Le blog des éditions Libertalia

Les Cahiers Armand Gatti, sur Médiapart

jeudi 12 novembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Sur Médiapart, 17 septembre 2015

Armand Gatti,
un homme à tout faire autrement

Vient de sortir le n° 5-6 des « Cahiers Armand Gatti », revue annuelle, avec cette fois un numéro double consacré aux Arts. Lesquels ? Tous. Gatti est un touche-à-tout qui chahute tout ce qu’il touche. C’est un homme à tout faire autrement.

Une aventure tutoyable

Après un premier numéro introductif, les Cahiers avaient abordé le cinéma (6 films, des dizaines de scénarios), le journalisme (des milliers d’articles et un prix Albert-Londres) et les traversées du langage (titre calqué sur l’un de ses livres « La traversée du langage », 1 300 pages chez Verdier). Voici donc aujourd’hui les arts, un archipel. Aussi bien l’écriture que le cinéma, la peinture que la musique et bien sûr le théâtre. Mais pas seulement. « La question paraît entendue, l’œuvre de Gatti est théâtrale, poétique, cinématographiques », écrivent Catherine Brun et Olivier Neveux qui dirigent ces « Cahiers Armand Gatti » magnifiquement illustrés et mis en page, depuis le premier numéro sorti en 2010. « Entendue » ? Ils vont prouver 460 pages durant qu’il n’en est rien.
Le numéro double vise à montrer l’étendue des champs artistiques qui ne saurait se limiter à trois directions, même si Gatti affectionne particulièrement tout ce qui est à trois pieds et la forme dynamique du triangle. C’est une « aventure tutoyable » que la sienne comme il l’écrit, lui, en parlant de son ami le peintre venézuelien Alejandro Otero rencontré en 1946 à la Cité universitaire.
Bien des amitiés traversent ces pages, parfois de longue date comme celles qui le relie à l’écrivain journaliste Pierre Joffroy ou au peintre Bernard Saby, parfois semées de malentendus, de ruptures comme les relations entre Dante (c’est ainsi que ses amis et proches appellent Gatti) et Pétrus (c’est ainsi que Gatti appelle Pierre Boulez), racontées ici par le menu. 

Une scène primitive

Dans un très bel article, Hélène Châtelain dresse l’arche d’un pont entre Gatti et l’écrivain russe Vélimir Khlebnikov (dont on attend toujours la traduction des œuvres par Ivan Mignot qui doit paraître chez Verdier dans la collection Slovo que dirige Châtelain) à travers des figures magnifiques comme celle du « sablier couché ».
De nombreuses pages sont consacrées à la Chine des idéogrammes et de l’acteur Mei Lanfang et à l’importance des arts martiaux (en particulier le Kung-fu) dans les travaux théâtraux de Gatti depuis le début des années 90. Olivier Neveux condense en quelques pages l’aventure théâtrale née, selon ses dires, le jour où dans un camp, trois juifs baltes ont fait une pièce de théâtre qui tenait en trois (encore) phrases : « ich bin, ich war, ich werde sein » (je suis, j’étais, je serais). « C’était la première pièce de théâtre que j’ai vue dans ma vie, et la révélation que le théâtre pouvait ressembler à quelque chose. »
Une scène primitive. Il en est d’autres. Quelques pages plus loin, Neveux cite l’histoire de la morue. Le père italien de Gatti (dont il fera le héros d’une de ses premières pièces) aimait cuisiner la morue une fois par semaine. Certaines semaines le porte-monnaie, trop vide, les privait de morue. Le père culpabilisait. Mais il faisait face. « C’était le jour où tous les mots étaient verticaux. On se mettait à table. Il annonçait la morue mais il n’y avait rien. Il mimait le service et nous on baissait les yeux. Même le chien était dans le coup. Il allait laper l’assiette que lui tendait mon père, même s’il n’y avait rien. » Et le jeune Gatti dans un plat vide apportait les pommes de terre et se faisait engueuler parce qu’il prenait la plus grosse. Gatti est un formidable raconteur d’histoires. Et son écriture jamais livresque est entièrement portée, irriguée par sa voix.

