Le blog des éditions Libertalia

Petite histoire du gaz lacrymogène dans Charlie Hebdo

mercredi 11 décembre 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Charlie Hebdo (4 décembre 2019).

Sous prétexte qu’elles ne tuent pas, les lacrymos sont utilisées à tout bout de champ. Il s’agit pourtant d’armes chimiques. En tant que telles, elles sont interdites en temps de guerre…, mais autorisées contre les civils en tant de paix. Des moyens légaux et très commodes pour restreindre la liberté de manifester.

Aujourd’hui, pas besoin d’être un black block cagoulé et lanceur de pavé pour se prendre des lacrymos dans la gueule. Femmes, enfants, retraités, tout le monde y a droit. (Si vous n’avez jamais expérimenté les lacrymos, imaginez qu’on vous verse du poivre dans les yeux pendant qu’on vous appuie fortement sur la poitrine.)
D’une certaine façon, on pourrait dire que les lacrymos sont un progrès. Avant l’avènement de cette technologie, les policiers tiraient allégrement à balles réelles sur les manifestants. Cela ne fait pas si longtemps que la pratique a cessé (en France, les derniers tirs sur la foule datent de 1961 en métropole et 1974 en Martinique).

Le problème, c’est que cette humanisation policière s’est vite transformée en escalade répressive. Et c’est facile. Il suffit de quelques jets de canettes de bière (vides en plus, comme si cela risquait d’égratigner quelque peu les Robocop) pour que les CRS arrosent la foule à coups de centaines de lacrymos : parfait pour dissuader les plus pacifiques de défiler. Au pire, on infiltre – un grand classique – deux ou trois flics parmi les black blocks, et le tour est joué.
Or l’usage des lacrymos entre théoriquement dans le cadre de l’article R.434-18 du Code de la sécurité intérieure, qui a le mérite d’être très clair : « Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. »
Sauf que le déluge de lacrymos déversé sur les « gilets jaunes » est tout sauf nécessaire et proportionné.
Le 1er décembre 2018, 15 000 grenades ont été balancées sur Paris en quelques heures. Elles ont été lancées sur des enfants, des femmes avec des poussettes, des handicapés en fauteuil roulant, des manifestants pacifiquement assis et le tout dans des rues étroites où les paisibles badauds crachaient leurs poumons sans pouvoir s’enfuir (ou alors au risque de dangereuses bousculades).
Les gaz lacrymos ne sont pas seulement défensifs, ils sont le fer de lance d’une stratégie offensive. Sans même attendre de recevoir les premiers projectiles, les flics éjaculent leurs grenades pour bloquer et disloquer les cortèges. Du point de vue policier, on comprend la logique. Cela permet de faire un tri entre les manifestants « pacifiques » – qui se barrent au premier gazage – et les « irréductibles », ainsi plus faciles à isoler et à arrêter.
C’est un peu l’inverse de ce que, dans Mythologies, Roland Barthes disait à propos des publicités pour détergents : « La saleté n’est plus arrachée de la surface, elle est expulsée de ses loges les plus secrètes. » Avec les lacrymos, la « saleté » est accrochée avant d’être « traitée ».
À ça près que le tri est très discutable, comme le relevait le rapporteur spécial des Nations unies dans un rapport de 2012 : « Le recours au gaz lacrymogène ne permet pas de faire de distinction entre les manifestants et les tiers, observateurs ou passants par exemple, ni entre les personnes en bonne santé et celles dont l’état de santé est défaillant. » Cela rejoint l’analyse de la chercheuse anglaise en sciences sociales Anna Feigenbaum, auteure de Petite histoire du gaz lacrymogène [1]. Elle estime que « son usage vise à semer délibérément la confusion dans une foule et peut ainsi la “ridiculiser” et l’affaiblir par la suffocation et la nausée » et qu’à ce titre « le lacrymo peut être trainé devant les tribunaux au nom de la liberté de parole et d’assemblée ».
Le pire est qu’il est interdit de se protéger des lacrymos.
Si vous venez en manif avec un masque on considère que vous avez l’intention d’être violent. Or c’est justement l’inverse : comme les flics arrosent tout le monde indifféremment, on peut se faire gazer sans être un casseur. Et dès lors, ce n’est que pure logique, se protéger du gazage ne signifie pas qu’on est casseur. C’est juste de la légitime défense de la part de quelqu’un qui n’a rien fait de répréhensible.
En plus, même du point de vue du maintien de l’ordre, pas sûr que les lacrymos soient vraiment utiles. Plusieurs études de psychologie sociale ont montré qu’ils avaient plutôt tendance à exciter les manifestants. Un rapport à paraître relate une enquête menée par le biologiste et enseignant Alexander Samuel sur des « gilets jaunes » gazés ou non. Eh bien, les premiers « exprimaient 20% de plus de perception d’humiliation et de honte à cause du comportement des forces de l’ordre », ce qui, poursuit-il, « pourrait être un facteur aggravant des violences de “gilets jaunes” ».
On ne va pas regretter les tirs à balles réelles dans les foules. Les lacrymos sont peut-être plus démocratiques que les mitrailleuses, mais leur banalisation abusive relativise quelque peu ce côté démocratique. Et puis, si les flics tiennent tant à gazer les foules pour ne pas perdre la main, suggérons-leur de balancer du protoxyde d’azote… Autrement dit, du gaz hilarant. Au moins il y aurait plus de monde dans les manifs.

