Le blog des éditions Libertalia

« Mes principes guerriers me l’interdisent »

mardi 17 juin 2014 :: Permalien

C’est l’un des textes les plus forts sur la guerre d’Espagne.
Écrit par Mika Etchebéhère (1902-1992), une femme qui dirigea une colonne du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) en 1936-1937.
On y croise des minoritaires, des anarcho-syndicalistes et des marxistes antistaliniens, tous habités par la conviction d’imminents lendemains qui chantent.
Rédigé en langue française par une internationaliste argentine qui a fini ses jours à Paris, ce livre vient d’être réédité par les éditions Milena, qui signent là leur premier ouvrage.
La première édition date de 1975, le livre avait alors été publié par Denoël. Puis il a été republié en format poche par Actes Sud en 1999, dans la collection « Babel Révolutions », sans le moindre appareil critique.
C’est un livre que Libertalia aurait rêvé de rééditer.
Mais c’est pour nous une grande joie que de le voir si joliment traité.
Outre des photos inédites et une lettre de Julio Cortázar en fac-similé, l’ouvrage est vendu avec un intéressant documentaire de 80 minutes (réalisé en 2013 par Fitot Pochat et Javier Olivera.) — Disponible sur notre librairie en ligne.
En voici un extrait. Bonne lecture !

