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Plutôt couler en beauté dans Le Monde libertaire

mardi 12 novembre 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde libertaire (novembre 2019)

C’est à partir de la redécouverte du récit d’un homme courageux, le navigateur Bernard Moitessier, qui courut en 1969 la toute première course de vitesse en solitaire, que Corinne Morel Darleux nous livre ses réflexions. Cet exemple inspirant qui traverse tout le livre lui permet d’interroger le refus de parvenir, la dignité et les formes de simplicité volontaire, choisie et non subie, dans une perspective anticapitaliste. Car « pour que la pauvreté subie se transforme en frugalité choisie, il y a besoin de choix individuels, mais aussi d’organisation collective ».
Mais « pour qu’il y ait refus, il faut qu’il y ait possibilité » ; elle en appelle à une relecture de l’anarchiste Charles Auguste Bontemps pour s’orienter vers le fondement politique de l’émancipation humaine : « celui de transformer ses difficultés individuelles en une force collective ».
Écartant avec force ceux et celles qui cultivent leur écologie profonde ou leur potager tout en se désintéressant des nécessités de transformer le monde, l’auteure, adepte de l’écosocialisme postulant que l’écologie est incompatible avec le capitalisme, questionne l’acte isolé autant que l’incarnation du combat politique. En s’appuyant sur son propre vécu, la réflexion de Corinne Morel Darleux atteint une sincérité et une franchise comme on en lit peu. Interrogeant tour à tour le sujet de nos identités, de nos choix intimes, de nos fuites et de nos courages devant l’adversité, elle nous fait profiter d’une authentique réflexion politique. Et c’est passionnant, et c’est rare de simplicité. Romain Gary, Emma Goldman, Stig Dagerman, Françoise Héritier… servent son propos.
Pour faire face à l’effondrement qui vient dans une perspective politique et anticapitaliste, l’auteure nous propose une sorte d’éthique du présent pour le futur et considère que si la prise de conscience s’accélère, « nous avons besoin de renforts ». Un nécessaire nouveau récit collectif peut se construire à partir d’une nouvelle culture qui doit frapper les imaginaires ; d’une découverte des temps simples qui aident à s’approprier ce que nous devons défendre de l’effondrement ; d’un questionnement sur « la hiérarchisation des peines du monde » … Mais ce cheminement proposé doit servir les constructions collectives, sociales, politiques : car « appliqué à l’hypothèse de l’effondrement, le pari consiste non pas à croire mais à agir : nous avons tout à y gagner ». L’auteure nous assure que ce n’est pas au plus fort de l’urgence que l’on doit agir, mais avant, pour mieux construire l’après.
Ce livre est à mettre entre toutes les mains. C’est un travail qui participe à reconstruire une nouvelle éthique pour aujourd’hui, un rapport critique au monde capitaliste et qui propose, sans pessimisme, des pistes pour de nouvelles constructions. Il est d’autant plus intéressant que l’auteure, en rupture de ban avec La France Insoumise, élue au Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, a manifestement dans ses bagages une culture politique qui puise dans des courants et des auteurs que nous connaissons bien au Monde Libertaire. Elle témoigne elle aussi, d’une sorte de redécouverte de l’éthique et des œuvres constitutives de la pensée et de l’agir des anarchistes. Mais l’auteure de Plutôt couler… fait preuve d’un courage certain à franchir le Rubicon idéologique en faisant un de ces pas de côté qu’elle affectionne tant. Et si La rose et le réséda l’inspire, il reste à savoir si on retrouve ce souci dans les engagements de beaucoup de ceux et celles qui pensent que le Capitalisme nous mène à l’effondrement, et que le combattre est une nécessité encore plus vitale.

Daniel (Nîmes)