Le blog des éditions Libertalia

Charles Martel et labataille de Poitiers, dans Panorama des idées

mardi 8 décembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension publiée dans Panorama des idées, n°6, décembre-février 2016.

« J’essuie Charles Martel. »

La bataille de Poitiers qui opposa en 732 les Francs de Charles Martel et les troupes du gouverneur d’al-Andalus Abd al-Rahmân est devenue l’objet d’un enjeu mémoriel pour l’extrême droite, que deux historiens démontent avec bonheur.

« Je suis Charlie Martel ! » Le 8 janvier dernier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo, ce slogan étrange résonnait à contretemps de l’ambiance d’unité au sein d’un peuple qui clamait l’unisson « Je suis Charlie ». Ce détournement vicieux venait du compte Facebook du mouvement d’extrême droite Génération identitaire. Jean-Marie Le Pen lui-même avait malicieusement adopté le slogan, rajoutant « si vous voyez ce que je veux dire ». Mais que venait faire Charles Martel dans cette galère ? Simplement conforter dans le discours frontiste l’idée selon laquelle les musulmans vivant en France n’étaient que les lointains héritiers des troupes d’Abd al-Rahmân, battues à Poitiers en 732 par Charles Martel !
Dans un essai éclairant, Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire, deux historiens William Blanc, Christophe Naudin se sont intéressés au destin de Charles Martel dans notre roman national. Pourquoi la bataille de Poitiers, opposant les Francs et les troupes du gouverneur d’al-Andalus Abd al-Rahmân, est-elle soudainement devenue un « enjeu de mémoire », sinon un mythe identitaire ? Déjà auteurs d’un livre remarqué sur les instrumentalisations politiques de notre histoire par des historiens tendancieux, Les Historiens de garde (Inculte, 2013), les auteurs expliquent clairement que la bataille de Poitiers reste un événement mineur de notre histoire, tout en notant qu’il « ne doit sa survie mémorielle qu’à l’utilisation qui en a été faite, depuis les années 1880, par l’extrême droite et le courant nationaliste ». Charles Martel, symbole de l’histoire massacrée, symbole de la Chrétienté résistant aux assauts de l’Islam : la couverture de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le 5 décembre 2013, en fut un indice saisissant.
Le souvenir de Charles Martel s’est en réalité politiquement construit depuis une quinzaine d’années seulement, même si dès le milieu des années 1970, une partie de l’extrême droite utilisa déjà la figure de Charles Martel comme symbole de la lutte contre la population immigrée, sous l’impulsion des thèses d’idéologues comme François Duprat ou Guillaume Faye. Le début des années 2000 fut le moment de basculement du discours d’extrême droite sur la question de l’Islam. Outre l’impact de l’essai de Samuel Huntington, Le Choc des civilisations (1996), tout change avec la guerre du Kosovo en 1999, qui voit les États-Unis prendre fait et cause pour les populations albanophones et musulmanes de l’ex-Yougoslavie. « Pour beaucoup de néodroitiers, c’est un signe que l’Amérique s’allie avec l’Islam pour déstabiliser l’Europe. » Le 11 septembre 2001 et la parution du livre d’Oriana Fallaci en 2004, La Force et la Raison, nourrissent parmi d’autres événements un discours islamophobe de plus en plus décomplexé. C’est dans ce contexte nouveau que le souvenir de Charles Martel est alors réactivé. Pour l’historien de garde Dimitri Casali, déjà dégommé dans leur précédent livre, Charles Martel aurait même été « gommé des programmes et des manuels pour complaire aux élèves musulmans » ! Dans le même esprit délirant, Lorànt Deutsch assimile, dans son best-seller Hexagone, la bataille de Poitiers à une invasion qu’il compare à un choc des civilisations, tout en accusant certains historiens de nier cette réalité pour complaire à l’opinion. Quant au groupe Génération identitaire, il affirme clairement son objectif : « Remémorer à nos compatriotes la bataille de 732 et la figure de Charles Martel alors que l’on voudrait de plus en plus en effacer le souvenir pour mieux falsifier nos mémoires et faciliter ainsi le remplacement en cours. » Le fameux « grand remplacement » théorisé par l’écrivain Renaud Camus en 2010 s’impose donc comme le cadre idéologique au sein duquel la figure de Charles Martel peut à nouveau être instrumentalisée. La France devrait ainsi, selon ces histrions islamophobes, saluer la mémoire de notre Charles Martel et faire de Poitiers le lieu symbolique d’une résistance culturelle.
Ce que rappellent pourtant Blanc et Naudin, c’est que la bataille de Poitiers n’est pas, historiquement, le choc que nombre d’auteurs ont imaginé. Les grandes figures de l’enseignement de l’histoire sous la IIIe République – Jules Michelet et Ernest Lavisse – ne consacrèrent que peu d’attention à l’événement. Dans son Histoire de France, Michelet minimise la bataille et remarque que la grande affaire militaire du règne de Charlemagne ne concerne pas les Sarrasins mais les peuples germaniques. Le manuel Lavisse ne consacre pas même une ligne à la bataille.
Les seuls moments dans l’histoire de France où Charles Martel se distingue comme figure historique correspondent à des moments de poussée patriotique et religieuse. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la figure de Martel est mobilisée par « les partisans de l’absolutisme qui font de son règne un moment d’affirmation d’un pouvoir central fort ». Et surtout, l’écrivain Chateaubriand, attaché à sa défense acharnée du Moyen Âge occidental et du génie du christianisme, dépeint la bataille de Poitiers comme un affrontement pour empêcher l’esclavage du genre humain !
À part ces poussées mémorielles, le souvenir de la bataille de Poitiers est resté flou, à la mesure de son impact limité sur notre histoire, contrairement à ce que tous les idéologues d’extrême droite voudraient faire croire aux élèves de France en leur martelant l’importance de Martel. De ce point de vue, l’essai de William Blanc et Christophe Naudin apporte une preuve éclatante de la manière dont l’histoire s’écrit et se réécrit sans cesse, de l’écart ténu qui subsiste, et parfois s’efface, entre le récit historique et la propagande politique.

