Le blog des éditions Libertalia

L’anarcho-syndicalisme et l’organisation de la classe ouvrière

vendredi 22 octobre 2010 :: Permalien

L’anarcho-syndicalisme et l’organisation de la classe ouvrière.
René Berthier. Éditions du Monde libertaire, 200 pages, 12 euros.

Durant la période qui va grosso modo de l’après 1968 à 1981, des syndicalistes libertaires membres de Force ouvrière (FO) et de la CFDT se sont rassemblés dans l’Alliance syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste (dite « Alliance syndicaliste »). Partisans de la charte d’Amiens et plus encore de la charte de Lyon (celle de la CGT-SR, 1926, qui affirme la nécessité pour le syndicalisme de se développer hors et plus encore contre les partis politiques), ils ont développé des contacts étroits avec les ouvriers d’Usinor Dunkerque, les dockers CGT de Saint-Nazaire, à la BNP en région parisienne et dans l’alimentation… Le texte présenté dans ce livre est une réédition non actualisée (notamment au niveau bibliographique) d’une brochure parue en 1976. Synthétique et didactique, elle présente en quelques dizaines de pages un aperçu historique et théorique de l’anarcho-syndicalisme tout en laissant une grande place aux documents fondateurs de ce courant. Autogestion des luttes, contrôle syndical de la production, assemblées générales souveraines, révocabilité des mandatés… si tout ceci ne vous est pas familier, cette lecture sera fructueuse. Enfin, on rappellera que depuis la première édition de ce texte, plus encore depuis une grosse dizaine d’années, une organisation anarcho-syndicaliste s’est développée en France, elle lutte pied à pied dans le public comme dans le privé et en cette période d’intense mobilisation sociale, on ne peut pas la manquer, il s’agit évidemment de la CNT…

Contribution littéraire au débat en cours sur la grève reconductible

mercredi 6 octobre 2010 :: Permalien

Contrôle des négociations par la base, assemblées générales souveraines, refus des permanents syndicaux, refus des hiérarchies salariales, délégué-e-s élu-e-s et révocables, autogestion des luttes, tels sont les principes fondamentaux du syndicalisme révolutionnaire.

Sabotage en vertu du principe « À mauvaise paye, mauvais travail », boycott, grève reconductible, blocages, occupation et piquets de grève, telles sont les armes des salarié-e-s.

En 1909, dans The Dream of Debs, Jack London, compagnon de route des révolutionnaires nord-américains du SLP et des IWW, présente une autre arme qui a maintes fois fait ses preuves : la caisse de grève.

Un siècle après, la grille de lecture reste valable. La productivité des travailleurs a démesurément augmenté pour le plus grand profit du patronat ; la répartition égalitaire des richesses est toujours une priorité.

« Nous quittâmes Union Square pour nous engager dans le quartier des théâtres, des hôtels et des grands magasins. Les rues étaient désertes. Çà et là, nous rencontrions des automobiles en panne, abandonnées sur place. Nul signe de vie, à l’exception de quelques agents de police et de soldats de garde devant les banques et les monuments publics. Une seule fois, nous fîmes halte pour lire la proclamation qu’un syndicaliste collait : “Nous avons strictement maintenu l’ordre et nous le maintiendrons jusqu’au bout. Le mouvement cessera quand nos demandes seront satisfaites, quand les patrons auront été soumis à la famine, comme nous l’avons été si souvent par le passé.”

— Ce sont les propres termes de Messener, remarqua Collins. Pour ma part, je suis tout disposé à me soumettre, mais ils ne m’en fournissent pas la moindre occasion. Je n’ai pas pris un bon repas depuis une éternité. Je me demande le goût que peut avoir la viande de cheval.

Nous nous arrêtâmes devant une autre proclamation : “Quand nous estimerons nos employeurs disposés à se soumettre, nous ouvrirons les bureaux télégraphiques et nous laisserons communiquer entre elles les associations patronales. Mais nous ne tolérerons que les dépêches ayant trait à la résolution du conflit dans la paix.”