« Sitôt la femme partie, je me dis que j’aurais dû l’accompagner jusqu’au métro, rester là, partager avec les miens cette nuit d’épouvante au lieu d’aller raconter notre guerre à un étranger, venu là seulement pour regarder cette terre ensanglantée. Puis les obus cessent. Des sirènes d’ambulances et de pompiers annoncent que la mort et le feu mordent le corps de la ville. Je n’irai pas au métro, je ne retournerai pas à la caserne, je tremble de froid et de terreur, je ne réussirais pas à dormir, j’irai voir le journaliste français.
“En voyant l’heure passer j’ai cru que tu ne viendrais pas, dit-il en venant à ma rencontre dans le hall de l’hôtel. J’ai demandé qu’on nous laisse de quoi souper, allons donc manger.”
Depuis le commencement de la guerre c’est la première fois que je vois des nappes blanches, des garçons comme en temps de paix, des gens assis autour de tables du passé, qui parlent et mangent comme avant les bombardements. Il y a quelques officiers et même de simples miliciens. Des planqués, diraient les nôtres, ou peut-être des gens qui ont de l’argent. Je suis sur le point de le demander au garçon qui vient nous servir, mais sans doute vaut-il mieux ne pas chercher à le savoir. De toute façon je ne pense pas revenir ici. Je suis gênée par les regards qui se fixent sur les trois étoiles que je porte accrochées à mon blouson de luxe.
“J’ai oublié d’ôter mes insignes, dis-je au journaliste. Ces messieurs doivent croire que je suis une capitaine à la gomme sortie de quelque ministère.
— On voit à ton visage que tu reviens du front, dit-il. Tu as la peau comme du cuir tanné et une sorte d’arrogance dans l’allure peu commune à l’arrière-garde. C’est naturel que ton orgueil de combattante te colle à la peau. De toute façon j’imagine que tu te moques de ce que les gens pensent de toi.
— Tu te trompes, j’en fais plus de cas que je ne le voudrais. C’est une faille de mon caractère, une faiblesse, si tu préfères. La plus légère manifestation de méfiance ou d’hostilité me blesse, pis encore, m’humilie comme une offense insupportable. Au fond je suis une faible femme sans défense. C’est la pure vérité, mais je ne devrais pas te l’avouer. Je parle plus qu’il ne le faut à cause de la chaleur et du vin, c’est sûr. Changeons de sujet. Demande-moi ce que tu as envie de savoir.
— Avant tout, dit l’homme en me regardant dans les yeux, savoir pourquoi tu te moques de moi.
— Tant pis pour toi si tu crois que je me moque. Tu pensais me voir réagir en homme. Tu as peine à croire que je suis vulnérable parce que ma situation au front, à la tête d’une compagnie d’hommes, contredit ce que les gens définissent comme féminin. Laissons donc cela, je n’ai pas envie d’en discuter davantage.
— Au risque de te gêner, je veux te demander une chose que je crois importante.
— Je sais, tu es comme tout le monde, tu veux savoir si cela ne me crée pas de problèmes de type, disons, sentimental ; si je n’ai pas à repousser des propositions, des insinuations ou des tentatives amoureuses. C’est bien cela ?
— Oui, c’est ce que je voulais dire.
— Alors je te réponds catégoriquement : jamais.
— En as-tu parlé quelquefois avec les miliciens ?
— Jamais. Ç’aurait été une erreur de ma part, et de plus une faiblesse. Pour eux je ne suis ni femme ni homme. Le climat qui s’est créé entre nous est né de ma conduite […].
— Maintenant une autre question, peut-être banale, qu’on t’aura posée souvent. Tu n’as jamais eu peur ?
— J’ai toujours eu peur, mais pas dans ma tête ni dans mes jambes : dans mon estomac, surtout au début d’un combat, quand éclatent les premiers obus, surtout les obus d’avions. Ils sont parfois pires que les coups de canon, surtout dans une tranchée, et l’avion jouit d’un prestige sinistre auquel il est difficile de se soustraire. Aux premiers jours de la guerre un seul avion ennemi survolant le terrain du combat suffisait à provoquer la débandade parmi les miliciens. C’est que nous n’avions rien, pas même des fusils en nombre suffisant. Maintenant c’est un peu mieux, grâce à l’Union soviétique, mais de rudes moments attendent la petite unité du POUM. La presse communiste attaque l’organisation. Ses calomnies sont un affront à nos combattants qui ont vu tomber tant de leurs compagnons dès les premiers jours de la guerre. Il est très douloureux de voir s’achever la fraternité qui est née avec le mouvement révolutionnaire, et de voir que la révolution elle-même perd du terrain.
— Mais en Espagne le Parti communiste n’est pas l’organisation la plus forte. Le Parti socialiste avec sa puissante UGT, la CNT-FAI avec ses masses anarchistes peuvent fort bien l’empêcher d’imposer sa loi et de détruire le POUM, en dépit des ordres de Moscou.
— Avant le 18 juillet, le Parti communiste, face aux autres organisations ouvrières, représentait peu de chose, presque rien. Mais trois jours après il s’est mis à encadrer les milices avec un sens de la discipline et de la propagande qui s’inspirait des méthodes de l’Internationale communiste. À ces premiers galons se sont ajoutés ceux qu’ont gagnés les avions russes luttant dans le ciel de Madrid contre l’aviation fasciste qui incendiait et assassinait la ville. Maintenant la Russie nous envoie des tanks, des canons, des mitrailleuses. La Russie est notre providence et son porte-drapeau le Parti communiste. Seulement, avec les armes soviétiques viennent les sinistres méthodes staliniennes, les fabricants de calomnies, les « tchékistes » qui obtiennent des « aveux »…
— Cela n’explique pas la soumission de toutes les autres organisations ouvrières qui ont pris les armes pour lutter contre le soulèvement fasciste.
— Elles ont pris les armes, oui, mais pas le gouvernement. Et remarque bien que je dis le gouvernement pas le pouvoir, parce qu’en réalité elles ont instauré un pouvoir révolutionnaire dans les premiers jours et même les premières semaines. Mais elles ont laissé le gouvernement entre les mains des mêmes politiciens bourgeois qui n’ont pas su faire face à la conspiration militaire (que tout le monde voyait venir) par peur de renforcer le courant révolutionnaire qui circulait dans tout le pays. Même au dernier moment le gouvernement a caché la gravité de la situation parce qu’il espérait pouvoir négocier avec les généraux soulevés et éviter de donner des armes aux travailleurs. Quand les travailleurs ont obtenu leurs premiers fusils ils ont oublié le gouvernement, préoccupés seulement par l’immédiat : étouffer les foyers fascistes, former les milices… Et le gouvernement n’a pu l’empêcher…
— C’est vrai, il ne l’a pas pu. Mais dix jours après il a essayé de prendre le contrôle des forces révolutionnaires en payant dix pesetas par jour chaque milicien. Je ne sais pas si tu as une idée de ce que représentait cette somme pour les ouvriers et les paysans qui n’avaient jamais gagné pareil salaire. Même dans notre colonne, qui comptait plusieurs militants politiques, nous ne sommes pas parvenus à faire repousser ces dix pesetas par nos miliciens. Les syndicats et les partis ont annulé en partie la manœuvre du gouvernement en exigeant que la paie des milices leur soit versée à eux pour qu’ils fassent, eux-mêmes, la distribution […]. En attendant, il n’y a d’autre solution que de continuer à combattre comme nous sommes et avec le peu que nous avons : peu d’armes, peu de cadres, peu de vêtements et très peu de science militaire. Je n’ai plus envie de parler. La journée a été longue, j’ai besoin de dormir, adieu.
— Tu pourrais rester dormir ici.
Ici, avec toi ?
Pourquoi pas ? Tes principes te l’interdisent ?
— Oui, mes principes guerriers me l’interdisent.
— Parce que tu crois que dans l’article que je vais écrire je vais dire que j’ai couché avec une capitaine qui commande des forces sur le front de Madrid ?
— Même si tu ne le dis pas, même si personne ne le sait, pas même mes miliciens, cela rabaisserait d’une certaine manière, salirait même la cause que je sers. Ne me regarde pas avec cet air de moquerie ou de pitié, ne crois pas que je me prenne pour Jeanne d’Arc ou que je m’impose une règle de vie monacale. Mon attitude n’a rien à voir avec la morale bourgeoise : elle concerne le personnage que j’incarne pour les miliciens de ma compagnie, pour tous ceux qui m’entourent et même pour toi.
Alors tu t’imagines que si tu passais la nuit avec moi, tu baisserais dans mon estime ?
— Je suis sûre que oui. Je n’ai pas la force cette nuit de t’expliquer par quels chemins tortueux l’image que tu emporterais de moi se banaliserait, s’abaisserait à la taille d’une aventure pittoresque dans l’Espagne rouge avec une capitaine que tu mets dans ton lit quand tu l’as décidé. Tu me répondras, je sais bien, que je donne une importance démesurée à quelque chose qui n’en a aucune, que je me donne à moi-même une fausse importance en voulant à tout prix que tu me prennes pour un être exceptionnel.
— J’espère au moins ne pas t’avoir offensée. La seule chose peut-être que tu puisses me reprocher c’est d’avoir voulu te traiter simplement comme une femme semblable aux autres femmes, en oubliant en effet que tu es exceptionnelle.”