JMD

Des hommes et des bagnes, dans L’Histoire

mardi 8 décembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans L’Histoire (décembre 2015).

Les ouvrages de médecins militaires affectés au bagne coloniaux constituent une source d’information exceptionnelle sur le siècle d’histoire pénale qui toucha la Guyane de 1852 à 1953 et, pour un temps moindre, la Nouvelle-Calédonie. Hors les archives, peu d’entre eux (Albert Clarac, Norbert Heyriès, Louis Rousseau) ont laissé des textes donnant lieu à publication. C’est dire l’importance du témoignage du Dr Léon Collin, présent en Guyane et en Nouvelle-Calédonie entre 1906 et 1913. Manuscrits et photographies, retrouvés par son petit-fils, sont à l’origine de cet ouvrage dense, riche de 120 clichés, qui conte le destin de condamnés ayant défrayé les chroniques des cours d’assises et partant pour leur dernier exil. Le livre illustre ce moment où la Guyane devient la seule terre de bagne avec ses convois de condamnés se poursuivant jusqu’en 1938 tandis que l’archipel calédonien ne reçoit plus de nouvel apport à partir de 1897, date de fermeture du « robinet d’eau sale » selon l’expression du gouverneur Paul Feillet.

Jojo le pirate partage le butin, dans CQFD

mardi 8 décembre 2015 :: Permalien

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CQFD n° 138, décembre 2015.

Trouble dans la piraterie

Avec l’ouvrage Jojo le pirate partage le butin, Charlotte Dugrand nous entraîne dans l’univers flibustier à travers la problématique de la redistribution des richesses et d’une solidarité non hiérarchique via le prisme de l’économie informelle. Influencée par l’analyse redikerienne – qui s’inscrit elle-même dans la lignée des travaux de l’historien Christopher Hill, connus comme « history from below » en anglais ou « Geschichte von unten » en allemand – d’une piraterie sociale qui opéra au XVIIIe siècle une hypothèse égalitariste et libertaire sur les mers caribéennes, l’auteur accrédite les thèses anthropologiques du don et du contre-don, ici de type agonistique. Le récit s’affranchit également des divisions de genre et d’espèce. Pourtant, lorsqu’il s’exclame : « Tu dois apprendre à partager, Cocotte ! », le rôle de Jojo le pirate reste à interroger dans une perspective de domination genrée, même si par ailleurs il bouge de façon concomitante les lignes de la discrimination validiste. Au final, on peut problématiser avec Judith Butler, à savoir si « la déconstruction du cadre binaire dénaturalisé est liée à la contingence normative d’une définition du genre produite involontairement par le pouvoir » ? À partir de 3 ans.
PS : les illustrations de Bruno Bartkowiak sont drôlement chouettes !

M.L.

45 révolutions par minute, dans Les Inrocks

mardi 8 décembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Les Inrockuptibles, 25 novembre 2015.

Un grand petit groupe un peu oublié du rock alternatif français (Nuclear Device, donc) raconté sous forme d’entretiens avec ses membres et son entourage, avec un million de détails, de documents et d’illustrations – et cette petite histoire devient très grande. De la magie du récit, de la mise en page, du graphisme et, pour résumer, du travail bien fait. Vous pensiez pouvoir vivre sans connaître Nuclear Device ? Ce livre vous fera changer d’avis.

Services publics à crédit, dans Politis

mardi 8 décembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

 Politis, 13 novembre 2015

Après avoir publié une enquête sur la multinationale Vinci (Les Prédateurs du béton, Libertalia, 2013), Nicolas de La Casinière s’est plongé dans les pièges des partenariats public-privé (PPP) à la française, nés en 2004 après un travail acharné de lobbying poussant à remodeler la réglementation en y intégrant les exigences du capitalisme financier. Les volumineux contrats rédigés par les opérateurs privés instaurent une dissymétrie flagrante, contredisant l’idée d’un partenariat. Et, invoquant le secret des affaires et la protection d’éléments confidentiels au titre de la concurrence, l’opacité est la règle, au détriment du citoyen. Le livre fourmille d’exemples des effets catastrophiques de ces partenariats, souvent dénoncés par la Cour des comptes.