Le blog des éditions Libertalia

Entrer en pédagogie Freinet, dans la Lettre de l’éducation du Monde

jeudi 12 novembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans la Lettre de l’éducation du Monde, semaine du 7 septembre 2015

La pédagogie Freinet : ancienne, respectée, encore à découvrir…

La pédagogie fondée par Célestin Freinet dans la première partie du xxe siècle a beau être un système cohérent – de « techniques », de règles et de pratiques englobées dans une visée politique d’émancipation des classes populaires – elle a aussi contribué à l’évolution de l’Éducation nationale. On trouve dans les textes officiels accumulés au fil des années, maintes citations ou recommandations qui évoquent le journal scolaire, la recherche documentaire, l’expression orale… Pourtant, l’écart reste immense entre ces influences et la pédagogie Freinet appliquée « à plein » par quelques milliers d’enseignants des écoles publiques en France. La formation initiale, à quelques exceptions près, ne lui a pas vraiment fait une place et ne lui en fait toujours pas.
Dans ce livre, Catherine Chabrun passe en revue toutes les raisons qui peuvent justifier et accompagner l’entrée dans cette « pédagogie de l’hétérogénéité et de la diversité qui, au lieu de gommer les différences, s’appuie sur elles ». La revendication de « changement social » des militants Freinet peut parfois dérouter.
A tort : elle doit être interprétée comme une « éthique de la coopération et de la fraternité » tout à fait compatible avec la neutralité de l’école républicaine.

Luc Cédelle

Entrer en pédagogie Freinet, dans L’Émancipation syndicale pédagogique

jeudi 12 novembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entrer en pédagogie Freinet dans L’Émancipation syndicale pédagogique, n° 9, mai 2015

« L’utopie est essentielle pour semer les plants d’une autre société dans une autre école, mais la réalité de la classe que nous vivons au quotidien l’est tout autant. » En écrivant cela, Catherine Chabrun, qui a longtemps enseigné à l’école primaire, traduit cette volonté d’agir dans le cadre du service public d’éducation, qui anime encore de nombreux/ses enseignantEs, cet engagement qui a contribué et contribue toujours à faire de la pédagogie Freinet un élément moteur des pratiques pédagogiques émancipatrices. L’auteure nous livre « le pourquoi » de cet engagement militant, politique, « le comment » retraçant ses premiers pas au sein de sa classe avec la parole du matin, la pratique du texte libre, le travail individualisé. Elle évoque ensuite les étapes suivantes hors de la classe, hors de l’école avec le journal, la correspondance scolaire. Elle termine sur les défis qui vont de pair avec une entrée dans cette pédagogie subversive qui souhaite transformer l’école d’aujourd’hui, trop insatisfaisante, en changeant les pratiques de classe au quotidien.

Charles Martel et la bataille de Poitiers, dans Inflexions

jeudi 12 novembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Inflexions, 2015, numéro 30, la « revue du dialogue entre civils et militaires ».

La bataille de Poitiers, celle qui est ordinairement donnée pour 732 (entre les deux autres grands faits d’armes liés à la ville, ceux de 507 et de 1536), est un événement légendaire, voire emblématique ; elle est connue comme l’arrêt apporté par le maire du palais, Charles Martel, à l’expansion de l’Islam dans l’Europe occidentale. C’est cette évidence, plus récente et moins assurée qu’on ne le croît, qui est examinée et remise en cause dans ce livre qui attache autant d’importance à l’établissement de l’histoire qu’au démontage de la mémoire et aux usages et mésusages du passé. Les auteurs ne sont pas des novices dans ce type de débat. Ils sont déjà bien connus pour leur engagement dans les querelles liées à la diffusion des connaissances historiques, depuis leur livre, écrit avec Aurore Chéry, Les Historiens de garde, paru en 2013.

