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> Tenir la rue dans Le Combat syndicaliste
mardi 15 juillet 2014 :: Permalien
Chronique de Tenir la rue (Matthias Bouchenot) publiée dans Le Combat syndicaliste (juin 2014).
Face aux ligues fascistes, dans les années 1930, les forces de gauche n’avaient pas trop d’alternative : pour la suprématie sur le pavé, il fallait faire le coup de poing.
Ce bouquin plonge dans ces groupes d’autodéfense, chargés de protéger les manifs, les sièges des partis et des journaux, et parfois juste les affiches fraîchement collées et la vente à la criée du journal de propagande. Dans ces rangs, des jeunes ouvriers, des étudiants, des sportifs, souvent juifs d’Europe de l’Est et d’Afrique du Nord pour qui la montée européenne du fascisme avait un sens aigu. Si ces bagarres ont fait des morts, c’est aussi que « faire le coup de poing » s’entendait au sens large, jusqu’aux armes de poing renommés « camarade Browning », et le plus souvent le poing se fermait sur des matraques, parfois de simples mais redoutables gaines électriques. Et aussi que le maintien d’ordre du Front populaire réformiste a tiré contre ces révolutionnaires trop bouillants à son goût.
L’objectif affiché n’est pas alors la lutte armée, bien que certains y pensent sérieusement, mais la maîtrise de l’espace public. Et en ce sens l’enjeu est parfois très symbolique, tourné vers le spectacle, la mise en scène. Aligner ses gros bras sert de démonstration prouvant la présence de jeunes militants aux visages glabres dans un mouvement où les caciques portent la vieille moustache, et une démonstration de force destiné autant à ceux d’en face qu’à son propre camp, par la capacité à donner des signes publics d’organisation et de discipline. D’ailleurs, les trois flèches parallèles du logo qui se porte en brassard figurent l’activité, la discipline et l’unité.
L’esprit qui imprègne ce genre de groupe dédié au baston, c’est forcément un certain virilisme qu’évoque l’auteur. Même si quelques femmes ont été dans les rangs de ces groupes de défense, apparemment avec des rôles de guetteuses. La question de la force mâle est à replacer dans son époque, la révolution espagnole n’en est pas exempte, comme le montre l’imagerie du prolétariat des affiches de la CNT des années 1930. « Les militants de l’autodéfense socialiste sont imprégnés des normes du genre de leur temps et associent leur engagement physique aux valeurs morales qu’ils considèrent comme viriles, sans se différencier sur ce point du reste du parti. À contrario, ils s’en distinguent par une conception militariste du militantisme », écrit Matthias Bouchenot.
Son bouquin fait l’état des lieux, politique et organisationnel en région parisienne, de deux groupes, les Jeunes Gardes socialistes (JGS) et les Toujours prêts pour servir (TPPS), qui sont au service de l’aile gauche de la SFIO, c’est-à-dire du parti socialiste.
Évidemment, ce PS n’a pas grand chose à voir avec le PS libéral d’aujourd’hui. Qui plus est, cette frange du Front populaire de combat est ouverte à l’extrême gauche, communistes révolutionnaires (trotskistes, luxemburgistes), proche des libertaires.
Mais pour le fonctionnement, on est bien loin des principes anti-autoritaires. La structure est pyramidale. Le chef fait vénérer ses muscles et son coup de poing. Les uniformes sont similaires à ceux ennemis jurés du camp d’en face, les chemises des Jeunesses patriotes et du mouvement solidariste, et ont adopté le terrain des autres fractions, Camelots du Roi de l’Action française et les milices des Croix de Feu (devenue à partir de juillet 1936 le Parti social français) qui ont des services d’ordre organisé militairement.
Et ça dit quoi sur aujourd’hui ? C’est de l’histoire, pas un manuel de combat. C’est de l’histoire, et c’est toujours utile de la mettre à jour.
Nicolas, Interco Nantes