Le blog des éditions Libertalia

Trop classe ! sur le blog « Classe buissonnière »

jeudi 3 mars 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Trop classe ! sur le blog « Classe buissonnière »

Les livres de profs du 9-3 sur le 9-3 ce n’est pas ce qui manque. Ce département et ses habitant-e-s alimentent les fantasmes les plus variés, surtout chez celles et ceux qui ne le connaissent pas.
Mais le livre de Véronique Decker ne sera pas à ranger dans la longue suite de plaintes, moqueries, ou pamphlets qui fleurissent régulièrement. Déjà, parce que même si on lui souhaite le succès qu’il mérite, ce livre n’est pas motivé par la volonté de faire un « coup » commercial. Aussi, car son auteure n’est pas une jeune enseignante tout juste arrivée qui pense avoir tout vu et tout compris en trois ans et qui s’empresse d’en faire un livre souvent bien caricatural dès qu’elle a pu s’enfuir et muter ailleurs, livre qui ressemble souvent plus à celui d’une reporter de guerre que d’une pédagogue. Non, Véronique Decker a travaillé plus de trente ans dans différentes villes du département et y habite. Elle y milite aussi si tant est qu’on puisse différencier complètement son travail de son militantisme quand on doit se battre pour que ses élèves puissent tous avoir un toit sur la tête. Mais cette longue expérience ne débouche jamais sur un ton donneur de leçons. Ce serait un comble pour Véronique qui a le souci de construire les savoirs avec ses élèves et de créer de « petites républiques d’élèves » dans son école Freinet mais publique et REP+, car il est évident que c’est avec les enfants du peuple que son travail prend tout son sens. Au contraire, le début du livre nous donne l’occasion d’observer ses premiers pas d’institutrice, ses découvertes, ses erreurs aussi.
Il est constitué de courtes tranches de vie, ce qui permet une lecture aisée à laquelle le style léger et souvent drôle de Véronique Decker ne nuit pas. Il serait possible de l’ouvrir au hasard et de lire une de ses courtes nouvelles ou d’en adopter une approche plus chronologique.
En tout cas, il se dévore puisqu’un trajet en bus d’un bout à l’autre d’une ligne de métro qui traverse le 93 et accessoirement relie mon lycée pro au local de mon syndicat, a presque suffi à le terminer. Quelques stations de ligne 13 ont permis d’avaler avidement les dernières pages.
Quand on parle de lecture aisée et de style léger cela ne saurait occulter que l’on a parfois les larmes aux yeux en découvrant les vies de certains enfants, pas plus haut que trois pommes, qui font largement mentir l’assertion selon laquelle nous naîtrions tous égaux. Heureusement, loin des clichés sur les fonctionnaires largement véhiculés, on voit aussi les trésors d’ingéniosité et de volonté déployés pour permettre d’armer au mieux les élèves. Mais la volonté ne suffit pas entièrement à pallier les manques criants du service public.
On se rappelle ainsi pourquoi on se bat et pourquoi l’indifférence est impossible quand on découvre dans quel abandon l’État et l’éducation nationale laissent les populations les plus fragiles.
On vous recommande chaudement ce livre qui réussit la gageure de devenir lui-même un outil pédagogique. À sa lecture, on imagine déjà à quels objets d’études de français en CAP il peut correspondre. On ne se refait pas !

École obligatoire, un documentaire avec Véronique Decker

vendredi 26 février 2016 :: Permalien

École obligatoire
Scolarisation des enfants Roms, école élémentaire Marie Curie de Bobigny

Réalisation montage : Jérôme Couroucé.

Un reportage sur la scolarisation des enfants roms de Bobigny (2012), avec Véronique Decker, auteur de Trop classe !

Je vous écris de l’usine, dans L’Obs

vendredi 26 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans L’Obs (25 février-2 mars 2016).