L’étude de la bataille de Poitiers est manifestement partie d’une réaction devant ce qui en a été dit depuis une dizaine d’années, lorsque des publicistes ont insisté sur le symbole qu’ils y voyaient et sur la prétendue longue tradition historique qu’ils voulaient préserver. La première partie du livre, soit près de 80 pages, est consacrée à une analyse précise des conditions dans lesquelles s’est déroulé l’affrontement de 732 ou peut-être de 733. Le doute est important, puisque l’année n’est pas certaine, comme le lieu, qui pourrait être situé finalement plus près de Tours que de Poitiers. Les protagonistes sont placés dans leur contexte et surtout dans leurs rivalités, puisqu’il n’y eut pas une opposition de deux camps précis, mais bien un combat entre seigneurs cherchant à étendre leurs territoires au besoin en nouant des alliances qui paraissent aujourd’hui étonnantes. L’analyse géopolitique qui est ainsi effectuée pour comprendre ce combat nous emmène de Médine à Constantinople, de Gibraltar à Poitiers, et même jusqu’aux limes germanique pour montrer comment Charles, pas encore Martel, a saisi une occasion pour affirmer son pouvoir sur l’Aquitaine, sans vouloir être le héraut d’une quelconque cause religieuse ou européenne. La bataille a opposé quelques milliers d’hommes, venus pour piller, sous la direction du gouverneur d’al-Andalus, qui y trouve la mort, à des troupes conduites par Eudes d’Aquitaine, aidé par Charles Martel. Ce qui s’est passé n’est donc pas l’arrêt d’une invasion, mais un épisode, certes important, dans des conflits princiers, avant que le gouvernement de Cordoue ne se lance dans des opérations en Provence et que Charles ne se préoccupe surtout de la maîtrise de la Gaule et en particulier de ses régions orientales – relevons que la mort de Roland à Roncevaux, une quarantaine d’années plus tard, ne porte pas plus de significations, puisque ce sont des Basques chrétiens qui sont responsables de sa mort, voulant se venger des ravages commis par les troupes de Charlemagne.

Après cet exercice de géopolitique maîtrisé qui a quadrillé l’Europe et le Proche-Orient du haut Moyen-Âge, les auteurs retracent les étapes de la construction d’un mythe et démontrent comment la bataille de Poitiers fut souvent minimisée, voire ignorée par l’historiographie, quand ce ne fut pas Charles Martel qui fut considéré comme un tyran et un destructeur d’églises ! Chaque époque a donc retraduit, selon ses propres préoccupations, ce qui est conservé de la fameuse bataille pour ne garder que ce qui porte un enjeu immédiat. On passera ici sur les différentes réécritures de l’histoire de la bataille, toutes aussi peu fondées en vérité, avant d’insister sur le moment qui semble fixer une vulgate en France : le moment Chateaubriand. L’opposition entre Islam et Chrétienté trouve une origine, même s’il ne faut pas lui donner trop d’importance. Les interprétations différentes sont possibles, même de la part d’un auteur conservateur comme Claude Farrère qui, en 1911, voit la défaite de l’émir de Cordoue comme un drame pour l’Europe qui a perdu l’occasion d’être pacifiée par « l’islam industrieux, philosophe, pacifique et tolérant » ! C’est dire que l’image de Charles Martel et de la bataille est loin d’être figée dans la pierre de la mémoire nationale. L’épisode de 732 est resté longtemps marginal, même dans les manuels de Lavisse. L’envol est vraiment pris à la suite des écrits d’Édouard Drumont, dans les années 1990, quand l’islamophobie devient un élément de la pensée de l’extrême droite et se retrouve dans la panoplie identitaire.

Au terme de cette démonstration précise et modeste, puisque les auteurs insistent sur les limites de leur enquête, pourtant très importante, la bataille de Poitiers n’est ni un exemple du « choc des civilisations » ni la butte témoin d’un récit national érodé ; il convient tout au contraire de la comprendre comme l’une des occasions, parmi d’autres, saisies par des publicistes pour bâtir un raisonnement très idéologique. Comme le dit excellemment Philippe Joutard dans sa préface, les auteurs délivrent ici une leçon de complexité et d’érudition qui est à leur honneur et qui donne foi en l’histoire savante.

Jean-Clément Martin

Entrer en pédagogie Freinet, dans Les Cahiers pédagogiques

jeudi 12 novembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entrer en pédagogie Freinet dans Les Cahiers pédagogiques, Les portraits du jeudi, 24 septembre 2015

La rencontre de Catherine Chabrun avec la méthode Freinet est plus qu’une belle opportunité pédagogique. Elle a donné le la à une vie professionnelle et au-delà. Rencontre avec une militante pour qui la coopération et le compagnonnage sont sources d’émancipation et de savoirs.

