Terreur au château de Meudon ? L’écorchement des Vendéens relevait-il d’une pratique encouragée par les autorités ? Autant de questions sensibles car aptes à renforcer la « légende noire » de la Révolution. Ce livre stimulant a un horizon politique affirmé et constitue un clair exemple de méthode.

Jean-Clément Martin commence par étudier la construction des rumeurs, nées lors des luttes de pouvoir de Thermidor puis perpétuées au xixe siècle sous la plume de quelques historiens contre-révolutionnaires. Il s’intéresse ensuite aux faits eux-mêmes. Oui, quelques peaux humaines ont été exceptionnellement tannées par des révolutionnaires, et non par la Révolution elle-même. Refusant l’effet de sidération que pourrait produire ce détail d’une horreur gothique, JC Martin restitue ses pratiques dans une longue durée anthropologique (ce passage est un peu trop rapidement mené, seule critique à ce livre) puis dans la situation précise de la fin du xviiie siècle. Or, si l’écorchement des « corps vils » est une pratique sociale (scientifique, judiciaire, guerrière) prégnante à la veille de la Révolution, elle devient marginale au xixe siècle. La période révolutionnaire est celle d’une profonde mutation des sensibilités. Les atteintes inutiles aux corps choquent de plus en plus, et la seule vue du sang commence à poser problème. En d’autres termes, les très rares révolutionnaires tanneurs sont presque anachroniques aux moments de leurs actes ; ne sont en aucun cas soutenus par des autorités qui, évidemment, n’ont pas créé des tanneries secrètes de peaux humaines ; et opèrent toujours dans une situation précise : la guerre à outrance, qui favorise ces exactions.

Il n’est donc pas question ici de nier ces actes isolés – ce qui reviendrait à substituer une « légende dorée » à la « légende noire » – mais de les rendre intelligibles en les rendant à leurs temps successifs et emboîtés, en articulant la durée intense des épreuves de la Première République, celle des guerres révolutionnaires et impériales, celle aussi de la violence répressive des états modernes à partir du xviie siècle dont hérite la Révolution ; celle enfin de la construction des mémoires au xixe siècle. Ainsi inscrite dans la longue durée des atteintes mutilantes aux corps, la Révolution n’apparaît pas plus violente que son temps. Et pourtant, si ses exactions sont ressassées, celles de Napoléon sont presque effacées des mémoires. Ne reste que la gloire d’une France conquérante, tableau nationaliste que vient à peine troubler la force des images de Goya.

Un livre à conseiller à ceux qui veulent mieux comprendre les liens entre histoire et mémoire, mieux saisir la Révolution, mieux répliquer aussi aux images d’Épinal droitières. C’est ce qu’exprime la remarquable conclusion qui, à partir d’un détail pas si inutile que ça, offre une belle mise en perspective de la période révolutionnaire et impériale : « Napoléon n’était à tout prendre qu’un Alexandre, catalysant des énergies à son profit. Les révolutionnaires ont, sans le vouloir, libéré des forces qui ont échappé à tout contrôle, remodelé ce qui était déjà là pour projeter des structures inattendues. […] La Révolution, c’est ce moment où l’humanité s’est dépouillée. »

Éric Fournier

Les Bas-fonds. Histoire d’un imaginaire

lundi 18 mars 2013 :: Permalien

Les Bas-fonds. Histoire d’un imaginaire
Dominique Kalifa
Seuil, 2013

Ce qui marque d’emblée à la lecture du dernier livre de Dominique Kalifa lorsqu’il entraîne le lecteur dans les bas-fonds du XIXe siècle, c’est la clarté et la fluidité du style et de la trame. Cet historien reconnu, dont les séminaires et les articles savants peuvent être très pointus, montre ici sa capacité à rendre accessible à un plus large public possible la synthèse d’un vaste chantier universitaire de plusieurs années. Au-delà de cette écriture exemplaire qui pourrait justifier à elle seule, à mon sens, la recension de cet ouvrage ici, rayonne un bel objet : ces fameux bas-fonds, véritable enfer social où chutent les rebuts de l’humanité industrielle ; décors édifiants de tous les récits de crimes et d’émeutes, où se mêlent invariablement la misère, le crime et le vice. Ces images évocatrices ont longtemps semblé aller de soi, tant la misère urbaine était une réalité indubitable. Mais Dominique Kalifa déconstruit avec force cette évidence et débusque les mécanismes qui président à la construction d’un imaginaire social.

Dans toute l’Europe, les bas-fonds français, mais aussi l’underworld anglais ou son pendant allemand l’unterwelt, surgissent sous la plume conjuguées de romanciers, de policiers ou d’enquêteurs sociaux. Il en résulte un fort effet de réel et personne ne remet en cause l’existence effective de ce qui n’est, rappelle avec force ce livre, qu’un imaginaire social historiquement situé dont on peut suivre la création, l’expansion et la fin. La diffusion de ce thème est telle qu’il influence jusqu’aux regards de Marx et Engels lorsqu’ils croient déceler l’existence d’un lumpenproletariat, dont on sait aujourd’hui qu’il est tout aussi imaginaire que les bas-fonds. Une autre réussite du livre montre comment cet enfer urbain entre en résonance avec les représentations coloniales. En Angleterre, un récit d’exploration du « dark continent » peut ainsi emmener le lecteur indifféremment à Whitechapel ou aux sources du Nil. En France, les « Mohicans de Paris », effraient les lecteurs.

Cet imaginaire qui ne reflète pas – ou si peu – le monde social peut cependant finir par l’influencer, à travers les pratiques policières, les politiques urbaines, les œuvres philanthropiques, mais aussi les riches touristes en mal de sensations (telle est à l’origine la « tournée des grands ducs »). Autant d’actes guidés par la volonté de résorber ou de maîtriser les bas-fonds et qui influencent concrètement l’existence des quartiers populaires. En étudiant de façon stimulante comment les représentations et la matérialité sociale interagissent, Dominique Kalifa rappelle qu’un imaginaire n’est pas qu’un fantasme insignifiant mais constitue bien un ressort d’action sur le monde.
Le livre s’achève, peut-être un peu trop rapidement, par la disparition des bas-fonds, terrassés après la Seconde Guerre mondiale par l’État-providence qui rend ces discours anachroniques. Mais la thématique de la « classe dangereuse », des « barbares de l’intérieur » n’a pas entièrement disparu de nos jours, comme l’attestent les productions des « marchands de peur » (voir le livre de Mathieu Rigouste) dont les procédés discursifs empruntent encore à celui des bas-fonds.

Un thème haut en couleurs et politiquement signifiant, une analyse et une écriture limpides. Un livre utile et agréable donc. Que demander de plus ?

Éric Fournier