Le blog des éditions Libertalia

Je vous écris de l’usine, dans le Canard enchaîné

mercredi 10 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Le Canard enchaîné du 10 février 2016.

Non merci, patron !

L’homme est en colère et il ne s’en cache pas. On n’écrit pas des livres intitulés Putain d’usine (2002) ou Tue ton patron (2010) sans disposer d’un minimum de hargne. Il faut dire qu’en quarante-deux années de labeur dans une usine longtemps affiliée à Total cet ouvrier syndicaliste, tendance anar, a engrangé un matériau considérable en matière d’exploitation capitaliste. Il était en première ligne et n’est pas prêt de pardonner. « Je suis plutôt du genre à mordre la main qui tient ma chaîne », explique-t-il.
Jean-Pierre Levaray ne se cantonne pas à cette rage contre le patronat et ses « bénéfices immoraux ». Quand il parle de l’usine, du turbin quotidien, il met d’abord en avant ce qui subsiste d’humain : la fraternité entre collègues, les moments volés aux patrons et les luttes sociales.
C’est bien ce qui ressort de Je vous écris de l’usine, recueil de textes publiés de 2005 à 2015 dans le combatif mensuel de critique sociale CQFD : alors que le travail se fait chaque jour plus pesant et l’ambiance plus tendue, l’espoir ne s’éteint jamais totalement.
« Pour écrire sur l’usine, il faut la vivre de l’intérieur, la renifler avec ses tripes » écrit en préface Marcel Durand, autre ouvrier écrivain. C’est bien le cas de Jean-Pierre Levaray. Au cours de ses longues décennies d’atelier, il a vu le travail évoluer et les catastrophes s’enchaîner. AZF, amiante, licenciements, ce tropisme morbide est tatoué dans sa chair, sans que cela empiète sur sa combativité : « Se mettre en grève ouvertement contre la direction générale, c’est dire “NON chef !” c’est jouissif. » Et, quand l’abattement pointe à l’horizon, c’est l’humour et la fraternité qui l’emportent : « Que faire ? » s’interrogeait Lénine. « On reprend de la purée », lui répond Lulu.

Émilien Bernard

Paris, bivouac des révolutions dans la revue des Amis de la Commune de Paris

lundi 8 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

À l’heure où nous venons de recevoir la nouvelle édition de Paris, bivouac des révolutions, nous en découvrons une recension parue dans le n° 60 (4e trimestre 2014) du trimestriel La Commune et signée par Paul Lidsky, auteur d’un livre qui fit date et que n’avons jamais cessé de recommander : Les Écrivains contre la Commune (Maspero puis La Découverte).

Ce livre est écrit par Robert Tombs, professeur au Saint John’s Collège de Cambridge, un des grands spécialistes en Grande-Bretagne de la Commune. Cette version française d’un livre publié à Londres en 1999 a été mise à jour et tient compte de tous les ouvrages historiographiques écrits depuis dans une synthèse très éclairante.
Dans le droit fil des travaux de Jacques Rougerie, auquel le livre est dédié, l’auteur s’efforce d’étudier la Commune à hauteur d’hommes, dans une recherche apaisée ne s’embarrassant pas des mythes et des idéologies. Tombs montre d’abord comment l’événement du 18 mars a été spontané et inattendu. Quelques mois plus tôt, en août 1870, les blanquistes, croyant à une situation révolutionnaire, tentèrent de déclencher une insurrection : ils mobilisèrent soixante militants et ce fut un échec complet. De même en octobre, mais les circonstances vont modifier le contexte.
Rien n’aurait été possible sans la guerre franco-prussienne et les conditions épouvantables du siège qui ne cessèrent de se détériorer : le taux de mortalité fut multiplié par quatre (42 000 morts durant le siège) ; il y eut une paupérisation massive des couches populaires et moyennes, ce qui accentua l’inégalité sociale dans Paris. Deux autres éléments furent déterminants pour expliquer ce qui allait suivre : un patriotisme d’autant plus exacerbé que les Parisiens prenaient conscience que leurs dirigeants étaient capitulards et un républicanisme d’autant plus ardent qu’ils voyaient que la république démocratique et sociale dont ils rêvaient était gravement menacée par l’Assemblée nationale qui venait d’être élue (plus de 400 royalistes).
Les provocations de Thiers et sa désertion de Paris allaient faire le reste.
Pour l’auteur, la Garde nationale de Paris a eu aussi un rôle essentiel : 340 000 hommes avec 280 000 fusils, c’était le peuple en armes. En effet, à l’occasion du siège de Paris, pour combattre les Prussiens, tous les hommes valides furent mobilisés par quartiers et apprirent au fil des mois à se connaître et les solidarités de voisinage furent décisives dans leur engagement dans la Commune : cela permet de comprendre pourquoi certains insurgés, sans expérience militante, ont cependant combattu jusqu’à la mort.
Tombs, au plus près des communards, redonne ainsi à l’événement sa complexité, ses contradictions, sa richesse et sa fraîcheur. Il montre aussi que certains visages de la Commune (libertaire ou autoritaire) ne furent pas contradictoires, mais successifs au fil des événements.
Dans le même état d’esprit, dialoguant avec les diverses thèses développées dans des ouvrages récents, il aborde de nombreux sujets : la place et le rôle des femmes, prolétariat ou peuple, aurore ou crépuscule, le chiffrage des victimes de la Semaine sanglante, l’éducation et la culture, etc.
Documenté, d’une lecture didactique, mais aisée et claire (le livre a été écrit au départ pour des étudiants), posant des questions nouvelles et apportant parfois aussi des réponses nouvelles, ce livre est une synthèse ouverte et stimulante qui montre que la Commune continue à passionner les historiens de tous les pays et à nous poser beaucoup de questions.