Au début de sa vie professionnelle, elle travaillait dans les bureaux. Chaque nouvel emploi lui réservait au bout de quelques mois l’ennui. La routine élimait son envie. Elle avait envie de reprendre ses études et, pourquoi pas, exercer un métier tourné vers la nature. Elle a cherché un boulot alimentaire pour lui permettre de les financer, a trouvé un poste de maître auxiliaire. Ses premiers remplacements d’un ou deux jours ne lui ont pas permis de prendre la mesure de cette nouvelle profession qui s’offrait à elle. Sans formation, elle appliquait ce qu’elle se remémorait de son expérience d’écolière.
Et puis un jour, elle est nommée plus longtemps, le temps d’un congé maternité. « Là je suis tombée dans la marmite. » Elle prend goût à enseigner, à être auprès des enfants, à les voir progresser, à chercher sans cesse ce qui favorisera ces apprentissages, à essayer, se tromper, essayer autre chose, réussir, chercher et essayer encore. Elle lit beaucoup, s’interroge, se renseigne. Du hasard naît la passion. « Pour la première fois de ma vie, j’allais au boulot sans ressentir de la routine. Cela ne m’a jamais quittée, jamais même la dernière année. » Elle rencontre là aussi une traduction concrète et pédagogique de sa vision politique, celle du rejet de la fatalité.
« A l’époque, on faisait une leçon puis des exercices d’entraînement et ensuite une évaluation. C’était toujours les mêmes qui échouaient et ne pouvaient pas recommencer. » Elle s’interroge pour trouver comment faire pour que les enfants aient le droit de se tromper. L’interrogation est un véritable déclencheur avec en écho la ferme intention de ne pas se résoudre. Elle se demande comment passer du temps à expliquer à un groupe qui peine, comment quitter son estrade de maîtresse et permettre à chacun de progresser. Elle cherche des outils, découvre les fiches pratiques insérées dans la revue Le Nouvel Éducateur, va plus loin en dévorant les ouvrages sur la méthode Freinet, et pousse la porte du groupe ICEM de l’Essonne. L’Institut coopératif de l’école moderne est en passe de devenir pour elle une véritable école permanente.
Elle commence par écouter, elle regarde ce qu’il se passe dans les classes Freinet lors des formations, s’en inspire dans ses pratiques pédagogiques puis s’investit de plus en plus intensément. Quatre ans après, elle rejoint le mouvement national. Elle se reconnaît dans les échanges humains, l’amitié, la coopération et a envie de contribuer à la diffusion d’une approche émancipatrice de l’éducation. Aujourd’hui, à la retraite depuis un an, elle s’investit toujours, mue par la même passion.
« Je suis entrée dans le mouvement Freinet par Le Nouvel Éducateur et maintenant je m’en occupe », sourit-elle. Les dernières années de sa carrière, elle en était la rédactrice en chef. Elle qualifie ce choix d’en partie égoïste pour quitter sa classe progressivement, d’abord par une mise à disposition à mi-temps puis par un détachement. Elle aimait trop enseigner pour partir d’un coup.