Il est deux heures du matin quand j’arrive à la caserne. Derrière la porte entrouverte, dans le large hall, en plus des deux miliciens de garde, je vois assis par terre et fumant trois de nos vieux et quatre ou cinq jeunes.
“Que se passe-t-il, pourquoi êtes-vous réveillés ?
— Rien, on t’attendait. On croyait même que tu ne viendrais pas dormir, tu aurais pu…”
Les voix deviennent indécises, comme gênées, cherchant une explication difficile à exprimer. Je ne recueille pas la méfiance, je ne revendique pas une indépendance parfaitement naturelle et qu’il leur en coûterait de discuter.
“Si j’avais pensé ne pas rentrer dormir, dis-je seulement, j’aurais averti avant de m’en aller. Et si quelque chose de grave s’était produit vous saviez bien que j’avais rendez-vous avec le journaliste à l’Hôtel Gran Vía.”
Ni eux ni moi ne faisons allusion au motif qui aurait pu me faire dormir ailleurs qu’à la caserne. Hypocrisie ? Je dirais précaution. Entre eux et moi il existe un terrain commun, la lutte, la solidarité, la dure loi du combat. Au-delà il y a une zone obscure où nous nous mouvons, eux et moi, à pas prudents, comme si nous marchions au bord d’un puits mal fermé. Ce qui dort ou s’agite dans les eaux de ce puits nous concerne eux et moi, mais par un accord tacite nous ne regardons pas à l’intérieur du puits. Cela n’est pas nécessaire non plus. L’essentiel est clair entre nous. Si j’étais restée dormir avec le journaliste français quelque chose se serait troublé. L’homme ne pouvait le comprendre parce qu’il n’est pas espagnol.
La voix du vieux Servando coupe un silence qui dure plus qu’il ne le faut :
“Ne va pas croire que nous t’épions. Tu es tout à fait libre de faire ce que bon te semble. Nous sommes restés debout parce qu’un ordre aurait pu arriver et qu’il aurait fallu aller te chercher.
— Bien sûr, je le sais. Eh bien, bonne nuit à tous. Heureusement qu’aucun ordre n’est arrivé, nous avons besoin de nous reposer. Espérons qu’on nous laissera tranquilles quelques jours.” »