Antonio Fischetti

[1Un ouvrage très bien documenté, qui vient de sortir aux éditions Libertalia.

Fille à pédés dans Politis

mercredi 11 décembre 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Politis, 5 décembre 2019.

« Une enfance bien dégenrée ». Avec ce premier chapitre, Lola Miesseroff décrit sa famille, pauvre mais joyeuse, libérée et libertaire, où les parents tiennent un club de naturisme fréquenté par une série de personnages socialement et sexuellement en marge. Dans un récit passionnant et picaresque, on découvre une part plus personnelle de cette « fille à pédés » fréquentant le Front homosexuel d’action révolutionnaire et les boîtes gays et lesbiennes de San Francisco ou Paris, vagabondant avec bonheur dans un milieu interlope où liberté, amour et jouissance sont des armes politiques.

Olivier Doubre

La Rage contre le règne de l’argent dans CQFD

mercredi 11 décembre 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans CQFD (décembre 2019).

Cap sur l’utopie

« Détruisez le règne de l’argent ! Communisez ! » (John Holloway)

Catastrophe pour le vieux monde ignoble : le Holloway nouveau est arrivé. Il s’intitule éloquemment La Rage contre le règne de l’argent et est traduit en français balèzement par les éditions Libertalia comme les deux géniaux brûlots précédents de l’agitateur irlandais, Crack Capitalism, 33 thèses contre le capital et Lire la première phrase du Capital qui conviaient eux aussi à la création d’une « nouvelle grammaire » de la révolte épicée.

Brandissant l’appel à la révolution immédiate d’Étienne de La Boétie en 1574 (« Soyez résolus de ne servir plus et vous serez libres aussitôt »), John Holloway met en avant que si c’est nous qui faisons le capitalisme par notre lâche soumission à sa logique, nous pouvons tout aussi bien le défaire. Nous ne voulons plus du capitalisme ? Cessons tout de suite de le fabriquer. Comment ? En envoyant aux pelotes les vieilles stratégies de luttes avec lesquelles on part toujours perdant puisque, par exemple, un militant ne fait qu’attendre cafardeusement le Grand Soir dans un parti hiérarchisé « reproduisant lui-même ce qu’on veut détruire » (l’esprit de discipline, l’abnégation, l’adoption d’« agendas fixés par le capital »).