« Une sortie avec ma classe »
Avec la revue, elle a une relation forte. Sa parution avait été stoppée par la faillite de la maison d’édition PEMF, les Presses éditions de la maison Freinet. Après trois ans de présidence de l’ICEM, Catherine Chabrun lance un défi lors du congrès du mouvement : la relance de la revue si au moins 300 engagements d’abonnement se manifestent. L’objectif est atteint, il lui reste à apprendre le métier de rédactrice en chef, à construire la maquette, à comprendre comment mettre en valeur un article, composer un chapeau, un titre.
Encore une fois, elle se délecte à explorer de nouvelles voies en coopérant. « J’ai tout appris. Je n’aurais jamais cru que j’étais capable d’écrire, j’ai découvert l’écriture grâce à l’ICEM. Tu t’engages mais tu reçois beaucoup de choses en retour. » Tous les deux mois, à chaque numéro, elle a peur de ne pas rassembler les textes à temps, que le numéro ne reflète pas la richesse des thèmes traités. A chaque fois pourtant, il est bouclé et dense des articles des enseignants de terrain, de signatures de chercheurs, de grands témoins qui manifestent ainsi leur attachement au mouvement.
Le goût de l’écriture trouvé, elle l’a mis en musique dans un ouvrage paru au printemps. Entrer en pédagogie Freinet s’intéresse aux « pourquoi », laisse la parole à ceux qui donnent vie au quotidien au plaisir d’apprendre et d’enseigner. « Je voulais rassurer sur le fait qu’on n’a pas besoin d’être pédagogue de haut vol pour faire de la pédagogie Freinet. »
Le partage, le compagnonnage, sont des mots qui lui tiennent à cœur et qu’elle met en mouvement. Elle participe toujours à un groupe départemental pour ne pas perdre contact avec la réalité du terrain, ne pas rester dans un monde idéalisé avec comme risque une revue déconnectée du quotidien des enseignants. Elle observe avec plaisir le regain d’intérêt pour Freinet, les jeunes professeurs qui viennent aux réunions ou aux formations avec l’envie de faire autre chose que ce qu’ils ont connu en tant qu’élèves. Elle balance entre deux explications, celle du manque de formations proposées par le ministère et celle qui attribue à la nouvelle génération un goût pour les questionnements sur le métier et ses pratiques. Les deux se mêlent sans doute.
Elle constate l’arrivée de professeurs du secondaire, de professeurs documentalistes qui cherchent dans l’approche pédagogique de Freinet des moyens de vivre autrement le cours, la classe. « La coopération, la place donnée à la parole de l’enfant agissent sur le climat scolaire. Elles amènent une dimension démocratique. La classe devient une ruche où l’on voit des élèves au travail d’une façon apaisée. »
Cet été, au dernier congrès de l’ICEM, elle s’est réjouie de voir des générations rassemblées, échanger dans des ateliers, partager le même enthousiasme, de celle des nouveaux professeurs à celle qui a connu le fondateur de cette nouvelle pédagogie qui essaime encore aujourd’hui. « On ne construit pas le même élève puis le même individu lorsque l’on donne la parole qui vise l’émancipation. » Tous n’ont peut-être pas cette idée, cet idéal en tête mais peu importe, ils partagent la même envie de chercher toujours et encore, d’inventer sans cesse pour que l’école soit un lieu où tous apprennent.
Catherine Chabrun participe à cette effervescence coopérative encore et toujours avec bonheur. Elle ne saurait énumérer tout ce qu’elle a appris en s’engageant dans le mouvement Freinet : l’écriture, la prise de parole, la démarche de recherche, la coopération, la mise en musique d’une revue. « Le mouvement associatif peut apporter beaucoup de choses dans l’investissement, l’engagement, dans le rapport humain, dans la politique au sens noble du terme. » Participer pour apprendre, apprendre pour participer, la réciprocité de l’engagement se conjugue à l’infini.

Monique Royer

Trois fois non

lundi 28 septembre 2015 :: Permalien

Trois fois non, John Holloway
Intervention prononcée lors du Festival de la Démocratie Directe à Thessalonique, le 4 septembre 2015. Traduite de l’anglais par Julien Bordier et José Chatroussat.

— John Holloway enseigne les sciences politiques à Puebla (Mexique). Sa proximité avec l’expérience zapatiste l’a amené à approfondir les questions liées aux formes de révolte et à la transformation révolutionnaire de la société. Il est l’auteur de deux ouvrages très discutés : Changer le monde sans prendre le pouvoir (Lux/Syllepse, 2007) et Crack capitalism, 33 thèses pour en finir avec le capital (Libertalia, 2012). Il a récemment publié Lire la première phrase du Capital (Libertalia, 2015). —

Trois fois non

I
Non, non, non. Trois non. Trois dates : 5 juillet 2015, 6 décembre 2008, 15 décembre 2008. Trois ruptures.

