Le blog des éditions Libertalia

Une culture du viol à la française sur Vice

vendredi 22 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié le 21 février 2019 sur vice.com.

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Ce 21 février sort Une culture du viol à la française, premier ouvrage de la militante féministe Valérie Rey-Robert, plus connue sous le pseudo « Crêpe Georgette ».
Jusqu’au dernier moment, on s’est dit que l’interview serait annulée et qu’on rentrerait chez nous la tête pleine de questions. Parce que Valérie Rey-Robert fait partie des nombreuses victimes de la Ligue du Lol et qu’on la savait un peu lasse d’être sollicitée. Cadre dans une entreprise de modération sur Internet, elle s’est longtemps protégée grâce à son pseudo « Crêpe Georgette » avant d’enfin afficher son vrai nom en début d’année, nécessaire pour faire connaître un livre. Ce jeudi 21 février, la jeune maison d’édition Libertalia publiera en effet le premier ouvrage de Valérie Rey-Robert Une culture du viol à la française : du troussage de domestique à la liberté d’importuner. Dans son texte, l’auteure revient longuement sur ce qu’est la réalité de la culture du viol en France : 250 000 personnes victimes d’une tentative de viol chaque année en France, « cinq cents ans de littérature, 400 auteurs classiques et mille ans de civilisation » qui nourrissent ces violences. Et bien peu de politiques près à s’attaquer à cela. Quelques jours avant la sortie, nous l’avons rencontrée pour évoquer son livre.

Vice : Au début de votre ouvrage, vous revenez sur l’histoire du concept de culture du viol. On y apprend que le terme apparaît dans les années 1970 aux États-Unis mais il met presque quarante ans à se populariser en France. Pourquoi ?
Valérie Rey-Robert : Au début des années 1970, quand apparaît pour la première fois l’expression « culture du viol » outre-Atlantique, les militantes féministes de l’époque cherchent avant tout à montrer la réalité des violences sexuelles. La lutte était alors centrée sur l’accès à la contraception, le droit de vote et elles se rendent à peine compte que les violences sexuelles sont partout dans la société. Elles veulent visibiliser le viol, qui est présenté comme un crime rare, de fou, et montrer qu’il est en fait omniprésent dans la société. Le terme culture du viol est laissé de côté pendant quelques années puis réapparaît en 2010, sur le Web, et arrive ensuite en France.

Et entre les deux, la définition a largement évolué ?
Aujourd’hui, la culture du viol désigne la somme des idées reçues sur les violeurs, leurs victimes et le viol en lui-même. Ces idées, invariablement, ôtent la responsabilité des violeurs, culpabilisent les victimes et invisibilisent le viol. Sur le terme culture plus précisément, j’ai encore vu Laurent Joffrin, dans un édito suite à l’affaire de la Ligue du Lol, avancer que la culture sert à s’élever et que, de fait, ce terme est impropre. C’est une définition très restreinte de la culture ! Au sens sociologique, la culture du viol en est bien une : les préjugés sur le viol imprègnent toute la société, se transmettent de générations en générations et évoluent avec le temps.

Est-ce possible de dater l’émergence de cette culture ?
Toutes les époques ont leurs idées reçues sur le viol qui tendent toujours à protéger les violeurs. Très tôt, au Moyen Âge, la justice considère le viol comme un crime très grave. Pourtant, l’ensemble de la société pense qu’il est impossible de violer une femme sauf si elle le veut. Autre exemple : certains historiens ont montré que la justice française du XVIIIe siècle avait condamné des gamines de 11 ans violées par leur père. Les lois sur le viol mettront, elles aussi, énormément de temps à évoluer. Il faudra attendre le début du XXe siècle, puis le procès d’Aix-en-Provence de 1978, pour voir naître une vraie loi sur le viol.