Finis les sacrifices et les papillons noirs ! s’écrie Holloway. C’est sur-le-champ qu’on peut niquer le capitalisme, l’autorité, le travail, l’argent, « le temps de l’horloge » en leur disant « Non ! » Chaque fois qu’on leur désobéit, qu’on retrouve un peu du pouvoir créatif enfoui au fin fond de nous, qu’on agit comme ça nous chante, qu’on construit des espaces ou des moments de rébellion éclair, qu’on prend soi-même l’initiative advienne que pourra, on fracture un tout petit peu ou beaucoup plus que ça, crac crac, les structures mêmes de la domination. C’est qu’« à mesure que nous faisons les choses d’une manière différente, contre et au-delà du travail, nous commençons à voir que le capitalisme est plein de brèches. » Des brèches, presque invisibles parfois, qui constituent la vraie « crise du système » et qu’il convient d’élargir, de multiplier, de rendre mobiles, de faire entrer en résonance et en confluence pour qu’elles nous entraînent vers un « possible changement radical », vers un « monde de nombreux mondes », comme disent les zapatistes. Les zapatistes dans un des bastions desquels, à l’université autonome de Puebla, au Mexique, John Holloway enseigne depuis 1991 l’histoire de l’insoumission.

Tout ceci n’est bien sûr que le pitch d’un trio de manifestes contre la résignation d’une prodigieuse richesse libératrice constellés d’exemples roboratifs d’occupations sauvages, de réinventions surprises, de sabotages corsés, d’expérimentations hardies, de mutineries contagieuses, de détournements inattendus, d’anti-spectacles transgressifs, d’insolences jouissives, d’ouvertures galvanisantes sur l’ailleurs.

« Le monde que nous voulons créer brise la séparation instrumentale entre la fin et les moyens : les moyens sont la fin. »

Noël Godin

L’Abolition de la prison dans Le Monde libertaire

mercredi 11 décembre 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Monde libertaire.

Les bonnes raisons de lire le dernier livre de Jacques Lesage de La Haye L’Abolition de la prison sont multiples. Il en est pourtant une que je tiens personnellement pour majeure. Elle contribue à nous déniaiser, à nous libérer des lieux communs, des idées préconçues et du lavage de cerveaux savamment organisé par celles et ceux qui s’y entendent à merveille pour gouverner les esprits. Donc, au passage, pour empêcher de réfléchir sereinement et sans a priori aux conditions de vie d’une grande partie des citoyens et, notamment, des citoyens incarcérés dans les geôles républicaines françaises, incessamment dénoncées par l’Union Européenne pour les conditions de détention qui avoisinent encore trop souvent celles que l’on rencontre le plus souvent dans des pays aux convictions humanitaires pour le moins douteuses.

Si encore la prison se montrait efficace en matière d’éradication de la délinquance et de la criminalité, nous pourrions peut-être, en fermant les yeux (au prix d’une entorse à l’humanité la plus élémentaire) lui dénicher finalement une dimension sociale favorable à la vie en collectivité. Hélas pour la collectivité et l’apaisement des conflits d’intérêt entre les individus, qui se révèlent le plus souvent à l’origine des actes délictueux, il n’en est strictement rien. Et Jacques Lesage de La Haye s’attelle avec la sagesse et l’intelligence d’un homme qui connaît ce sujet par cœur, ne serait-ce que pour avoir lui-même goûté aux cachots de la République et pour animer depuis plusieurs années une émission anti-carcérale hebdomadaires Ras les Murs tous les mercredi soir sur Radio Libertaire (89.4 FM).

Cette expérience humaine lui permet de nous éclairer avec intelligence sur les véritables raisons d’être en prison. Pas plus que les galères, la roue, le bagne, voire la guillotine, la prison n’aboutit aux effets escomptés par celles et ceux qui songent, bien au contraire, à en augmenter sempiternellement le nombre, quitte à continuer à tromper les citoyens abusés par une rhétorique répressive et illusoire, que Jacques Lesage de La Haye dénonce avec la justesse et la liberté de ton qui conviennent à de tels errements sociaux.