II
5 juillet 2015
Le premier Non résonne encore dans les airs, tout le monde en parle encore : le grand Oxi du 5 juillet, une nuit où le monde se mit à danser dans les rues. Un Non absurde, ridicule... un NON d’espoir, un NON de dignité.
En 1795, William Blake imaginait les réactions des rois d’Asie à la vague révolutionnaire qui déferlait sur l’Europe. Il imaginait les rois exhortant leurs conseillers :

« A supprimer à la ville la fourniture en pain,
Que le rebut apprenne à obéir,
Que la fierté du cœur puisse faiblir,
Que le désir dans les yeux puisse s’éteindre,
Que la délicatesse de l’oreille en son enfance
S’émousse, et que les narines se ferment,
A apprendre aux vers mortels le chemin
Qui conduit aux portes du tombeau »

Voilà ce qu’était la longue période de négociations entre les gouvernements de la Zone Euro et Syriza : pas seulement une négociation, mais aussi une humiliation, une tentative de tuer la fierté du cœur, d’apprendre aux vers morbides le chemin qui part des portes du tombeau. Le NON du 5 juillet était un NON à l’humiliation : il dilatait les narines, aiguisait l’ouïe, réveillait le désir dans les yeux ; il était un cri de dignité, une affirmation de notre dignité

Le grand Non du référendum ne mena nulle part, peut-être qu’il ne pouvait que mener nulle part. Les gouvernements répliquèrent à peine une semaine plus tard : « Désolé, mais nous ne comprenons pas ce que vous dites, nous ne comprenons pas votre langage. Quel est ce mot ’’Non’’ ? Vous dites n’importe quoi. Vous vivez dans un monde imaginaire, un monde qui n’existe pas. La Réalité de ce monde fait que dans ce référendum, vous aviez le choix entre OUI et OUI. La Réalité est qu’il n’y a pas d’autre option que d’être conforme. »

Un Non s’est noyé, un espoir s’est étouffé. Pourtant, cela reste notre point de départ, le point duquel nous tentons de comprendre le monde. Dans ce Non, nous nous reconnaissons, dans ce Non nous cherchons notre humanité. Ce Non est notre langage, notre grammaire, l’expression de notre réalité. Le grand Oxi continue de résonner dans les airs, tout comme un baiser reste en suspend derrière le passage des amoureux. Il résonne puissamment, renforcé par l’écho d’un Non précédent, la grande rupture d’il y a sept ans : décembre 2008.

III
6 décembre 2008

L’assassinat d’Alexis a provoqué l’un des plus grands cris de Non entendu en ce siècle : Non aux violences policières, Non aux discriminations à l’encontre des jeunes, des migrants, des femmes, Non à un système basé sur la frustration, Non à un système qui émousse nos sens, ferme nos narines, par le chômage et, parfois pire, par notre emploi, Non à un système construit sur l’incohérence de l’argent. Non, aussi, aux traditions éventées de la lutte des classes. Aucune demande ne fut adressée à l’Etat, ce fut simplement un rugissement de fureur contre l’Etat et tout ce qu’il représente.

La rage s’entrelaçait avec l’espoir, mais cette relation était fragile et ne connaissait aucune médiation institutionnelle. Ce n’était pas l’espoir que les prochaines élections allaient changer quelque chose, mais l’espoir sous-jacent que le monde pourrait être différent, qu’il serait possible de faire tomber ce monde de capital, de répression, d’injustice. Un des nombreux manifestes qui circulaient dans les rues ces jours-là donne une idée de ce qu’était ce mouvement :

« En fait, c’était une révolte contre la propriété et l’aliénation. Tous ceux qui ne se sont pas cachés derrières les stores de leur vie privée, tous ceux qui se sont retrouvés dans les rues, le savent bien : les magasins n’étaient pas pillés pour revendre les ordinateurs, les vêtements, les meubles mais pour le plaisir de voir s’écrouler ce qui nous aliénait – la fantasmagorie de la marchandise (…) Dans les feux qui réchauffaient les corps des insurgés de ces longues nuits de décembre, brûlaient les produits de notre travail libérés, symboles désarmés d’un imaginaire autrefois puissant.

Nous n’avons fait que prendre ce qui nous appartenait et l’avons jeté au feu avec tout ce que ça représentait. Le grand potlatch de ces derniers jours était une rébellion du désir contre le modèle imposé du manque. En fait, c’était une révolte contre la propriété et l’aliénation. Une révolte du don contre la souveraineté de l’argent. Une insurrection d’anarchie de la valeur d’usage contre la démocratie de la valeur d’échange. Un soulèvement spontané de liberté collective contre la rationalité de la discipline individuelle. » (Ego te provoco, Athènes, 2008) (Nasioka 2014, 171)

Le mouvement parlait une langue qui ne convenait pas, la langue d’un monde qui n’existe pas encore, qui existe pas-encore dans nos révoltes.

[...]

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John Holloway