Tenir la rue, lu par Gérard Delteil dans L’Anticapitaliste

mardi 17 juin 2014 :: Permalien

Dans L’Anticapitaliste, le journal du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le romancier et militant Gérard Delteil propose une intéressante recension de l’ouvrage de Matthias Bouchenot.
C’est d’ailleurs Gérard Delteil qui animera le débat qui se déroulera à la librairie La Brèche (Paris 12e) ce jeudi 19 juin à 19 heures.
Si vous ne pouvez y être, ne manquez pas son dernier (et excellent) roman Les Années rouge et noir, une fiction qui emprunte grandement à la vie du sinistre Georges Albertini (1911-1983), passé de la Collaboration aux cabinets ministériels de G. Pompidou (nous y reviendrons).

Tenir la rue. L’autodéfense socialiste

La violence des affrontements qui opposèrent pendant la période de l’entre-deux-guerres les organisations fascistes et les partis ouvriers a souvent été occultée. La mémoire collective n’a généralement retenu que les émeutes fascistes de 1934 et la victoire du Front populaire en 1936. Matthias Bouchenot s’est penché sur les organisations mises sur pied par la SFIO et le PC pour riposter aux agressions d’une extrême droite alors puissante et encouragée par la prise de pouvoir des Chemises noires de Mussolini en Italie en 1922, puis par les nazis en Allemagne en 1933. La question se posait donc de savoir si l’Hexagone ne risquait pas de subir le même sort et comment faire face à cette menace. Les socialistes comme les communistes constituèrent donc des groupes d’autodéfense qui firent l’objet d’âpres discussions et polémiques au sein de ces partis. Alors que les dirigeants réformistes de la SFIO ne voulaient leur donner qu’un rôle purement défensif, pour protéger les manifestations, meetings, diffusions, les tendances les plus radicales, dont celles qui devaient former le PSOP de Marceau Pivert ou rejoindre le mouvement trotskiste, entendaient former des embryons de milices ouvrières susceptibles, non seulement de rendre coup pour coup aux fascistes, mais de préparer la prise de pouvoir révolutionnaire. Léon Blum, avant de parvenir au gouvernement en juin 1936, faisait partie des dirigeants socialistes qui préconisaient un rôle offensif et même révolutionnaire pour ces milices ! Ce qui n’empêcha la police du gouvernement de Front populaire de tirer sur les manifestants qui voulaient interdire un meeting du Parti social français à Clichy le 16 mars 1937, faisant cinq morts, dont une jeune militante des TPPS, et 300 blessés…
Les Jeunes Gardes socialistes, les TPPS (Toujours prêts pour servir) liés à l’aile gauche de la SFIO et les Groupes de défense antifasciste du PC ne formeront jamais de véritables milices ouvrières, mais parviendront à interdire les quartiers populaires aux fascistes et même à les mettre en échec au Quartier latin où ils faisaient la loi dans plusieurs facultés à coups de canne plombée.
Au moment où l’extrême droite relève la tête en Europe, ces expériences méritent réflexion. Le livre de Matthias Bouchenot nous apporte une informations particulièrement riche, non seulement sur la politique et l’idéologie mais sur la composition sociale de ces organisations, ce qui permet, entre autres, de constater que le Parti socialiste d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec la SFIO des années 1930. Reste une question que Bouchenot ne soulève pas : suffit-il de créer des organisations de type paramilitaire pour vaincre le fascisme ? Or l’expérience a montré qu’il fallait aussi avoir une alternative politique à proposer à la classe ouvrière et à la petite bourgeoisie, notamment en Allemagne et en Autriche où les milices social-démocrates qui faisaient défiler des dizaines de milliers de militants en uniforme n’ont pu empêcher la victoire du nazisme…

