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> Sur les traces de Jack London 3/4
mercredi 20 juillet 2016 :: Permalien
À quelque 70 kilomètres au nord de San Francisco, dans le somptueux cadre naturel de la Sonoma, s’étendent des vignes à profusion. C’est ici que Jack London acheta un ranch en 1905 afin d’échapper à la pollution industrielle d’Oakland. Il y vivra peu ou prou les dix dernières années de son existence, y écrira certains de ses plus grands livres, s’y rêvera en gentleman farmer. Quand il s’y installe avec Charmian, sa deuxième femme, et sans ses filles, cela fait déjà plusieurs années qu’il vit confortablement de ses droits d’auteur. Ses récits sont presque systématiquement publiés dans la presse puis repris en volume ; il peut à l’occasion partir en reportage en Corée ou au Mexique ; tout dépend en réalité de la somme qu’on lui propose. Jack London vit fastueusement, dépense sans compter pour construire son bateau (le Snark) et pour agrandir le ranch de la vallée de la Lune. Rapidement, le socialiste révolutionnaire qui se présentait aux élections municipales d’Oakland de 1901 et 1905 pour le SLP laisse place à un grand propriétaire foncier employant jusqu’à 30 familles. London rédige des traités d’agriculture, fait bâtir pour ses cochons noirs un « Pig Palace » déconcertant de luxe, un grand silo moderne, un barrage pour faciliter l’irrigation, un lac d’agrément, un cottage pour accueillir ses nombreux invités ainsi qu’une maison de maître, sur plusieurs niveaux, comprenant notamment les quartiers et les couloirs réservés aux serviteurs asiatiques. Cette maison rêvée, la Wolf House, London et Charmian n’y vivront jamais puisqu’elle part en fumée en 1913 alors que les travaux s’achèvent. Il n’est pas interdit de penser qu’il s’agit d’un incendie volontaire destiné à châtier l’ancien fils du peuple ayant endossé les oripeaux de la bourgeoisie.
En visitant les lieux, on est frappé par la quiétude de la nature. Mais les photos accrochées au mur du musée érigé par Charmian en 1919 ne manquent pas de laisser un sentiment de malaise. Incontestablement, ce London des dernières années – ventripotent, alcoolique, raciste et sexiste – n’est plus le nôtre.
Nicolas Norrito