Je vous écris de l’usine est une admirable chronique ouvrière parue
de 2005 à 2015 dans le mensuel de critique sociale CQFD. Jean-Pierre Levaray y raconte la vie quotidienne dans son usine d’ammoniac et d’engrais, une de ces poudrières classées Seveso 2. Ce site de Grand-Quevilly, dans le Rouennais, était une filiale de Total avant d’être revendu en 2014 à des Autrichiens et à un fonds d’Abu Dhabi. Triste classique auquel a préludé une série de « plans de sauvegarde de l’emploi » (PSE) comme on dit, pour mieux jeter son personnel après usage. « Dans leurs calculs, les ouvriers comptent pour du beurre », lit-on dans la chronique d’avril 2006 intitulée « Putain d’usine : on ferme ! »
Tout est consigné d’une plume fine et incisive, le meilleur comme le pire. La fraternité ouvrière et la servilité des cadres, toujours du côté du manche, le salaire qui peine à monter – 1,8 % pour eux contre 33 % pour celui des actionnaires –, le matériel vétuste, les accidents, nombreux comme celui arrivé à un intérimaire turc recruté pour descendre dans un four immense changer un catalyseur. L’ouvrier est en bas, en scaphandre depuis une heure. Il fait 45 °C. Tout pourrait s’enflammer au contact de l’air, alors de l’azote est injecté en permanence. Sa tâche est dangereuse au point qu’il porte un capteur pour contrôler son rythme cardiaque ; il est sous surveillance vidéo, relié par un filin au collègue chargé de le remonter au cas où. Quelque chose dans le système d’alerte n’a pas marché ce jour-là quand l’homme a crié. CHU, brûlures aux pieds, le gars aurait pu y passer. Ces choses vues alternent avec le récit des calculs froids des stratèges, jamais rassasiés, même par leurs gains colossaux, des « bénéfices immoraux », dit Jean-Pierre Levaray.

Anne Crignon

L’Avènement du sans-abri, dans L’Histoire

vendredi 26 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans L’Histoire, (mars 2016).

Au lendemain de la Commune de Paris, des philanthropes catholiques et conservateurs pensèrent mettre au point une nouvelle méthode pour éradiquer le chômage, la misère, le vagabondage et la criminalité : ouvrir des asiles de nuit pour accueillir ces déshérités et les réintroduire dans la société. Les premiers asiles de nuit sont créés à Marseille, puis à Paris, et l’action est coordonnée par l’œuvre d’hospitalisation de nuit. Dans ce livre, issu de sa thèse, Lucia Katz retrace l’histoire de cette « utopie sociale ». Les centres parisiens suscitent l’engouement. Les procès-verbaux de l’œuvre et quelques témoignages permettent de connaître les conditions d’accès, les normes de fonctionnement et le statut des personnes hébergées dans ces maisons. Laver, nettoyer, loger pendant trois nuits au maximum des personnes sans-abri, hommes seulement d’abord, puis femmes et enfants, nourrir un peu, soulager du froid et de la faim sont les objectifs des asiles. Le dernier chapitre montre le succès et l’utilité de l’assistance (plus de 2,2 millions d’entrées entre 1871 et 1910), et ses limites. Le court séjour de nuit ne peut suffire à supprimer ni la pauvreté ni le chômage, et l’œuvre, laïcisée, presque étatisée, est en perte de vitesse à la veille de la Première Guerre mondiale.

Interview de Jean-Pierre Levaray sur Mediapart

jeudi 18 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien paru le 13 février 2016 sur le site Mediapart.
Par Antoine Perraud.

Jean-Pierre Levaray :
« J’écris pour dire que les prolos sont encore là »

Rencontre avec un ouvrier de l’industrie chimique qui s’est fait le scribe lucide et combatif des jours comptés de la condition prolétarienne : Jean-Pierre Levaray.

