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jeudi 10 novembre 2016 :: Permalien
Le Roi Arthur, sur le site d’Histoire et Images médiévales, 3 novembre 2016.
Aujourd’hui paraît aux éditions Libertalia le dernier ouvrage de William Blanc, Le Roi Arthur, un mythe contemporain, qui fait toute la lumière sur la représentation du mythe arthurien dans la culture contemporaine : cinéma, romans, musique, bande dessinée ou jeux vidéo. Vous verrez grâce à ce livre que, du Moyen Âge à nos jours, d’Henri II à Kennedy, de Thomas Malory à George R.R Martin, des troubadours médiévaux au rappeur Jay Z, en passant par Mark Twain, George Romero, John Boorman, ou Terry Gilliam, Arthur (et ses chevaliers) est partout, impérissable, et loin d’être figé dans son époque d’origine (si tant est qu’il en est une !), évoluant au gré des époques et des sociétés, qu’il transcende.
Rares sont ceux qui, plus ou moins directement influencés ou imprégnés par la culture occidentale (si tant est que l’on puisse la caractériser), rares sont ceux donc, qui n’ont jamais entendu parler du roi Arthur, des légendaires chevaliers de la Table Ronde, de la quête du Graal. Camelot ? Excalibur ? Ces noms évoquent toujours, à tout le moins, un petit quelque chose, comme une souvenance d’aventure, d’épopée. Le roi Arthur doit être plus familier pour beaucoup de jeunes et moins jeunes que des personnalités majeures de notre siècle ou du précédent.
Mais pourquoi cela ? La connaissance de la littérature ou de la culture médiévale est-elle si répandue, si précise, que chacun ait retenu les histoires colportées dans des chroniques du IXe siècle ? Des romans de chevalerie du XIIe ou du XIIIe siècle ? De leurs continuations des XIVe et XVe siècles ? Non. D’autres héros, d’autres rois légendaires ou bien réels ont disparu de l’inconscient collectif. Regardez tous ces héros chantés par les druides celtiques, les scaldes nordiques, ou plus récents, des Guillaume d’Orange, Girart de Roussillon, des preux ayant combattu en croisade… Ils ne sont pas moins « médiévaux », et pourtant, qu’en connaît-on ? Pas grand-chose. Devenir une légende, ce n’est pas donné à tout le monde. Même Clovis et Charlemagne, par chez nous, récoltent nettement moins de suffrages dans la culture populaire (à vrai dire, presque aucun).
Si nous connaissons si bien Arthur et ses chevaliers, c’est que ces personnages imprègnent encore notre quotidien. Croisés au détour d’un roman, d’un film, d’une bande dessinée. Omniprésents dans l’imaginaire collectif, parfois instrumentalisés, rêvés, déformés. Après un passage à vide à l’époque moderne (XVIIe et XVIIIe siècles), une « éclipse » arthurienne selon les termes même de l’auteur, Arthur et ses compagnons ont repris du poil de la bête, le mythe a été revivifié, réinventé, réadapté à nos visions contemporaines. La légende arthurienne est devenue un « mythe contemporain », et c’est ce que démontre William Blanc dans son ouvrage.
Passé un rappel très documenté sur le personnage d’Arthur, sa « naissance » historiographique et littéraire pourrait-on dire, mais aussi les premières appropriations politiques qui en sont faites (ainsi apprendrez-vous que Henri II Plantagenêt, au XIIe siècle, s’est déjà rêvé successeur du roi Arthur, déjà légendaire. En France, Chrétien de Troyes n’avait même pas commencé à rédiger son œuvre), on en vient à la rédaction des romans « arthuriens », Chrétien de Troyes, Robert de Boron, etc. Romans qui offrent une vision idéalisée de la société chevaleresque médiévale, utopique même (renvoyons, pour approfondir ces thématiques, vers le récent ouvrage d’Edina Bozoky, Les Secrets du Graal. Des Chevaliers parfaits.
Dès la fin du Moyen Âge, les gens se couvrent même de patronymes arthuriens et célèbrent les héros dans des tournois, « revival » qui n’est pas sans lien avec la revivification de l’idéal chevaleresque des XIVe, XVe et XVIe siècles. Et c’est à cette époque que s’opère un tournant, un glissement de l’imaginaire arthurien vers la culture anglaise (avec Thomas Malory notamment).
Voici venir le XIXe siècle, et l’éclosion du romantisme et du médiévalisme. Les Walter Scott, les Victor Hugo, qui offrent une vision bien particulière du Moyen Âge, mais surtout les éditeurs, dans l’Angleterre victorienne, qui s’emparent du mythe arthurien, l’expurgent de tout détail choquant pour la bonne société : et voilà revenus les chevaliers de la Table Ronde sous un jour nouveau, avec une audience décuplée. Et de motif historique ou littéraire, le roi Arthur devient un outil, l’outil d’un programme politique et idéologique. On évoquera aussi la place des artistes dans cette transformation. L’ouvrage montre à quel point les personnages et thématiques arthuriennes n’ont cessé d’être l’objet de réflexions intenses, de débats contradictoires. On citera notamment la question de la place des femmes dans la légende arthurienne, qui fait l’objet d’un chapitre.