Le chien et la laisse

Quatre cents pages plus loin, dans ce même numéro des Cahiers, et des années plus tard, on retrouve l’équivalent de cette scène dans une séquence du film de Philippe Garrel « La naissance de l’amour ». Une séquence coupée au montage. Gatti parle à une petite fille et lui raconte une histoire de chien qu’il souhaite partager avec elle : « Moi je marche, je marche, je marche, et j’ai une laisse à la main. Sauf... qu’il n’y a pas de chiens. Et toi tu es au bout de la rue, tu me regardes, et à un moment tu t’arrêtes et tu me dis : “il n’y a pas de chiens au bout de la laisse”. » Mais Gatti insiste il dit qu’il promène son chien tous les jours. Alors la petite fille entre doucement dans le jeu. Elle finit par voir le chien et dit : « c’est vrai, il y a le chien au bout de la laisse ».
Chaque numéro des Cahiers livre ainsi des archives exceptionnelles comme, ici, cet article titré « Pourquoi j’aime Gatti » publié en 1963 à la une de « L’allumeur du belvédère », le journal des élèves du lycée de Toulouse-Bellevue, un article signé… Daniel Bensaïd. Lequel a tout de suite saisi le corps-écriture de Dante lorsque après un débat un peu formel au Théâtre du Capitole, Gatti se retrouve au café Tortoni entouré d’une bande de jeunes dont Bensaïd. « Hirsute, débraillé, assis sur un dossier de chaise, il s’exprimait avec flamme, par tous les moyens que pouvait lui fournir son corps : avec le geste sec et précis, le regard mobile, le sourire bon enfant, les grimaces et une parole heurtée et violente. »
En écho à ces mots, trente-deux ans plus tard, ces autres mots de Nicolas Frize avec lequel travailla Gatti en 1995 autour de son poème « Berlin les personnages de théâtre meurent dans la rue » pour un enregistrement de l’Atelier de création radiophonique de France Culture créé par Alain Trutat. Gatti lit, Frize l’accompagne : « Lorsque Armand Gatti me “confie” son texte en le lisant, il fait déjà du son, il rythme le temps à sa façon, il compose sans le savoir un projet sonore. »

Un père spirituel

Autre lecture nourrissante de ce numéro double, un entretien avec les frères Dardenne. Ils rencontrent Gatti pour la première fois à l’Institut des Arts de Louvain où ils sont élèves. Lorsqu’ils arrivent, Gatti est déjà là, il balaie, trouvant le plancher trop dégueulasse. Les deux frères avaient des parcours différents, c’est Gatti qui les a réunis, racontent-il, parlant de lui comme d’un « père spirituel ». Ils le suivront à Saint-Nazaire, en Irlande, deux étapes marquantes du parcours de Gatti constamment hors des sentiers battus de la vidéo, du théâtre, de l’écriture, de tout.
Bensaïd cite ces propos de Gatti qui ne valent pas seulement pour le théâtre : « il faut créer un théâtre de rupture, continuellement ! Pour ne pas habituer les gens à penser dans des formules données ! Parce que les formules données pourrissent toujours la réalité de la chose. Même si ça paraît étrange au début, il y a une réalité plus profonde qu’on reconquiert ». Gatti, un conquérant de 91 ans.
Ces Cahiers s’adressent à tout le monde mais une petite connaissance de Gatti est préférable. Pour ceux qui voudrait découvrir l’homme et l’œuvre, rien de tel que « Armand Gatti dans le maquis des mots » écrit par deux de ses proches, Pauline Tanon et Jean-Jacques Hocquart (Actes Sud, 2014). 