Paul Lidsky

Pédagogie et Révolution, dans Le Monde diplomatique

jeudi 28 janvier 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Pédagogie et révolution (Grégory Chambat) dans Le Monde diplomatique, février 2016.

Dans l’esprit de Montaigne – « éduquer, c’est allumer un feu » – et de Fernand Pelloutier – « Instruire pour révolter » –, cet ouvrage s’attaque au mythe de l’école de Jules Ferry et revient sur l’apport du syndicalisme révolutionnaire aux pratiques éducatives. Il souligne le divorce entre le monde ouvrier et l’État sur l’éducation, avant de proposer une relecture des auteurs de la pédagogie libératrice : Francisco Ferrer, Paulo Freire, Ivan Illich, Célestin Freinet… et Simone Weil, pour qui la « prise de possession » de « l’héritage de la culture humaine », c’était « la révolution elle-même ». Grégory Chambat – lui-même enseignant – aborde aussi de grandes expériences éducatives, comme celle des Bourses du travail d’avant 1914 ou celle des révolutionnaires espagnols de 1936. Il reprend enfin les analyses d’auteurs contemporains comme Pierre Bourdieu ou Jacques Rancière. Cette approche sociale de la pédagogie permet de sortir de l’actuelle (fausse) querelle entre « réac-publicains » et pédagogistes.

C.J.

Benjamin Péret : « Je ne mange pas de ce pain-là. »

jeudi 21 janvier 2016 :: Permalien

Je ne mange pas de ce pain-là.
Benjamin Péret, poète c’est-à-dire révolutionnaire.

Un film de Rémy Ricordeau, Sevendoc Production.
Recension parue dans CQFD (novembre 2015).

« Je ne mange pas de ce pain-là. »

« Mon avion en flammes mon château inondé de vin du Rhin
Mon ghetto d’iris noirs mon oreille de cristal […]
Ma cascade bleue comme une lame de fond qui fait le printemps
Mon revolver de corail dont la bouche m’attire comme l’œil d’un puits scintillant […]
Je t’aime. »

Ainsi s’exprimait Benjamin Péret dans Je Sublime, peu avant de gagner Barcelone et les rangs du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) en cet été 1936 où tout semblait possible. Il combattra par la suite au sein de la colonne Durruti. Tel était Péret. Homme de plume, de cœur et d’action, figure surréaliste majeure et oubliée, poète radical, écorché né à Rezé en 1899, décédé prématurément en 1959.
Anticlérical viscéral, rétif à toute capitulation patriotarde, il doit une certaine postérité au pamphlet Le Déshonneur des poètes (1945), dans lequel il éreinte ses anciens compères Aragon et Éluard.
Au cours des années 1950, l’ancien dadaïste et éternel compagnon d’André Breton faisait figure de dinosaure auprès des jeunes gens qui embrassaient la cause surréaliste. Et c’est tout l’art du réalisateur Rémy Ricordeau que de donner la parole sobrement à ces anciens témoins dans un stimulant documentaire intitulé, à l’instar d’un recueil de Péret, Je ne mange pas de ce pain-là. Les images d’archives alternent avec de passionnants entretiens, de Maurice Nadeau notamment, filmé en 2012, mais également de Guy Prévan (auteur de Péret Benjamin, révolutionnaire permanent, Syllepse, 1999) et d’Alain Joubert. Une voix off restitue la chronologie d’une vie dédiée à l’art, pourvu qu’il fût révolutionnaire et indépendant.
Et parce que l’image ne suffit décidément pas à résumer le poète, le DVD est vendu dans un coffret incluant un livret de 88 pages comprenant textes et photos.
Ami-e-s, si m’en croyez, ne ratez point ce bel objet !