Jean-Pierre Levaray est un ouvrier honoraire de l’industrie chimique. Né en 1955, il a travaillé de 1973 à 2015 dans une usine à Grand-Quevilly (76), du groupe Grande Paroisse (site Seveso hanté par le spectre AZF), passée entre les mains de Total puis du cartel autrichien Borealis. Délégué syndical CGT mais de sensibilité libertaire, Jean-Pierre Levaray écrit. Une littérature de témoignage. Souvent lugubre : « C’est déprimant de bosser dans une usine en fin de vie. » Avec des éclairs comiques. Et des portraits qui prennent à la gorge. Ou des silhouettes étonnantes, comme André : « Il est sans doute l’un des seuls à écouter Radio Classique ou France Musique dans l’habitacle de son engin. C’est pas qu’il soit véritablement fan de Mahler ou de Chostakovitch, c’est plutôt son côté punk, comme pour dire merde à ceux qui pensent que les prolos ne peuvent s’éclater que sur Bigard ou Rire et chansons. »
Jean-Pierre Levaray a toujours refusé d’être chef (il a des mots cruels et justes sur les salariés qui se laissent manipuler, récupérer, larbiniser, au prétexte d’un titre hiérarchique). Impliqué, mais de biais. Il a tenu chronique pendant dix ans, de 2005 à 2015, pour un journal de résistance (pas du genre qu’on regarde à peine chez le dentiste) : le « mensuel de critique et d’expérimentations sociales » CQFD (« Ce qu’il faut dire, détruire, développer »…). Les éditions Libertalia viennent de les regrouper sous le titre : Je vous écris de l’usine.
Cet auteur est l’un des écrivains étudiés par l’universitaire Corinne Grenouillet dans un ouvrage dont Mediapart a rendu compte : Usines en textes, écriture au travail (Classiques Garnier). Jean-Pierre Levaray est un narrateur accompli. On lui doit, en 2002, Putain d’usine (éd. L’insomniaque et Agone), devenu documentaire, ensuite adapté en BD (éd. Petit à Petit, illustrations d’Efix). Citons aussi, entre autres, Du parti des myosotis ou Tranches de chagrin (éd. L’insomniaque). Ou encore Tue ton patron (éd. Libertalia), devenu roman graphique avec dessins d’Efix (éd. La Martinière). Il a même composé une pièce de théâtre : Des nuits en bleu (éd. Monde libertaire).
Sa prose est différente. Âpre, directe, sensible et pugnace, sans rien cacher du désespoir ambiant. Lire Levaray, c’est se dire que la littérature peut non seulement expliquer le monde, mais aider à le transformer. Un viatique par temps de crise, pour ne pas mourir courbés. Nous avons rencontré à Rouen l’écrivain, retraité depuis l’an dernier, qui parle toujours de « la boîte » au présent. Il est comme ses textes : direct, franc, souriant sans la moindre courtoisie dégoulinante, heureux d’être lu mais pas guetté par le syndrome de la vedette. Homme à part, néanmoins homme parmi les hommes. Entretien…

Souvent vous évoquez le café, que les ouvriers prennent ensemble en touillant leur cuillère…

Jean-Pierre Levaray : Il y a trois lieux essentiels : l’atelier, la salle de contrôle et, à côté, le réfectoire. C’est là où on se retrouve tous, une fois qu’on est en bleu et si tout fonctionne normalement. Alors on parle. C’est un sas, qui permet de quitter son lieu de vie. On se met en train. C’est un petit moment de communion. C’est un endroit stratégique, où l’on se retrouve en début de poste : à 5 heures du matin, à 13 heures, à 21 heures. La hiérarchie n’est pas là – elle est absente au matin ou en soirée et déjeune au moment du quart de 13 heures. C’est notre lieu à nous. Autour d’un café et de plus en plus d’un thé ou d’une autre boisson : il y a des évolutions…

Est-ce un acquis que vise à abattre le capitalisme devenu effréné ?

Avec l’open space, un tel endroit convivial est forcément bousillé. Reste la cafétéria, mais ce n’est pas pareil qu’un réfectoire attaché à chaque atelier. Petit à petit, on a tout eu dans notre réfectoire : on a commencé avec une table et un évier, puis est venu le frigo, puis le four à micro-ondes, puis le lave-vaisselle. On a même eu notre cuisine intégrée.
Les directions successives essaient de rogner, mais elles n’y arrivent pas. Leur but serait que d’une salle de contrôle on gère plusieurs ateliers, mais les séparations subsistent, ainsi que les réfectoires séparés. Ça se fera peut-être, cette unification, mais pour le moment, c’est râpé.

Est-ce un lieu neutre ? Y a-t-il des sujets tabous au réfectoire ?

Ça dépend des équipes et des chefs d’équipe. Normalement, on parle de tout, de foot comme d’actualité. On parle bien sûr du travail s’il le faut, s’il y a un problème, mais c’est un lieu à part. J’ai écrit une pièce de théâtre qui se passe dans le réfectoire. Et en plus la nuit, où l’on parle encore plus d’autre chose : Des nuits en bleus.