Au-delà de Market Street, nous entrions dans le quartier ouvrier. Ici, plus de rues désertes. Les hommes du syndicat discutaient en petits groupes. Des enfants jouaient, joyeux et bien nourris, et de plantureuses ménagères bavardaient, assises au seuil de leurs portes. Tous nous jetaient des regards amusés. Des gosses couraient après nous en criant :
Eh ! M’sieur ! Ça va l’appétit ?
 »

Extrait de la page 51 du recueil Grève générale !

Les Vivants et Les Morts, le film !

vendredi 1er octobre 2010 :: Permalien

Il y a quelques années, on s’était enthousiasmé pour le diptyque de Gérard Mordillat sur la condition ouvrière. C’était avant qu’on ne croise les Conti sur les routes. Mordillat a adapté son grand roman prolétarien et ça passe à partir de mercredi 6 octobre sur France 2 : à ne rater sous aucun prétexte ! Pour vous donner envie d’aller puiser dans cette œuvre, voici une recension parue dans Barricata 18.

Les Vivants et les Morts. Notre part des ténèbres.
Gérard Mordillat. Calmann-Levy/ Le Livre de poche.

« Rudi court les yeux brûlants. Il court avec les morts. Ceux dont Maurice, son père adoptif, a peuplé son adolescence. Il fallait qu’il sache, qu’il n’oublie jamais : ni les communards de la Semaine sanglante, ni les fusillés pour l’exemple de 17, les mutins de la mer Noire, les grévistes de 36, les volontaires de la guerre d’Espagne, les FTP-MOI, Manouchian et les autres qui réclament justice depuis l’origine du monde. Ils sont là, dans ses mains, dans ses jambes, dans le bruit de ses semelles sur le bitume, l’encourageant de leurs voix inaudibles : “El pueblo unido, jamás será vencido !” »

La Kos, une usine de fibre plastique, ferme. Rudi, Lorquin, Hachemi, Dallas, Varda et les autres ne veulent pas se laisser faire. Ils refusent de courber l’échine, de voir leur vie détruite du jour au lendemain. Alors ils vont lutter, faire grève, occuper l’usine. Ils veulent montrer qu’ils sont là, bien vivants, déterminés jusqu’à leur dernier souffle. Style incisif, écriture nerveuse, concise, parfois orale et très crue, chapitres très courts, Mordillat nous réconcilie avec la lecture des pavés de plus 800 pages. Les Vivants et les Morts se lit presque d’une traite. Et fait l’effet d’un coup de poing reçu en pleine figure. Même écriture et même début dans Notre part des ténèbres. Là aussi, tout part de la fermeture d’une boîte, Mondial Laser, une entreprise de pointe vendue à l’Inde par un fonds spéculatif américain. Le soir du 31 décembre, les actionnaires du fonds et quelques stars fêtent une année de bénéfices records à bord d’un paquebot de luxe, le Nausicaa. Ambiance champagne, caviar et cocktails. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que parmi le personnel de bord, la sécurité, l’orchestre, les invités se cachent des salariés de Mondial Laser, et qu’ils ont pris le contrôle du navire… La lutte des classes, l’autogestion et l’action directe en roman, c’est rare. Dans les deux ouvrages, Mordillat montre les mécanismes économiques, sociaux et politiques qui poussent des salariés à faire grève et à risquer leur vie pour leur dignité. Pas de leçons théoriques, pas de longues digressions, Mordillat, c’est du vécu, du brut. Une littérature véritablement engagée comme on aimerait en voir plus souvent par ces temps de casse des droits syndicaux, de répression à tout-va et de criminalisation du mouvement social. « Aujourd’hui, les enfants naissent la peur au ventre et grandissent tremblants et résignés. Ce monde d’oubli des luttes, ce monde d’asservissement et d’acceptation, ne sera jamais le mien. Personne ne me fera croire qu’il est le seul monde possible, que l’histoire est terminée, que le marché scelle le stade ultime de l’organisation humaine. Peut-être suffit-il de dix hommes décidés sur un navire de croisière pour que la peur change de camp ? »

Nil

D’Alger à Mai 68, mes années de révolution.

dimanche 26 septembre 2010 :: Permalien

D’Alger à Mai 68, mes années de révolution.
François Cerutti. Spartacus, 170 pages, 13 euros.