N.N.

Des hommes et des bagnes, dans la Revue française de science politique

jeudi 21 janvier 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Un article sur Des hommes et des bagnes paru dans la Revue française de science politique (RFSP) — numéro 65, décembre 2015.

L’histoire du bagne continue de s’écrire avec la publication de témoignages inédits – par exemple Alexis Trinquet, Dans l’enfer du bagne (Les Arènes, 2013) – ou devenus introuvables, comme celui de Jacob Law, Dix-huit ans de bagne (éditions de la Pigne, 2013). Les éditions Libertalia contribuent activement à ce mouvement. Elles ont réédité, en 2007 et 2014, le témoignage de l’anarchiste Eugène Dieudonné (La Vie des forçats, 1930), puis en 2009 celui de « L’incorrigible » Paul Roussenq (L’enfer du bagne, 1957). Elles participent, plus généralement, d’un intérêt renouvelé pour le bagne en ayant réédité en 2009 une œuvre de fiction, parue initialement en 1913, Chéri-Bibi. Les cages flottantes, qui se déroule en grande partie sur le navire qui transporte le héros-éponyme du roman-feuilleton de Gaston Leroux au bagne de Cayenne.

Avec Des hommes et des bagnes, les éditions Libertalia livrent cette fois un document inédit : le témoignage du Docteur Léon Collin. Retrouvé dans le grenier de la maison familiale par Philippe Collin, son petit-fils (qui signe un avant-propos), ce document est constitué de deux tapuscrits, de quelque 210 pages (Quatre ans chez les forçats et Fin de bagne en Nouvelle-Calédonie) dans lesquels le lieutenant-colonel en retraite a raconté, dans les années 1950, ce dont il a été témoin, entre 1906 et 1913, auprès des forçats de Guyane, puis de Nouvelle-Calédonie.

Plusieurs décennies et des événements dramatiques (les tranchées de la Première Guerre mondiale, la défaite de 1940 et l’occupation) se sont écoulés entre le débarquement en Guyane du jeune médecin de l’armée coloniale et l’écriture de son témoignage. Mais le texte laisse entendre un auteur conscient de son devoir de témoigner (parce que « les condamnés […] ne sauraient être crus », p. 249) et qui demeure bouleversé, évoquant son « impression de terreur, inoubliable » (p. 175). Le document est remarquable par la manière dont il réussit à donner de la chair au bagne. Le texte du Docteur Collin peut en effet se lire comme une formidable galerie de portraits, de bagnards anonymes et de quelques célébrités (Manda, Ullmo, Soleilland, etc.), que complète admirablement le travail prosopographique réalisé par les éditions Libertalia.

Le Docteur Collin décrit minutieusement les corps et leurs souffrances. Les descriptions qu’il dresse des malades – des paralytiques, des aveugles, des lépreux ou d’« un petit vieux, au visage cyanosé » (p. 234) – sont souvent terrifiantes. À ce regard du médecin, s’ajoute celui de l’esprit scientifique, qui calcule la moyenne d’âge des bagnards, leur espérance de vie ou le nombre de décès par semaine et qui relève, au passage, qu’il n’y a pas plus de 40 chemises pour les 110 hommes en traitement à l’infirmerie du camp Est (p. 240).

Si le témoignage du Docteur Collin ne prend pas la forme d’une dénonciation en règle du bagne comme on en lira plus tard (notamment avec les reportages d’Albert Londres réunis sous le titre Au bagne en 1923), il contient déjà tous les arguments contre la « guillotine sèche ». Certes, le Docteur Collin est un homme de son temps pour qui un type criminel se reconnaît dans des traits physiques. Mais, parce qu’il observe que ceux « dont on a rempli les bagnes » sont « des brutes, des anormaux, des atrophiés, mais aussi des malchanceux, sur la tête desquels pèse toute la faute de leurs ancêtres ou de leur milieu », il doute de leur utilité et en vient à conclure que « la peine de mort est encore préférable à la peine d’internement perpétuel » (p. 101).

Les éditions Libertalia, dont les ouvrages sont toujours illustrés avec soin, ont accompagné le texte du Docteur Collin de reproductions des carnets originaux et de nombreux clichés pris par l’auteur. La lecture de ce document historique unique, enrichie par la préface et l’appareil de notes réalisés par Jean-Marc Delpech, sera appréciée par celles et ceux qui, au-delà des chercheurs et des spécialistes, s’intéressent au bagne et à l’histoire des institutions punitives – et qui ne manqueront pas de guetter la publication annoncée par les mêmes éditeurs d’un récit depuis longtemps introuvable : celui du Docteur Rousseau, Un médecin au bagne, datant de 1930.

Gwenola Ricordeau Clersé, Université Lille 1