Pourquoi un tel retard ?
La société tout entière, donc ceux qui font les lois et les appliquent, a une vision très fantasmée du viol. La culture du viol repose en fait sur la mise à distance permanente du violeur qui n’est jamais soi mais toujours un autre détestable. Cela entraîne un paradoxe extraordinaire. Sortez, faites un micro-trottoir sur le viol de manière abstraite, et la majorité des personnes que vous allez interroger vont avoir des propos extrêmement durs à l’égard des violeurs. Allez les interroger sur des faits réels maintenant. Leur discours va radicalement changer, ils trouveront des excuses et des circonstances atténuantes parce que la réalité ne correspond pas à ce qu’ils croient savoir du viol et cela entraîne une remise en cause de la parole des victimes qu’on pointe comme menteuses, simplement parce que ce qu’elles ont vécu ne colle pas aux fantasmes de la société et des législateurs.
D’autres éléments entrent aussi en ligne de compte. Pendant longtemps, beaucoup ont cru que le viol était un crime extrêmement rare… Et ce n’était pas la peine de légiférer pour quelque chose de marginal. Il faut dire ce qui est : le viol est aussi un crime où il y a rarement des preuves physiques de l’absence de consentement. 

Les choses ont-elles changé aujourd’hui ?
Malheureusement non. Les politiques et une grande partie de la société nient la culture du viol. Or pour lutter contre un problème, encore faut-il accepter qu’il y en ait un ! La première des choses pour avancer sur ce sujet c’est donc de réaliser qu’on a des préjugés et c’est ce qui ralentit la lutte. Les réactions des politiques après #Metoo et #Balancetonporc sont d’ailleurs très révélatrices sur ces impensés qui concernent la majorité de la société. La première prise de parole du président, extrêmement grave, a servi à pointer d’éventuelles fausses accusations. Le Premier ministre s’est lui demandé comment on allait pouvoir séduire. Bref, ça montre qu’ils n’ont pas conscience du problème.

Finalement, est-ce que s’attaquer à la culture du viol revient à s’attaquer à tout un pan de l’identité française ?
La majorité de notre littérature, de notre culture, légitime la culture du viol. Rousseau, dans l’article consacré au viol dans L’Encyclopédie, explique que les femmes ne peuvent être violées à moins qu’elles le veuillent – sinon, elles se défendraient jusqu’à la mort ! On retrouve le même genre de clichés sur le viol 250 ans plus tard, en 2016, dans Gangsterdam, un film de Romain Levy porté par Kev Adamas. Un des personnages principaux nommé Durex propose à un de ses amis de violer une femme. L’ami refuse, alors Durex rétorque « Je te parlais du viol cool. Pas du viol triste où ça chiale, ça crie, ça porte plainte ».
C’est pour ça que quand #Balancetonporc est arrivé, on a tout de suite été comparées à des collabos ! On est traître de la patrie comme le sont ceux qui ont dénoncé des Juifs. Profitons-en pour rappeler que cette comparaison est particulièrement odieuse. Les Juifs ont été dénoncés pour le simple fait d’être juifs, au contraire des hommes accusés d’avoir commis des violences sexuelles. Un Juif dénoncé risquait la mort et Mediapart a montré qu’il n’y avait quasiment aucune conséquence pour les rares hommes dont les noms ont été révélés par leur victime. Et si conséquence il y a, elle ne sera jamais le camp d’extermination. Cette comparaison a un double effet pervers : elle donne l’impression que les hommes accusés de violences sexuelles encourent les pires ennuis, ce qui est faux, et elle relativise totalement les effets de la dénonciation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans quelle mesure cette culture du viol à la française repose-t-elle sur le racisme ?
De manière générale, le violeur est mis à distance. Ça va être le fou, le pauvre, l’homme de pouvoir et, évidemment l’homme racisé. Les différences de traitement entre DSK et Tariq Ramadan l’illustrent bien. Lors du procès du Carlton de Lille en 2015, on a eu des extraits des dépositions des prostituées. Il y a eu des actes qui se rapprochent de ceux imputés à Tariq Ramadan mais les traitements médiatiques de l’un et de l’autre ont été extrêmement différents. Dans les deux cas, on a une essentialisation. Elle est positive pour DSK, l’archétype de l’homme à la française, certes qui a une sexualité rude mais enfin, bon, ce n’est pas si grave, et négative pour Tariq Ramadan qu’on pointe comme arabe, comme musulman, alors que c’est un prédateur sexuel lambda, dans un espace de pouvoir, qui fait ce que des milliers d’hommes ont fait avant lui.