D’une façon générale, il faut toujours être attentif aux deux livres annuels publiés par les éditions Spartacus. Habituellement, il y a un inédit et une réédition. L’inédit du cru 2010, c’est ce récit autobiographique. Né à Alger en 1941, fils d’un colonel décédé dans des circonstances étranges, le jeune François Cerutti échoue à Montrouge en 1956 puis s’installe à Nice. C’est là qu’il décide de militer en faveur de l’indépendance algérienne. Avec des camarades issus du groupe anticolonialiste Jeune Résistance, il s’oppose au mot d’ordre ambigu du Parti communiste qui réclame la « paix en Algérie », mais pas l’indépendance. Insoumis, il part au Maroc en 1961 et se met au service de la « révolution mondiale ». Il croise sur sa route des militants pablistes, des membres de la IVe Internationale, le jeune pied-noir devient pied-rouge. De 1962 à 1965, il participe aux premières années de la révolution algérienne en travaillant dans une entreprise autogérée. Comme bien d’autres internationaux (voir le livre Algérie, les années pieds-rouges de Catherine Simon), le coup d’État de Boumediène le fait rentrer en France. L’armée le rattrape. En 68, avec Pierre Guillaume (qui n’était pas encore l’infecte crevure négationniste d’aujourd’hui), François Cerutti ouvre une librairie au cœur du Quartier latin. Celle-ci, La Vieille Taupe, accueille les minorités révolutionnaires. On y rencontre des tiers-mondistes, des anarchistes, des trotskystes, etc. Après le bouillonnant mouvement de mai et juin 1968, F. Cerutti rejoint l’équipe éditoriale de Spartacus. Les pages rédigées sur René Lefeuvre et les Cahiers Spartacus sont assez émouvantes. Un regret quand même : le récit s’arrête dans les années 70, or, nous aurions aimé connaître les réflexions de l’auteur sur les temps contemporains.

De l’indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français

vendredi 3 septembre 2010 :: Permalien

De l’indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français.
Olivier Le Cour-Grandmaison, éditions Zones, 196 pages, 16 euros.

C’est un livre dense et édifiant rédigé par l’un des spécialistes de la République impériale, mais c’est aussi plus que cela : De l’indigénat est un pavé jeté dans le marais historiographique d’aujourd’hui. Alors que Sarkozy et Guaino vantent les bienfaits de la France coloniale, relayés par les habituels thuriféraires (Max Gallo) et, dans une moindre mesure, par des historiens prestigieux (Pierre Nora), Olivier Le Cour-Grandmaison décortique les articles du code de l’indigénat en Algérie, édicté en 1875, qui servit de matrice au droit colonial de tout l’Empire. Où il apparaît que la Déclaration dite universelle des droits de l’homme n’avait cours que sur le seul territoire métropolitain. Le Cour-Grandmaison rappelle le travail forcé et les amendes, le numerus clausus, le racisme généralisé, le pouvoir sans limite des gouverneurs. Jusqu’en 1945, dans l’Empire français, c’est le « régime du bon tyran » qui règlemente le quotidien, en accord avec l’ensemble de la classe politique (certains passages rédigés dans Le Populaire (SFIO) en 1937 laissent pantois). En conclusion, l’auteur déconstruit un double mythe : non la France n’a pas apporté la « civilisation » : les jeunes indigènes étaient moins de 10 % à suivre une scolarité primaire (en Algérie, en 1935, seuls 65 000 enfants sur 950 000 sont scolarisés) et la médecine n’apporta le « progrès » que pour les Blancs : les indigènes mouraient six fois plus de tuberculose que les Européens d’Alger. Enfin, 17 000 indigènes sont morts pour construire les 140 premiers kilomètres de la voie ferrée Congo-Océan. Sacré bilan…

 On peut consulter ce livre librement sur le site des éditions Zones.