Jean-Pierre Thibaudat

Trop jeunes pour mourir, dans Le Travailleur parisien

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Dans Le Travailleur parisien (journal de l’UD CGT Paris), n° 1196, juillet-août-septembre 2015

Les libertaires et la CGT avant 1914

Ouvrage d’histoire qui nous transporte dans le Paris ouvrier et révolutionnaire des six années qui précèdent la grande hécatombe de 1914-1918, Trop jeunes pour mourir, de Guillaume Davranche, est un livre de plaisirs. Plaisir à lire un texte clair, alerte, plaisir d’apprendre à chaque page, de découvrir, de comprendre.

Le livre de Guillaume Davranche n’est pas un livre sur la CGT, bien que celle-ci soit omniprésente et ouvre le récit avec l’élection difficile, le 24 février 1909, d’un nouveau secrétaire général en remplacement du révolutionnaire Victor Griffuelhes. C’est le réformiste Louis Niel qui sera élu, pour trois mois seulement car il démissionnera après avoir reçu un blâme du comité confédéral… Au départ, il avait prévu de relater les combats des libertaires, anarchistes et syndicalistes révolutionnaires, mais l’auteur a dû élargir son propos, notamment à cause de leur implication dans la CGT, leur « seconde famille ». « Libertaires » est une appellation très large, qui regroupe celles et ceux qui combattent le système capitaliste et l’autorité. Révolutionnaires, ils ne se satisfont pas du cadre parlementaire. Beaucoup se revendiquent du communisme, à l’opposé du collectivisme qui nierait les individus. Certains sont des individualistes revendiqués, d’autres des anarchistes de conviction gardiens de la doctrine. Ces groupes et militants constituent l’extrême gauche, comparable par beaucoup d’aspects à celle de Mai 68 : refus de l’autorité, volonté de modes de vie libérés de contraintes aliénantes. À la différence essentielle qu’à cette période, les syndicalistes révolutionnaires dirigent la CGT. Mais pas seuls : les réformistes assumés leur disputent le terrain et les débats sont vifs.

Courage et sincérité

C’est une période très dense que les lecteurs de ce livre vont traverser, avec des grèves très dures qui n’aboutiront pas et entraîneront une répression sévère et des centaines de révocations. Un temps de mobilisations internationales très fortes, notamment avec les manifestations en faveur de Francisco Ferrer, dont celle du 13 octobre 1909 qui donnera lieu aux affrontements les plus violents depuis la Commune. En réaction, les socialistes organiseront la première manifestation pacifique avec un service d’ordre composé de députés et d’élus, mais aussi d’anarchistes : les « hommes de confiance ».
L’antimilitarisme est une composante de l’identité de la CGT. Certains pratiqueront l’antipatriotisme. La CGT et ses militants sont contre la loi des trois ans de service militaire, le colonialisme, l’impérialisme, la « revanche » et la course à la guerre. Elle mène campagne contre les bagnes militaires, les exactions de l’armée.

La presse est centrale. Un titre est la colonne vertébrale du récit : la Guerre sociale, de Gustave Hervé. La CGT lance un quotidien éphémère, La Bataille syndicaliste, et Pierre Monatte commence à publier la Vie ouvrière. Dans de nombreux titres, on sera surpris de la violence des échanges.

Ce qui frappe est l’actualité des idées que les hommes – les femmes sont peu représentées – développent. Enfin, ce qui doit nous rendre modestes, au moins, c’est le courage de ses militants et la sincérité de leur engagement.

Marc Norguez

Souvenirs d’un étudiant pauvre, dans L’OURS

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Dans L’OURS n° 451, septembre-octobre 2015