En fait, l’aberrante et inutile politique carcérale dénoncée avec détermination par l’auteur rappelle en de nombreux points la devise ô combien stupide (certainement concoctée par des individus tout aussi inconséquents que les tenants du tout carcéral). À savoir : « si nous voulons la paix, il faut préparer la guerre. » Résultat, nous n’avons jamais cessé de faire autant la guerre. Construisons donc de plus en plus de prisons et nous aurons de plus en plus de détenus.

À tout dire, il serait souhaitable et fructueux pour la société que les responsables de notre étrange République éprouvent au plus vite le besoin de s’inspirer de cet ouvrage salutaire à plus d’un titre.

Lisez donc ce livre. Il ne vaut pas très cher mais il vaut le coup !

Serge Livrozet

La Joie du dehors dans Le Monde libertaire

mercredi 11 décembre 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Monde libertaire (octobre 2019).

Pédagogie sociale en acte !

Le livre de Guillaume Sabin La Joie du dehors s’ouvre sur un constat : l’école est un lieu d’enfermement visant à la conformité des enfants et des adultes à venir. Lieu clos y compris pour les écoles dites alternatives où les espaces pour apprendre sont aussi fermés afin de protéger des effluves d’un monde extérieur souvent vécu comme hostile. Ainsi pédagogies traditionnelles et « nouvelles », même si l’auteur ne confond pas les intentions des unes et des autres, doivent se dérouler dans un milieu ad hoc, dans un lieu « à part » afin d’atteindre leurs objectifs. Au-delà du constat, Guillaume Sabin précise que le concept d’éducation sociale serait dû à Bernard Charlot qui en 1976 dans son livre La Mystification pédagogique en aurait défini les contours. Il s’agit d’éduquer et de s’éduquer a priori comme je l’ai pratiqué moi-même il y a quelques années dans un contexte ouvert, celui d’une « école sans lieu et sans contenu » et où toutes les rencontres matérielles et humaines deviennent source et occasion d’apprentissage. En d’autres termes, où « toutes les personnes croisées deviennent co-éducateurs et tous les espaces sociaux fréquentés des lieux possibles d’éducation » (p. 22). Mais elle remonte aussi pour une large part aux pratiques mises en place par Célestin Freinet souhaitant développer « une école de la vie » (p. 43) où les enfants eux-mêmes « décident de participer ou non, ce sont eux qui sont responsables de la gestion de leur temps » (p. 35) et qui mènent l’enquête et la quête des savoirs. Au demeurant pour la rendre possible il est essentiel, c’est le b.a.-ba pour les praticiens de la pédagogie sociale, de « connaître le territoire et ses ressources » (p. 34). La pédagogie sociale, toujours en petit groupe de 3 ou 4, vise à « rendre accessible des lieux quotidiens mais [généralement] non autorisés » (p. 70), à rencontrer et à se confronter à l’altérité afin d’en faire des occasions d’apprentissage.

Ce livre est le résultat d’un travail collectif avec le réseau des Groupes de pédagogie et d’animation sociale (GPAS) constitué en Bretagne tant en ville qu’en territoires ruraux. Il s’agit donc d’un livre décrivant des pratiques collectives réelles visant à changer le faire éducatif, de sortir des murs des écoles casernes et des programmes. Au-delà cette pédagogie s’inscrit aussi et surtout dans la compréhension du « social » et de sa transformation comme le préconisait Paolo Freire et avant lui les pédagogues libertaires. Elle incite à sortir de la logique et des impératifs de la culture « légitime » et dominante, à renoncer ou à rompre avec certains habitus, à interroger les traits culturels acquis en société sans regard critique. Plus encore elle tend à faire de tous les échanges culturels un acte de culture légitime au sens où il est produit dans un groupe humain. Cette pédagogie ancrée dans le réel social affirme et revendique donc suite à Freire que « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde ».

De fait, dans cet ouvrage d’inspiration collective, la pédagogie sociale est pensée et pratiquée comme une pratique d’éducation populaire dans un cadre périscolaire et associatif en lien, voire en complémentarité, avec les équipes pédagogiques des écoles ou des collèges. Il s’agit donc d’une éducation non-formelle. En cela, les pratiques des GPAS se distinguent de la pédagogie sociale revendiquée par d’autres courants et dans d’autres régions et dont les praticiens souhaitent réduire les liens et les contraintes liés au système traditionnel d’éducation et qui se réclament d’une école de la rue.