Est-ce aussi une conséquence des politiques coloniales françaises ?
Si on étudie la question du viol et des hommes arabes, on constate que ces politiques ont en effet très rapidement présenté l’homme arabe et en particulier l’homme algérien comme un violeur, et ce, dès qu’il a commencé à y avoir des mouvements d’opposition à la colonisation dans les pays concernés. Le sous-texte, c’est que la nation, présentée comme une femme, a besoin d’être protégée des Arabes qui veulent venir la violer. L’homme arabe est alors raconté et considéré comme un violeur. Quand les maisons closes sont fermées en France en 1945, elles le sont partout sauf à Barbès, un quartier où habitent traditionnellement les immigrés maghrébins, et dans l’Algérie colonisée parce qu’on craint des soulèvements des hommes avec des viols massifs de femmes françaises blanches.
Cette idée perdure ensuite avec le mythe de la traite des Blanches, très répandue dans les années 1930 et qui revient après la Seconde Guerre mondiale. Des Juifs, histoire d’ajouter l’antisémitisme à l’horreur, sont accusés d’enlever des femmes blanches chrétiennes pour les envoyer dans des bordels au Maghreb. On retrouve cela avec la rumeur d’Orléans, en 1969, où des Juifs sont accusés de la même manière d’enlever les femmes qui viennent dans leurs boutiques puis de les revendre comme esclaves. Pointer l’étranger permet de dire que ce que font les Français blancs, même si c’est parfois un peu violent, n’est pas vraiment grave puisque ce sont des gentlemen.

Le cœur du problème serait-il de penser qu’il existe une forme d’élite blanche, bourgeoise, française, qui ne pourrait pas violer parce qu’elle est composée de gentlemen ?
Pas forcément bourgeoise. Il y a une excuse de tous les actes de violences sexuelles lorsqu’ils sont commis par des Français, dans la norme, c’est-à-dire blancs. Un des chroniqueurs de TPMP, par exemple, qui avait commis une agression sexuelle, a été défendu par son public parce que cette culture imprègne toutes les strates de la société. Encore une fois, le violeur c’est l’autre. Le viol n’est pas commis par des hommes ordinaires comme nous le sommes.

Comment peut-on faire évoluer ces discours ?
Je pense que le problème principal c’est vraiment d’admettre qu’on a un problème avec les violences sexuelles. Il n’y a pas de petits combats en ce qui concerne le viol, c’est-à-dire qu’à partir du moment où, dès la maternelle, on explique aux garçons que ce qu’ils font est plus important que font les petites filles, on enclenche déjà une culture du viol. C’est de là que ça naît et il faut en permanence lutter contre. Donc déjà comprendre et admettre ça, cesser d’être dans l’anecdotique, avoir une approche politique, ça serait quelque chose ! Je le vois avec la Ligue du Lol, où j’ai refusé 99 % des interviews car il s’agissait de témoigner plus que de porter des analyses alors que beaucoup de questions restent en suspens. Sociologiquement, qui a été harceleur, qui a été harcelé ? Dans le cas du viol, qui viole, qui est violé ?

C’est peut-être aussi parce que ces personnes se revendiquaient pour beaucoup féministes.

Ils se sont déclarés féministes sur le tard, quand dans leur milieu parisien, bourgeois, revendiqué progressiste, c’était le seul moyen de ne pas passer pour des abrutis. Si les rédactions réagissent avec autant de vigueur, c’est qu’elles ne peuvent pas se permettre de faire autrement. En ce moment, nous les féministes, nous sommes fortes et le rapport de force s’est un peu inversé. On a réussi sur la Ligue du Lol, avec un lobbying féministe extrêmement fort, à faire en sorte que Libération fasse du bruit et entraîne des conséquences concrètes. Après, rien n’assure que les choses vont vraiment changer. Ceux qui mènent les rédactions sont des hommes blancs, hétéros, est-ce qu’ils ont envie de s’interroger sur ce qui les a amenés à potentiellement fermer les yeux sur le harcèlement commis ?