Relire Vallès

Jules Vallès a écrit ces mémoires en 1883 en revenant d’exil. Le communard amnistié est de retour en France alors que reparaît son journal Le Cri du peuple. La première édition chez Gallimard date de 1930 ; on la doit à l’écrivain et journaliste Bernard Lecache (1895-1968), fondateur de la Ligue internationale contre l’antisémitisme et auteur d’un ouvrage sur Séverine, l’ancienne secrétaire et amie de Jules Vallès. Ce texte posthume se présente comme des Mémoires vrais distincts de la trilogie des Vingtras qui, tout en étant nourrie de souvenirs de l’auteur, s’assume comme une œuvre romanesque.
Fatigué par une vie de privations et de combats aussi ingrats qu’épuisants, Vallès est malade et va mourir en 1885. Alors que l’on aurait pu s’attendre à de l’amertume, on rencontre un écraivain-militant qui a gardé toute sa fougue. On retrouve intact son art du portrait, son sens aigu de l’image et le trait caustique avec lequel il ne s’épargne guère. L’étudiant Vallès vu par Vallès se caractérise par une ironie mordante qui lui « sortait par la peau » et qui lui permet de triompher du dédain que « les arrivés » montraient au « petit révolutionnaire râpé et hérissé ».
Les misères de la vie ne l’ont pas aigri et il prend plaisir à rappeler qu’il fut « gai, rieur et embrasseur de jolies filles » et qu’il aimait fréquenter « les viveurs et soupeurs de Paris ». On apprend peu de choses sur ses choix politiques et c’est davantage l’homme que le communard qui s’exprime dans ces souvenirs. Un homme tel que ses familiers comme Séverine l’ont fréquenté, joyeux et optimiste en dépit de nombreuses vicissitudes de sa vie militante.

Gérard Lindeperg

45 révolutions par minute, dans Le Maine libre

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Dans Le Maine libre, 8 octobre 2015.

Le groupe Nuclear Device sort un livre

Originaire de la Sarthe, le groupe a été une des fines fleurs du mouvement rock alternatif. Trente ans après, ses membres racontent leurs aventures dans un ouvrage qui vient de paraître.
Issu d’Allonnes, le groupe Nuclear Device a, entre 1982 et 1989, participé à la naissance et l’essor de ce que les médias appelleront « le rock alternatif ».
Aux côtés des Bérurier Noir et Ludwig von 88, il a parcouru la France, enchaînant les concerts, de squats en MJC. La formation laisse derrière elle plusieurs albums et de singuliers parcours de vie qu’elle a décidé de compiler dans un ouvrage de 160 pages intitulé 45 révolutions par minute, paru le 2 octobre chez Libertalia.
Le livre est la transcription de seize heures de discussions enregistrées par Daniel Paris-Clavel, rédacteur du fanzine Chéribibi. Pascal Carde, chanteur de Nuclear Device, revient sur ce projet : « Cela a pris cinq ans, le temps de retrouver les archives. Au début, la maison de disques Pias voulait faire une compilation, mais on avait plutôt un beau livret en tête. Le projet a donc fini entre les mains de la maison d’édition Libertalia. Même si on l’a fait dans l’esprit de l’époque, c’est à dire « Do It Yourself ».
Historique du groupe, photos de qualité ou encore anecdotes de tournée, l’ouvrage met en lumière les coulisses du mouvement. « C’est un témoignage, mais pas seulement le nôtre car notre producteur, nos copines de l’époque ou même nos parents, ont la parole. Il est certes destiné à ceux qui ont vécu ces événements mais aussi aux jeunes musiciens d’aujourd’hui. »
À noter que le livre s’accompagne d’une compilation 20 titres contenant des inédits, des lives et deux démos.

45 révolutions par minute

jeudi 12 novembre 2015 :: Permalien

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Une belle recension (en ligne) de 45 révolutions par minute, 7 novembre 2015, par François Guibert —http://lachanteusemariefrance.fr.gd ; http://alainchenneviere.fr.gd ; http://heartbreakhotelthehellboysnikolaacin.fr.gd )