Gérard Delteil

Sur la pensée critique, émancipatrice et altermondialiste de John Holloway

mercredi 11 juin 2014 :: Permalien

Le séminaire de recherche libertaire et militante ETAPE (Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l’Emancipation) a consacré sa huitième séance à John Holloway (Changer le monde sans prendre le pouvoir, Crack Capitalism. 33 thèses contre le Capital) autour du thème « Sur la pensée critique, émancipatrice et altermondialiste de John Holloway »

Vidéos de Thierry Le Roy, Télé Sud Est.

Intervention
d’Hervé Guyon

Intervention
de Philippe Corcuff

Intervention
de John Holloway

Joke : L’autoprod n’est pas le chemin, c’est le but

mardi 10 juin 2014 :: Permalien

Propos recueillis par Nicolas Norrito, photo de Yann Levy.
Publication intiale dans CQFD, mai 2014.

Joke - Photographie de Yann Levy

L’autoprod n’est pas le chemin, c’est le but !

Samedi 26 avril, la furieuse bande de The Joke enflamme l’arrière-salle des Trois-Frères, un des chouettes rades de la rue Léon (18e arrondissement). C’est explosif et joyeux, solidaire et pas donneur de leçons. Quelques heures plus loin, voici ce qu’ils nous répondent, à l’occasion de la sortie de leur nouveau disque.

Joke a déjà une longue histoire. Lavoblaster est votre quatrième ou cinquième album. Ce groupe, c’est l’histoire d’une bande de copains qui a progressivement appris à (bien) jouer ? Vous nous en dites davantage sur votre route ?

Y : On s’est formé quand on était collégiens en 1992…
X : … et non pas du tout, tous les membres de Joke étaient déjà virtuoses à l’âge de 12 ans.
Z : Lavoblaster est notre sixième disque, si on ne compte pas notre première K7 (1998), ni les deux albums sortis uniquement sur le Web : Délégué 0.1, avec que des remix, et Live#07 qui sont des prises issues d’une tournée dans les Balkans en 2007. Tous les albums sont en téléchargement gratos sur notre site.

On a du mal à vous définir musicalement tant les influences semblent multiples et la musique métissée. Ce dernier album a justement été enregistré au Burkina Faso, et ça donne une belle énergie à l’ensemble, joyeuse et contestataire. Comment se sont passées ces prises de son ?

Y : C’était mortel. On était invité à Rock à Ouaga, seul festival rock en Afrique subsaharienne. On avait aussi des contacts sur place, notamment notre pote Camille qui tient le studio Ouagajungle, haut lieu du DIY dans la capitale burkinabé.
Z : On a passé nos journées en studio et on jouait live tous les soirs. Un « making of » du disque en dix épisodes a été tourné par nos potes de Rasca Prod, il faut aller regarder ces vidéos pour capter l’ambiance. Tout est sur le Web !
Y : On savait déjà quels morceaux enregistrer. On a réfléchi sur place avec les artistes disponibles à comment les faire intervenir sur nos titres. Tout s’est goupillé très naturellement, on est parti avec un preneur de son historique et efficace, Éric Sénard, et on a investi Ouagajungle. On a kiffé grave et on attend plus qu’une chose : y retourner pour amener le disque aux copains. Mars 2015 si tout va bien…
X : On a la chance d’avoir plein d’invités qui cartonnent : Victor Démé, Baba Commandant, Bebey Bissongo, Art Melody… parmi plein d’autres. On a aussi fait poser quelques potes des Balkans, dont les Dubioza Kolektiv. Dubamix nous a aussi offert un super remix.

