Le blog des éditions Libertalia

Trop jeunes pour mourir, dans Libération

vendredi 30 janvier 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique de Trop jeunes pour mourir dans Libération, édition du jeudi 22 janvier 2015.

Boucherie sans eux
Combats pour la paix dans les années 1910

Contre un parti socialiste unifié jugé « électoraliste », contre une CGT qui venait d’entamer son tournant « réformiste », il y eut dans la France des années 1910 une frange de militants que le secrétaire des bourses du travail, Georges Yvetot, qualifia de « minorité révolutionnaire dangereuse ». Certains se disaient « insurrectionnels », d’autres libertaires, individualistes ou anarcho-syndicalistes. Beaucoup se retrouvaient derrière La Guerre sociale, le brûlot antimilitariste lancé par Gustave Hervé en 1909. Tous défendaient une morale ouvrière sans concessions, hostile à l’Église, au patronat, aux « renards » (les « jaunes » et les mouchards) et plus que tout à l’armée. C’est au cœur de cette nébuleuse que nous entraîne Guillaume Davranche. Fort d’une lecture minutieuse de la presse et des brochures publiées par ces militants, il s’attache à restituer leur combat en ces années où s’exacerbent les tensions et les menaces de guerre. On découvre une pensée plus nuancée que prévue (le soutien apporté à la révolution mexicaine de 1911, le malaise face à l’équipée de la bande à Bonnot) et des efforts peu connus pour s’organiser, à l’instar de la Fédération communiste révolutionnaire en 1910, rebaptisée Fédération communiste anarchiste en août 1913. On perçoit surtout l’indomptable énergie de ces hommes qui sont de toutes les grèves et de toutes les manifestations, appelant à la paix et, pour les plus radicaux, à la désertion et au sabotage. Beaucoup d’entre eux échouèrent en prison ou dans les bagnes militaires.
L’ouvrage, qui ne cache pas son empathie à l’égard du mouvement libertaire, manque parfois un peu de distance. Mais il offre une mine inégalée d’informations, une chronique minutieuse des cinq années qui précédèrent la guerre, avec leur cortège d’affaires, d’arrestations, de rivalités et de règlements de comptes. Complément du Maitron des anarchistes (l’Atelier, 2014), il livre aussi une belle galerie de portraits, d’où émergent Émile Janvion, qui dériva vers l’antisémitisme, Benoît Broutchoux et Pierre Monatte, hérauts de l’anarcho-syndicalisme, ou encore Louis Lecoin, à qui l’on doit l’obtention en 1958 du statut d’objecteur de conscience. On n’en était pas là en 1914 : en dépit des meetings qui se poursuivirent jusqu’au jour de la mobilisation, ceux qui n’étaient pas en prison ou à Biribi durent rejoindre leur régiment, comme l’immense majorité des Français.

Dominique Kalifa