Nuclear Device – appelé aussi ND – fait partie des premiers groupes français [1] des années 1980 à avoir mélangé rock, reggae, dub, énergie punk. Mâtinés de phrases (parfois couplets ou refrains entiers) en espagnol lycéen de cuisine, les textes sont intelligents, « concernés » et en français.
Le tout avec une flashante identité visuelle, vocale et musicale. Celle-ci est à la fois inspirée de The Clash et totalement personnelle. Dans ses chansons comme dans son imagerie, ND a un sens aigu, accrocheur et percutant de l’esthétisme révolutionnaire.
Pourtant, de 1990 à 2015, les ND demeurent un groupe mal connu, souvent mis de côté, ignoré même, dans le rock d’ici. Que ce soit dans les interviews de la nouvelle génération (qui semble n’avoir jamais entendu parler de ND) ou dans les livres « d’histoire » de la musique électrique rebelle.
Le livre Nuclear Device 1982/1982 : 45 révolutions par minute – Histoire d’un groupe rock alternatif remet à l’honneur le parcours de ce groupe.
De manière concrète et captivante, il retrace le vécu de Pascal Carde (chant), son frère Patrick Carde (guitares de 1982 à 1988), Chema (guitares 1988/1989), Chris Maresco (batterie), Charlu (basse), Jean-Marc Odiot (sax). L’épopée de jeunes gars rockers, musiciens sur le tas et à l’arrache, originaires du Mans.
Si on aime le rock de voisinage (= français), aucun doute, c’est clairement « le » livre rock paru en 2015. Rien à voir avec les hagiographies de mastodontes (vivants ou morts) pop rock internationaux.
Déjà, superbe maquette, conçue par Patrick Carde, dans l’esprit revendicatif et rebelle de son groupe. Les photos sont positivement terribles, de vrais looks de rockers charismatiques. De multiples tracts et affiches, ainsi que les pochettes de disques, sont reproduits.
L’auteur, Daniel Paris-Clavel (rédacteur-concepteur du fanzine ChériBibi), ne fait pas partie de ND. Ce titi banlieusard du Val-de-Marne a découvert ND au moment où le groupe se séparait, donc en 1989. Hors de question pour lui de s’approprier une histoire qu’il n’a pas vécue lui-même en direct.
Aussi a-t-il recoupé et classé par ordre chronologique les phrases prononcées par tous les interviewés. Des années 1970 à aujourd’hui, de l’enfance des frères Carde et leurs copains à leurs métiers respectifs en 2015.
Daniel Paris-Clavel a effectué un fastidieux travail de retranscriptions (seize heures d’entretiens entre 2010 et 2012). On peut donc lire les interventions parlées de tous les Nuclear Device, de leurs compagnes de l’époque, des membres de leurs familles et des amis proches (Loïc qui les accompagnait en tournée, Étienne Sauvage).
Interviennent aussi : Marsu (du label Bondage, manager de Bérurier Noir), leur réalisateur discographique Jean-Yves Prieur alias Kid Bravo (futur Kid Loco), Dom (du service d’ordre de Bérurier Noir), etc.
Paris-Clavel retranscrit telles quelles, sans enjoliver ni dénaturer, les phrases prononcées par tous les interviewés. Cela donne un côté archi-vivant, naturel. Comme si tout ce qui est décrit par les protagonistes était vécu au moment où ils en parlent.
Du début à la fin, pas de langue de bois dans cet ouvrage. Les membres du groupe ne se font pas de cadeaux vis-à-vis d’eux-mêmes et de leurs chansons. Ils autodénigrent presque trop leurs disques, notamment Pascal, trouvant ceux-ci trop froids, mal produits, etc. Marsu pense de même, avec des arguments différents.
Avis (contraire) en tant qu’auditeur de ces chansons depuis 1990 [2] et trop jeune pour avoir pu voir le groupe sur scène : ces versions studio sont excellentes. Elles sont dotées d’un super son, avec une production système D excitante.
« Pretoria », « Servitude nationale », « Deprisa » (vivre vite), « Lettres de fusillés », « Je suis un évadé », « Ouvéa », « Quartiers noirs », « N° 5446 », « Frontière », « El Gran Corrido », leur reprise du « Chant des Partisans » : leurs chansons parlent directement au cœur et font battre ce dernier.
Ces morceaux vibrent. Il y a de la vie, de l’émotion, une saine énergie communicative. Là-dessus, Kid Bravo (qui ne fait pas partie du groupe) y ajoute de chouettes effets sonores bricolos dub. Ils diversifient l’univers sonore de ND.
À l’inverse, tout en faisant abstraction de la captation sur musicassette (donc avec un son moyen), les versions live figurant sur le CD joint au livre sonnent mal fichues. On y entend un bordel monstre, rien n’est en place. Elles n’ont pas la densité et l’impact des versions studio.
Venant de province, les Nuclear Device n’ont pas les atouts, connexions et avantages des musiciens de Paris. En tout cas au départ, avant qu’ils ne rencontrent l’équipe Rock Radical Records et Bondage.
Au fil des pages, on suit leur parcours. Après les premières répétitions et concerts, ils « montent » à Paris. Ils y découvrent les squats, inexistants au Mans, toute une faune bigarrée.
Puis ce sont les tournées, les galères, les parties de rigolades. Les moments héroïques (entre autres, concerts à l’Elysée Montmartre et au New Morning). Les enregistrements de leurs albums Tonnerre à la Une ! (1986) et Western Electric (1987).
Le doute qui s’installe lorsque Patrick décide de quitter le groupe en 1988, remplacé par leur copain d’enfance Chema. L’arrivée de La Mano Negra, autre groupe latino rock : son succès massif et soudain, ses concerts électrochoc. ND se remet alors en question, s’interroge sur ses propres capacités et limites artistiques.
L’ultime disque, Je suis un évadé (maxi 45 tours et CD quatre titres), et la séparation peu après un concert à Rome (Italie) en juillet 1989. Et enfin, ce que chacun a fait jusqu’à aujourd’hui dans sa propre vie.
Les ND vivaient au jour le jour ce qui (avec le recul) est la grande aventure artistique et humaine de leurs vies. Avec intensité, hargne, sincérité, fougue et l’habituel manque de moyens.
La lecture de ce livre le confirme : les membres de ND (et leurs proches) sont liés à tout jamais par une amitié indéfectible. Celle-ci a été consolidée par tout ce qu’ils ont découvert et connu dans le milieu de la musique entre 1982 et 1989.
Même les personnes qui ne connaîtraient pas grand-chose au rock (ou à la musique, tout simplement) seront intéressées par la lecture de ce bouquin. Il s’agit avant tout d’un palpitant récit de vie, avec le rock comme moteur de vie.
45 révolutions par minute – Histoire d’un groupe rock alternatif est un témoignage capital, fondateur et universel. L’histoire que continuent de vivre des dizaines de milliers de groupes en France et ailleurs. De façon différente, avec aussi une technologie qui n’existait pas dans les années 1980. Mais une histoire similaire, d’une génération à l’autre.