De mémoire, il me semble que certains d’entre vous avaient enregistré un disque en Kabylie, non ?

W : Nan.
Y : Si, Paul Leclair et Super Chenet ont sorti 5.4.3.2.1.Alger ! C’est un side-project comme disent les yankees, un disque de vacances...
Z : Joke a déjà fait deux tournées en Algérie et nous sommes très liés à un groupe de là-bas : Djmawi Africa. Le petit projet algérien s’est fait grâce à ces connexions. Il est sur soundcloud.com/paulleclair75
W : Oulech smah oulech ! Shira ou rouge, le combat continue !

La scène, ça semble être votre univers tant vous multipliez les concerts en France, mais également à l’Est de l’Europe. Comment expliquez-vous un tel rayonnement international ?

X : Hahaha ! Rayonnement international… La France nous a fait suer. On a été pas mal boudé à cause de nos textes par les programmateurs, mais aussi par notre refus de jouer le jeu de la « musique actuelle » comme l’aiment les professionnels français. On n’a pas de bio, pas de style, pas de mode, pas de clip, pas de partenaires, pas de buzz, pas de plan promo… Juste des morceaux et de l’envie de live, et on est super content comme ça. Le public est pas con et il kiffe, pas comme les marchands de concerts et de disques l’imaginent.
Y : Partir à l’étranger nous a sauvé. Suite à une tournée organisée par AOLF, on a noué pas mal de contacts en ex-Yougoslavie. Joke y a peut-être organisé dix tournées depuis. On y repart d’ailleurs cet été pour deux tournées de dix concerts chacune.
Z : On aimerait maintenant essayer d’aller en Amérique latine. Mais, bien sûr, si on nous propose la Sibérie, on est chaud aussi ! À bon entendeur…

« Reste calme » commence par un échange entre Xavier Mathieu et David Pujadas. « Des claques » dénonce les discours militants stéréotypés. D’une façon générale, la quasi-totalité de vos titres ont une tonalité sociale. D’où vient cette volonté émancipatrice et ce refus d’un engagement partidaire traditionnel ?

X : La totalité tu veux dire, non ? Lesquels n’ont pas cette tonalité ?
Y : Chacun son truc. Pour moi qui écris ou choisis les textes, ça me paraît être une évidence. On est pas des encartés, mais on a en marre, comme tout le monde, de se faire entarter par la tyrannie du fric.
Z : Ta question est intéressante, c’est quelque chose qui revient souvent. Je crois qu’on cherche à faire un truc politique en dehors des cadres politiques, et que c’est peut-être bien ça la politique. Tu te souviens de John Holloway et de ce qu’il raconte sur la hiérarchisation des luttes ?

Vos concerts sont souvent à prix libre, vos albums sont à prix libre. Vous faites comment pour tout financer ?

X : On galère mais on s’en sort. L’autoprod n’est pas le chemin, c’est le but !
Y : En gros, les activités du groupe financent les activités du groupe et on arrive à s’en sortir plus ou moins comme ça. Ca implique bien sûr qu’on ne se paye pas individuellement. Quand on est en gros manque de fraîche, on en rajoute de notre poche. De manière générale faire des disques coûte très cher, même s’il est de plus en plus facile de faire les choses soi-même.
Z : Nos concerts sont souvent… gratos, en tout cas quand c’est nous qui les organisons et qu’on a un droit de regard là-dessus. Les disques sont à prix libre depuis des années, ce qui nous a permis d’en distiller des milliers en France et à l’étranger. On a la faiblesse de penser que l’industrie du disque est morte et que la raison d’être d’un album est d’être joué. Je pense que plein de gens achètent les disques comme le bon souvenir d’un concert, ça se tient… et puis encore une fois, on met tout sur le Net. On aimerait maintenant sortir le dernier en vinyle… et à prix libre.

