Le blog des éditions Libertalia

Souvenirs d’une morte vivante dans le Bulletin des ami·es de la Commune

vendredi 7 mai 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans dans le Bulletin des ami·es de la Commune, 4e trimestre 2020.

Victorine Brocher,
« être utile »

Libertalia a réédité Souvenirs d’une morte vivante de Victorine Brocher, livre paru en 1909. À 70 ans, Victorine Malenfant (1839-1921), épouse Rouchy puis Brocher, évoque sa vie jusqu’en 1872. Pourquoi « morte vivante » ? En mai 1871, ses proches l’ont crue morte, fusillée par les versaillais.
En 1848, à 9 ans, elle vit intensément la révolution auprès de son père qui doit s’exiler après le coup d’État de Louis-Napoléon. C’est pour elle une expérience fondatrice. Mère et militante, elle écrit : « On m’a mariée à Orléans le 13 juin 1861. » Elle décrit la condition féminine, « la misère noire, le suicide, la prostitution, ce qui est pire encore ». Solidaire, mais elle se considère privilégiée, car piqueuse en bottines travaillant pour des maisons de luxe. Elle élève trois enfants qu’elle perd tout petits, malgré tous ses soins. Elle lit la presse, participe aux réunions d’une section de l’AIT et à des manifestations. Le 4 septembre 1870, elle est dans la rue pour « la proclamation de la République, ce rêve si cher à mon enfance allait donc enfin se réaliser, j’étais si heureuse ». Pendant le siège, elle glorifie la résistance de la population ouvrière parisienne. Elle-même est « cantinière et ambulancière dans la 7e compagnie du 17e de la garde nationale ». De fin novembre 1870 à janvier 1871, elle est toujours aux avant-postes où « il y a de la besogne […] les blessés et les morts abondent » ; elle y a vu « des drames affreux ».
Lors de la Commune, avec son mari, elle tient le mess des officiers à la « caserne de la République, à l’angle de la rue de Rivoli et de la place de l’Hôtel de Ville », où elle tient aussi « table ouverte deux heures par jour […] aux pauvres diables qui avaient faim ». En avril, elle est cantinière et ambulancière au bataillon des Défenseurs de la République, présent au fort d’Issy lors des combats de fin avril-début mai, journées terribles où, selon ses propos : « J’ai dans ces jours-là, accompli des tours de force dont je ne me serais jamais cru capable. » Pendant la Semaine sanglante, la cour martiale du 7e secteur la condamne à mort et ses proches la croient morte. Comme Varlin, elle parcourt Paris en tous sens. Puis elle se cache, elle exerce à nouveau incognito son métier mais, toujours recherchée, elle doit quitter la France pour la Suisse, le 1er octobre 1872, pour une autre vie.
Selon Michèle Riot-Sarcey, Victorine exprime la « mémoire des vaincus » et « l’identification au soldat est totale, elle oublie qu’elle appartient à un genre sans aucun droit politique et exclu de l’espace public commun ». Il y a une grande proximité de Victorine Brocher avec Louise Michel – qu’elle rencontre, le 22 mai, place de l’Hôtel de Ville –. Reprenant des propos de Verlaine, nous pouvons dire : Victorine B. « est très bien ».

Aline Raimbault