Puis Arthur traversa l’Atlantique pour arriver en Amérique (c’était donc ça, Avalon !?). Car c’est bien aux États-Unis que la légende va se populariser le plus, aux XIXe et XXe siècles. Mark Twain fait le premier la satire de la cour arthurienne, un débat s’engage du coup avec les défenseurs de la vision littéraire « classique » victorienne, la machine arthurienne se met en route. Chevaliers et Yankees se rencontrent nez à nez. L’œuvre de Twain elle-même rencontrera un succès considérable dans le temps.
L’intérêt et le mérite principal de cet ouvrage est de faire la lumière sur la production contemporaine arthurienne, trop longtemps délaissée, mais qui intéresse aujourd’hui toute une génération de chercheurs. Une production littéraire, cinématographique, ou encore vidéoludique foisonnante. Arthur, au XXe siècle, fut mêlé à tous les combats politiques et idéologiques (surtout américains), il apparut sur tous les supports. Support éducatif, figure moralisante. Contre le communisme, pour la démocratie et le modèle capitaliste américain, pour servir les objectifs de l’administration Kennedy, Reagan, jusqu’à Obama. Partout. De nouveaux « chevaliers » ont depuis rejoint, d’une certaine façon, la Table ronde : Prince Valiant, véritable Perceval moderne du comic créé par Hal Foster, en est un excellent exemple. Mais un exemple parmi tant d’autres. Luke Skywalker combattant le chevalier noir de l’espace, Dark Vador. Les super-héros de comics qui visitent la cour du roi Arthur. L’esthétique arthurienne affleure aussi dans les mangas, les jeux de rôle, les jeux vidéo, les séries télévisées, la musique. Très récemment, Arthur est devenu Arthas dans la saga Warcraft, et non plus le fils d’Uther, il en est le disciple, Excalibur est devenue Deuillegivre. Et des millions de joueurs parcourent son univers « virtuellement arthurien » sur Internet. Geoffroy de Monmouth, Chrétien de Troyes et consorts peuvent reposer tranquilles.
Une pluie (une « constellation » selon les mots de l’auteur) d’adaptations et d’œuvres véhiculent depuis des visions différentes de la légende arthurienne. Transfiguration de la légende dans toute la littérature heroic fantasy (Tolkien et d’autres auteurs), jusqu’au très récent Game of Thrones. Mythe arthurien adapté pour le jeune public dans le complexe Merlin l’Enchanteur de Disney, lui-même adapté du cycle du romancier T.H White, The once and future king (1938). Retour du roi Arthur « historique » dans le film d’Antoine Fuqua en 2004. Vision d’un Moyen Âge drolatique et approche transversale dans le Kaamelott d’Alexandre Astier, devenu culte en France. La série, en apparence décalée, se veut pédagogique, et est devenu depuis un objet d’études pour les médiévistes ! La boucle est bouclée.
Comme l’auteur rappelle qu’il est impossible de faire le tour, le temps d’un ouvrage, de douze siècles de production arthurienne, nous voulons dire ici qu’il est délicat de faire apprécier la teneur d’une étude si complète. Un ouvrage qui réconcilie magistralement – n’ayons pas peur de le dire – l’étude médiévale et l’étude médiévaliste, qui vont main dans la main, on l’oublie souvent. Quelle meilleure porte d’entrée que la légende arthurienne, pour traiter de la culture du Moyen Âge, dans sa complexité, sa diversité, son devenir, son héritage jusqu’à nos jours ? Quoi d’étonnant à ce que, depuis le XIXe siècle, et encore aujourd’hui, Arthur et sa « légende » se popularisent, quand l’époque médiévale, elle-même fait l’objet de toutes les attentions, de toutes les interprétations, de toutes les utilisations ?
Saluons donc la publication de ce Roi Arthur, mythe contemporain, un ouvrage minutieusement documenté, bien servi par l’éditeur (le livre est riche d’une centaine d’illustrations commentées), qui nous invite à réfléchir sur les mentalités et l’imaginaire, ceux du Moyen Âge et les nôtres, qui ne sont finalement pas si éloignés. Enfin, c’est un beau voyage que cet ouvrage, qui nous fait découvrir que le royaume de Camelot est finalement beaucoup plus grand que nous n’aurions pu l’imaginer…
Et gardons toujours à l’esprit, dorénavant, une maxime fameuse, mise en exergue au début du livre : « Camelot is a state of mind [1] ».
Frédéric Wittner
[1] Camelot est un état d’esprit – accroche du film de George Romero Knightriders… film arthurien s’il en est !