Un dernier mot ?

Y : Méfiez-vous des imitations…
Z : On cherche des scènes. Il faut nous contacter et nous faire jouer. On est sympa et toujours arrangeants tant qu’on nous propose une bonne teuf… On autogère notre booking, tous les contacts nécessaires sont sur notre site : www.joke-joke.net
X : On est content de Lavoblaster, notre petit dernier. Il est en téléchargement gratos sur le site, on vous invite à le choper, l’écouter, le faire tourner ! Un mois après sa sortie on est à 1 000 téléchargements. Objectif 5 000 téléchargements le 31 décembre 2014 : au boulot les geeks ! Et longue vie à CQFD, « ne travaillez jamais ! » comme disait l’autre…

Le zapatisme pour les nuls

mardi 10 juin 2014 :: Permalien

Article publié dans Le Monde libertaire, 16 avril 2014.

Le zapatisme
pour les nuls

Vous connaissez mal le Mexique ? Et encore moins les luttes du Chiapas ? Conseils de bon gouvernement, l’Autre Campagne, caracoles, aguascalientes, agents communautaires n’évoquent rien ou pas grand-chose pour vous ? Pas de problème, un petit guide pratique nous plonge dans la vie des communautés indigènes de cette région. Avec Tout pour tous !, notre camarade Guillaume Goutte nous décrit parfaitement « l’expérience zapatiste, alternative concrète au capitalisme » (sous-titre de son opuscule), en nous résumant l’histoire de l’EZLN. Nous sommes loin des postures insurectionnalistes que l’on peut constater dans nos sociétés occidentales, surtout en France, mais plus proches de modes de fonctionnement libertaires authentiques.

EZLN : Armée zapatiste de libération nationale. Il fut un temps où ce sigle rebutait un peu dans nos milieux. Armée, libération nationale, des mots à connotation plutôt marxiste-léniniste, et de fait les racines de l’EZLN plongeaient dans cette idéologie. Avec le développement très rapide du nombre de ses membres, et au contact des communautés indigènes, les mauvaises habitudes du marxisme-léninisme se sont perdues pour être remplacées par une dynamique bien plus libertaire. À la fin des années 1980, l’EZLN a cessé de se prendre pour l’avant-garde éclairée et s’est mise à « apprendre des indigènes et à les écouter » en se diluant en quelque sorte dans les communautés de ces derniers, devenant une force armée au service du mouvement revendicatif des Indiens, ce qui n’est pas sans nous rappeler une certaine Makhnovtchina.

Au long des 96 pages de Tout pour tous !, l’auteur nous fait l’historique de l’EZLN et nous décrit les rouages de cette expérience en rupture avec le capitalisme et l’État ; récupération de leurs terres non exploitées par les propriétaires ou le gouvernement (comme en Andalousie pendant la Révolution espagnole), possession individuelle et collective, consultations régulières des communautés, rotation des mandatés, visibilité des femmes dans les différents organes afin d’en finir avec le patriarcat, autre justice, préoccupation pour l’éducation et la santé pour tous, horizontalité, autonomie… autant de thèmes et de pratiques rejoignant sur bien des points le chemin menant à un fédéralisme libertaire. Le constat est évident : pour l’EZLN, cette armée commandée par des civils, il s’agit moins de vaincre que de convaincre.

Au-delà des passe-montagnes popularisés par les médias, l’auteur nous expose dans ce précis de démocratie directe les réalisations concrètes de ces Indiens qui ont su relever la tête, s’opposer au capitalisme et qui expérimentent au quotidien un autre modèle de société. Ouvrage indispensable donc, publié par Libertalia (maison d’édition d’enfer dont on trouve de nombreux titres dans notre librairie du Monde libertaire). Grandes idées, petit prix : 8 euros et petit format qui tient dans la poche et dont le contenu devrait largement en déborder et intéresser quiconque est épris de liberté et d’égalité.

Delabiche