Clément Pouré

Valérie Rey-Robert au 19/20 de France 3 Paris Île-de-France

vendredi 22 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Valérie Rey-Robert était l’invitée du 19/20 de France 3 île-de-France du 21 février 2019 pour présenter Une culture du viol à la française :
france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/emissions/jt-1920-paris-ile-de-france

(L’entretien est à 7 min 52)

La biographie de Rosa Parks sur Europe 1

jeudi 21 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Christophe Hondelatte consacrait son émission du 21 février 2019 sur Europe 1 à l’autobiographie de Rosa Parks, Mon histoire, en compagnie de l’historien Corentin Sellin :
www.europe1.fr/emissions/hondelatte-raconte/christophe-hondelatte-rosa-parks-avec-corentin-sellin-lintegrale-3861893

Une culture du viol à la française dans 20 minutes

jeudi 21 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien avec Valérie Rey-Robert, publié dans 20 minutes le 21 février 2019.

Culture du viol :
« Il n’y a pas de petit combat dans le féminisme, tout mène à la lutte contre les violences sexuelles »

Procès Baupin, affaire de cyberharcèlement de la Ligue du LOL, et interrogations sur les boy’s club, les violences sexuelles n’ont pas fini de faire les gros titres. Un an et demi après l’explosion du mouvement #metoo, cette question essentielle, omniprésente, cette grande cause du quinquennat a-t-elle vraiment avancé ? Pas tellement, si on lit l’essai de Valérie Rey Robert, féministe qui publie ce jeudi Une culture du viol à la française. Du troussage de domestique à la liberté d’importuner
Comment expliquer cette expression et faire évoluer les mentalités ? 20 Minutes a pu interroger celle qui se cache derrière le blog Crêpe Georgette.

C’est quoi la culture du viol ?
La culture du viol, c’est l’ensemble des idées reçues sur les viols, les violeurs et leurs victimes. Et le fait qu’on incrimine les victimes, qu’on déculpabilise les auteurs et qu’on invisibilise les viols. On parle de culture parce que ces idées se transmettent de générations en générations et imprègnent toute la société.

Pourquoi ça choque autant en France ?
Pour beaucoup, c’est impensable d’associer la culture, vue positivement, et le viol, un crime. C’est comme un oxymore. Pourtant, on parle bien de « culture de l’impunité » pour parler de la Syrie de Bachar-al-Assad.

Est-ce que la France a des spécificités ?
Certains éditorialistes expliquent quand on parle de violences sexuelles que la France est le pays de l’amour, qu’on y a inventé une certaine forme de relation entre hommes et femmes, fondée sur la domination masculine. Il y a une confusion entre sexe et violence sexuelle. En plus, comme ça fait partie de l’identité française, de l’ADN de la France, il n’y aurait rien à y changer…

Justement, vous listez un certain nombre de préjugés : quelles sont les vérités à rétablir ?
En priorité, il faudrait cesser de minimiser le nombre de viols. Ensuite, revenir sur l’idée qu’un violeur, c’est un inconnu dans un parking la nuit : 90 % des victimes connaissent leur violeur, ça se passe en général au domicile de la victime ou du coupable. Le troisième point concerne les fausses allégations de viol. On n’a pas d’enquête fiable en France, mais si on se fie aux études aux États-Unis, en Angleterre, on a des taux extrêmement bas, de l’ordre de 6 à 8 %. Dans le cas spécifique des violences sexuelles, on entend souvent cette mise en garde sur les fausses accusations. C’est un peu comme si on rétorquait à quelqu’un qui se présente comme victime de l’attentat du Bataclan, attention aux faux témoignages !
C’est étonnant de voir combien on accuse les femmes d’exagérer le harcèlement ou violences, alors que personnellement j’ai toujours constaté l’inverse : elles sont dans la minoration. Enfin, un préjugé terrible c’est aussi de dire qu’un homme ne peut pas être violé. Un sondage dévoilait que 13 % des Français le pensent aujourd’hui… Si 10 % des femmes environ qui déclarent avoir subi un viol portent plainte, c’est seulement 4 % des hommes violés. Leur parole est remise en doute, il y a un énorme travail à faire pour accompagner les hommes victimes de violences sexuelles.