François Guibert

[1C’est aussi le cas pour Babylon Fighters. Fusion électrochoc reggae rock rap implacable et cuivrée, à l’époque de leur album apogée Shut Up, Don’t Shutdown (1991). Sur scène : aussi fracassant et inoubliable que Mano Negra.
Le second 33 tours de Camera Silens, Rien qu’en traînant (1987, réédité en CD en 2003), est du rude rock reggae subtil en français. Avec saxophone (élément ici très important). Entre Basement Five, La Souris déglinguée et… Nuclear Device.
Le maxi 45 tours Adonde Van / Barcelona de Corazon Rebelde (sorti en 1983) est mauvais, sans pêche, mixé avec les pieds. Le groupe ne joue pas de manière soudée. En revanche, le 33 tours (sorti en 1985) de cette formation menée par Cacho Vasquez est un superbe exemple de compositions latino rock. Il est clair que Manu Chao pillera sans vergogne ce disque (la chanson « Radio Bemba », au hasard) pour créer le concept Mano Negra en 1987. Comme il s’est fortement inspiré de Chihuahua, le groupe de Napo Romero.
Il faut aussi saluer Human Spirit (« No Pasaran »). Une puissante formation funk’n’roll à tendance afro world reggae beat (1987/1998). Elle est à l’origine de la mouvance funk hexagonale (Malka Family, FFF et leurs descendants).

[2Premier titre entendu, « Arriba España abajo la dictadura » sur Ado FM en 1990.