Vous évoquez une « soupape de sécurité » : la journée d’action syndicale…

Quand ça marchait – ça ne marche plus trop –, la journée d’action syndicale permettait de faire monter la colère légitime des salariés : on allait manifester, on était content, même s’il fallait reprendre à zéro le lendemain. Aujourd’hui, les soupapes de sécurité se font rares. Les gens sont plus individualisés dans le travail et plus individualistes dans leur façon d’être.
Les comités d’établissement étaient des soupapes, mais les gens n’ont plus envie, par exemple, de partir ensemble à Paris voir une pièce de théâtre. Avant, nous y allions à deux cars. Aujourd’hui, il y a une quinzaine de personnes au maximum.

Les vacances pour patienter et la retraite comme apothéose restent-elles les dernières soupapes ?

Avec pendant longtemps la fermeture de la boîte, qui permettait aux plus anciens de partir plus tôt et avec un petit pécule. Cette génération ayant disparu de la vie active, les plus jeunes ne sont plus dans une telle attente : à quoi bon rejoindre les 5 millions de chômeurs ? Mais se réaliser dans son travail n’est plus à l’ordre du jour, en tout cas dans l’industrie.

Avez-vous connu cette époque de glorification du travail, dont le PCF était le vecteur ?

Oui, quand j’ai commencé en 1973, il y avait la cellule Jean-Valentin. Je me suis syndiqué puisque mon père était syndiqué. Ça m’a fait drôle de tomber sur des communistes très durs, sûrs d’eux. Mais ils savaient se bagarrer contre le patron : je n’ai jamais revu des gens comme ça, qui allaient à l’affrontement, au moins verbal. Avec ça, quelle intransigeance sectaire : quiconque n’était pas de leur côté était un ennemi ! Même entre eux, ils se bouffaient le nez à propos de la ligne du parti. Et moi, j’étais à leurs yeux le gaucho de service : vous n’imaginez pas.
Il y avait un mec qui nous faisait écouter en boucle des cassettes de Georges Marchais pendant la nuit au travail. D’autres, plus terre à terre, espéraient sortir de l’usine grâce au parti, qui pourrait leur proposer un poste de permanent.

Quel était leur état d’esprit ?

Ils voulaient un pouvoir de type soviétique. Les dissidents n’existaient pas pour eux. Je me rappelle avoir travaillé avec un vieux de la vieille. Il avait fait un voyage en Allemagne de l’Est : pour lui, c’était le top. Il avait été enthousiasmé et il voulait qu’on soit comme là-bas.
Mais ici, sur place, les mecs faisaient trembler les patrons. Il suffisait qu’on les appelle en cas de problème dans une boîte et ils rappliquaient avec leurs gros bras, pour virer des cadres ou autres. J’en ai vu s’attaquer seuls à des flics. J’aurais jamais osé faire ça : tenir tête à des CRS. J’ai vraiment vu ça…

C’était encore une période de plein emploi ?

Oui, juste avant la crise. On pouvait changer de boîte, après avoir ou non claqué la porte. J’ai intégré l’usine avec des copains de bahut à la pelle, nous n’avons été que deux à y rester jusqu’au bout. Les autres sont partis au bout de quatre à six mois. Pour d’autres boulots…

Qu’est-ce qui vous a fait rester ?

Eh bien, je n’en sais rien ! Mais mine de rien, même si je critique le travail, c’est un boulot qui m’intéresse quand même : dompter des machines, c’est prenant ; et la chimie m’attirait, même si j’ai depuis compris qu’on s’est bien empoisonné sous une telle emprise…
En plus, j’ai toujours été syndiqué. C’est le syndicalisme qui m’a fait tenir. Et surtout, comme je faisais les quarts, j’ai pu me consacrer à des activités extérieures : j’ai fait de la musique, je me suis occupé de journaux, j’ai participé à la librairie associative L’Insoumise à Rouen. Je prenais sur mon sommeil, mais je me réalisais dans des activités culturelles…

La suite sur www.mediapart.fr/journal/culture-idees/130216/jean-pierre-levaray-jecris-pour-dire-que-les-prolos-sont-encore-la

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[Pour poursuivre la lecture de cet entretien, nous ne pouvons que vous recommander de vous abonner à Mediapart. Merci à Antoine Perraud pour avoir autorisé la reproduction de l’extrait présenté ici]