Vous écrivez : « L’année 2018 aura été marquée par un retour de bâton important, consécutif à la prise de parole collective et massive des victimes de violences sexuelles à la suite des affaires Weinstein. » Vous êtes si pessimiste que ça ?
Un retour de bâton, ça ne veut dire que les choses ne changent pas ! Au contraire, de manière cyclique quand on assiste à un bouleversement sociétal, les forces réactionnaires réagissent. On a voté le mariage pour tous, pour autant on a vu des manifestations importantes d’opposants. Pareil dans le féminisme, des avancées existent, mais certains pensent que la situation des femmes est parfaite.

L’émotion suscitée par cette affaire de la Ligue du LOL, qui a provoqué la mise à pied ou suspension d’émission de ces auteurs, est-ce le signe qu’après #metoo certaines choses ont changé ?
Je pense qu’il est tôt pour savoir si #metoo a provoqué quelque chose. Ce qui a beaucoup progressé, c’est la puissance et le lobbying des féministes, en particulier sur les réseaux sociaux. Je pense que sans les féministes, le premier article de Libération sur la ligue du LOL aurait pu passer à la trappe. Les rédactions composées de mecs blancs hétéros n’ont pas une totale conscience du féminisme, par contre ils savent ce que peuvent faire les féministes, en termes de réputation et donc de ventes. Quand je suis devenue féministe, il y a vingt ans, les gens ne savaient pas ce que ça voulait dire. Aujourd’hui, ils ont une vague idée et ce n’est plus un gros mot.

Est-ce l’occasion de dénoncer ces boy’s club qui dépassent le monde du journalisme ?
Tant qu’on ne repensera pas la sociabilisation masculine, les valeurs de violence qu’on inculque aux garçons, en leur interdisant de pleurer, d’exprimer leur empathie, on continuera à voir des ligues du LOL partout. On sociabilise les petits garçons entre eux, en leur expliquant que le plus important, c’est de ne pas être une fille. Ce qui ne donne pas une très bonne image des femmes ou des homosexuels… Une enquête de Fisherprice avait étudié les perceptions des parents qui étaient prêts à acheter des jouets de garçons à leurs filles. Pas l’inverse. C’est loin d’être anecdotique. On a beaucoup intériorisé tous et toutes que les filles c’est moins bien que les garçons ! Par exemple, « garçon manqué » peut être positif pour une fille qui joue bien au foot, par contre traiter un homme de « femmelette » ne l’est jamais. Je pense que de manière générale, la réflexion sur les stéréotypes de genre est très présente en ce moment, il serait logique que l’éducation évolue sur ce point. Mais quand on est militant, on voudrait toujours que ça aille plus vite !

Vous écrivez « Il est difficile d’admettre que nous participons toutes et tous à des degrés divers à la culture du viol. ». Que faire pour lutter contre la culture du viol au niveau individuel ?
Me lire, en premier lieu. Admettre qu’on a des idées reçues sur le viol et qu’elles sont fausses ! Les statistiques contredisent l’idée que la tenue d’une femme violée est importante. Faire attention à ce qu’on dit : ne jamais mettre la faute sur la victime, lui apporter son soutien inconditionnel. Il faut aussi admettre que 98 % des violeurs sont des hommes, ce ne sont pas des féministes qui ont inventé ce chiffre. Certains hommes le prennent pour eux et répondent « je ne suis pas un violeur ». On est en train de mener un combat politique important, les états d’âme des hommes qui se sentent accusés sont indécents. Il faut éviter de recentrer le débat sur soi tout en s’interrogeant sur les stéréotypes qu’on transmet et sur ses conduites passées. Est-ce qu’ils n’ont jamais couché avec des femmes qui n’étaient pas en état de dire oui ou non ? Il faut connaître les bonnes définitions et la loi. Savoir que le devoir conjugal n’existe pas. Qu’embrasser les seins d’une femme, ce qui est arrivé dans l’émission TPMP, c’est une agression sexuelle…