On peut regretter toutefois que des expérimentations aussi riches soient aussi peu connues et que pour les faire vivre les pédagogues impliqués relèvent le plus souvent de contrats aidés, donc précaires, ou de différentes formes de bénévolat (p. 26). Au reste un livre qui donne à réfléchir sur les pratiques et les effets de l’éducation formelle et traditionnelle qui ne vise qu’à conformer. Les « pédagogues de rue » (p. 119), ne se veulent ni maîtres d’école, ni animateurs, ni éducateurs et refusent toute logique programmatique et tout objectif préalablement défini, comme à toute fonction « orthopédique » ou à toute « prescription de bon comportement » (p. 119). Ils occupent simplement les espaces vacants comme opportunité d’apprentissage, ou pas, et développent des formes de spontanéisme éducatif où l’incertitude a toute sa place. Ces « passeurs émancipés » (p. 144) qui apprennent à disparaître et à laisser la parole, œuvrent à ouvrir simplement et le plus largement le champ des possibles éducatifs sans volonté de maîtriser toutes les situations d’apprentissage. Ils veillent à lâcher prise et renoncent à « la toute-puissance » (p. 155) du maître des écoles.

Reste la question du qui propose cette démarche de pédagogie sociale ? Qui prend la décision de la mettre en place ? Les adultes et/ou enfants ? Certes, il s’agit bien d’éducation non-formelle mais quelle place, quel espace d’initiative et de proposition d’activités formulés par les enfants eux-mêmes ? Constat, à relativiser toutefois, d’un pédagogue de rue qui déclare : « dans nos pratiques on apporte des savoirs mais on ne part pas des enfants » (p. 206). Le pédagogue social semble rester au centre des propositions car toujours tenu d’aller vers les « apprenants » potentiels. Ils ont pour mission d’être des catalyseurs, des déclencheurs d’initiatives productrices de savoirs de toute nature. Une interrogation demeure : qu’apprend-on dans ce contact avec la ville ou la campagne et leurs habitants ? En quoi la découverte de l’environnement et le trajet dans ces espaces sont-ils apprenants et émancipateurs ? En quoi ces savoirs sont-ils complémentaires, différents, contradictoires avec le savoir « légitime » et socialement prescrit ? L’auteur convient que les savoirs du dehors sont hétéroclites (p. 167) et construite par autour de l’expérience, qu’ils ont pour but avant tout de faire naître le goût des autres, la curiosité et « l’accès à la variété du monde social et à l’élargissement des espaces vécus (p. 192) ». Enfin, l’auteur et le collectif qu’il représente exerce un regard critique sur leurs propres pratiques et du même coup sur tous les dispositifs éducatifs qui se veulent émancipateurs. Espaces qui ont souvent une « disposition pour les certitudes » (p. 227) au même titre que les processus les plus autoritaires, savoir ce qui est bon pour l’autre. Il rappelle à dessein qu’il ne peut « y avoir d’émancipation décidée de l’extérieur [… que l’] on n’émancipe jamais, on s’émancipe [… et qu’] on ne peut s’émanciper seul » (pp. 230, 235, 236).

Sans renoncer pour autant aux savoirs fondamentaux, ces actions collectives d’éducation sociale à la marge, forme d’école buissonnière, se révèlent largement compatibles avec les aspirations et les pratiques des pédagogues libertaires qui eux aussi veillèrent toujours à multiplier les échanges, les rencontres, les lieux et les expériences comme autant d’occasion d’apprendre et de s’apprendre. Comme ils mirent tout en œuvre pour ne pas laisser l’éducation aux seules volontés et aux seules mains des professionnels de l’éducation et qu’ils militèrent toujours pour une « école » ouverte au monde.

Hugues Lenoir