Vous pointez également le rôle de l’État, quelles seraient pour vous les pistes pour mettre fin aux violences sexuelles ?
Mettre de l’argent sur la table ! La première chose, c’est de lancer de grandes études pour comprendre qui sont les violeurs : leur modus operandi, quel type de femmes ils violent, est-ce que ce sont des récidivistes ? Pour faire des campagnes de prévention qui les visent. Dans la sécurité routière, les campagnes s’adressent davantage aux jeunes qui boivent en sortant de discothèque. Et que ces campagnes évitent les clichés : l’année dernière, des affiches montraient des violeurs sous forme de monstres, d’animaux, encore une fois le violeur, c’est un personnage fantastique… On ne peut pas s’adresser aux victimes pour empêcher un crime. Deuxième chose, il faut mieux former les professionnels, infirmières, médecins, juges, policiers, gendarmes pour qu’ils sachent comment traiter les affaires de viol. Comprendre aussi qu’il n’y a pas de petit combat dans le féminisme. Tout mène à la lutte contre les violences sexuelles. Si dès l’enfance, on inculque à un garçon que son avis, son désir est plus important que celui d’une fille, ce futur adulte peut être amené à négliger ce que dit une femme.

Propos recueillis par Oihana Gabriel

« Quand on lui dit “sale sioniste de merde”, on n’est plus dans la théorie politique. »

lundi 18 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur francetvinfo.fr, le 17 février 2019.

Insultes contre Alain Finkielkraut : « Quand on lui dit “sale sioniste de merde”, on n’est plus dans la théorie politique. »

« Sale sioniste de merde, tu vas mourir ! »« Retourne dans ton pays ! », « sale race » : ce sont là quelques-unes des insultes qui ont visé, samedi 16 février, le philosophe et écrivain Alain Finkielkraut lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. La classe politique et de nombreux intellectuels ont vivement condamné cette violence verbale.
Sur Twitter, quelques-uns ont débattu de la différence entre la notion d’antisémitisme et d’antisionisme. Julien Bahloul, ancien journaliste de la chaîne israélienne i24News, s’est ainsi ironiquement réjoui que Benoît Hamon admette que « l’antisionisme est de l’antisémitisme ». Dans son tweet posté quelques heures avant, le leader du mouvement Génération.s avait indiqué condamner « sans aucune réserve ceux qui ont conspué, insulté et traité d’un “sale sioniste” qui voulait dire “sale juif” » le philosophe et académicien.
Quelle différence existe-t-il entre les deux termes ? Que recouvrent-ils précisément ? Le journaliste et écrivain Dominique Vidal, collaborateur du Monde diplomatique et auteur de l’essai Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron (éditions Libertalia), note que les deux termes tendent à être confondus, notamment à cause de l’emploi qu’en font Dieudonné et Alain Soral. Il explique à France Info qu’il s’agit d’un « passe-passe linguistique » pour leur éviter toute condamnation judiciaire.


France Info : Quelle différence faites-vous entre antisémitisme et antisionisme ?
Dominique Vidal : Il y a une différence radicale. L’antisémitisme est un délit, puni comme tous les racismes par les lois françaises. L’antisionisme est une opinion que chacun est libre d’approuver ou non.
Le sionisme date de la fin du XIXe siècle : c’est une pensée politique qui a été imaginée par Theodor Herzl. Il venait de constater les dégâts de l’affaire Dreyfus dans l’opinion française. Il considérait que les Juifs ne pouvaient pas s’assimiler dans les pays où ils vivaient et qu’il fallait leur donner un État pour qu’ils puissent tous se rassembler.

Emmanuel Macron a affirmé que l’antisionisme était le « nouvel antisémitisme » lors de son discours en 2017 pour les 75 ans de la rafle du Vel d’Hiv. Êtes-vous d’accord ?
Non, je pense que cette phrase d’Emmanuel Macron, qu’il n’a d’ailleurs jamais répétée, constitue un amalgame entre ces deux concepts qui n’ont pas de lien l’un avec l’autre. Cet amalgame est une erreur historique et une faute politique.
C’est une erreur historique car depuis que Theodor Herzl a développé cette stratégie du sionisme, on peut observer que l’immense majorité des Juifs ne l’a pas approuvée. C’était évident entre 1897 et 1939 (quand débute la Seconde Guerre mondiale) : l’écrasante majorité des Juifs était alors hostile à l’idée d’un État juif en Palestine. Mais la Shoah a bouleversé leur situation dans le monde. À partir de ce moment-là, il y a eu trois grandes vagues d’émigration des Juifs vers la Palestine. Celle des survivants du génocide tout d’abord, la seconde était celle des Juifs arabes après la guerre de 1948, et la troisième, celle des Juifs soviétiques, dans les années 1990. Ce qui est commun à ces trois vagues de plusieurs millions de personnes est qu’il ne s’agissait pas d’un choix politique sioniste. 
Les survivants de la Shoah voulaient par exemple aller aux États-Unis mais ils n’avaient pas de visas. Pour les Juifs de l’Union soviétique, il était souvent impossible de revenir chez eux à cause des pogroms. Et les Juifs arabes n’étaient pas bien acceptés en Europe. Tous n’ont eu qu’une seule solution : aller en Palestine et en Israël.
C’est d’autre part une faute politique d’Emmanuel Macron car on ne peut pas réprimer une opinion. Ce serait comme si les communistes demandaient une loi pour réprimer l’anticommunisme ou si les libéraux demandaient une loi pour réprimer l’altermondialisme. On entrerait dans un processus totalitaire où on exigerait que des opposants soient muselés au nom de leur idéologie.

Pour vous, les insultes proférées contre Alain Finkielkraut relèvent-elles de l’antisionisme ou de l’antisémitisme ?  
Aucune insulte n’est antisioniste. L’insulte est forcément antisémite. À partir du moment où il y a un caractère haineux dans les propos, comme c’était le cas des « gilets jaunes » face à Alain Finkielkraut, il s’agit forcément d’un délit, condamnable par la justice. Quand on lui dit « sale sioniste de merde », on n’est plus dans la théorie politique. C’est juste purement raciste.

Est-ce que le fait d’utiliser « sioniste » n’est pas aussi une manière de remplacer le mot « Juif » pour échapper à une condamnation en justice ?
Bien sûr. Cette opération de passe-passe linguistique a notamment été utilisée par Dieudonné et Alain Soral. À partir du moment où ils étaient poursuivis en justice pour leur incitation à la haine antisémite, ils ont changé de manière de s’exprimer. « Juif » est devenu « sioniste » et « antisémitisme » est devenu « antisionisme » dans leur discours. Ceux qui s’en sont pris à Alain Finkielkraut ont fait la même opération. Ils méritent d’être condamnés avec la plus grande clarté. Moi qui me suis souvent opposé aux idées d’Alain Finkielkraut, je considère que ce qui est arrivé hier est inacceptable.
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi un certain nombre de confrères journalistes s’étonnent que dans le mouvement des « gilets jaunes » il puisse y avoir des antisémites. L’extrême droite a fait 33 % des voix à l’élection présidentielle de 2017. Ses idées sont prégnantes dans la société française, pas étonnant que le mouvement des « gilets jaunes » n’y échappe pas. 
Mais cela ne veut pas dire que tous les « gilets jaunes » sont antisémites : dans leurs manifestations, l’antisémitisme reste un phénomène marginal, même s’il existe.

Propos recueillis par Juliette Campion