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jeudi 2 février 2023 :: Permalien
Publié dans Le Monde du 1er février 2023.
Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, l’écrivain Kateb Yacine, dans une intervention à la télévision qui a marqué les esprits, considérait que la langue française était pour les habitants des anciens pays coloniaux un « butin de guerre ». Dans son très documenté Plaidoyer pour la langue arabe, Nada Yafi se demande comment faire pour que la langue arabe – la deuxième la plus parlée en France – soit enfin considérée comme « un gage de paix ».
Ce court ouvrage détonne d’abord par la personnalité de son autrice : Nada Yafi, traductrice et diplomate, a été ambassadrice de France au Koweït et interprète en arabe pour François Mitterrand et Jacques Chirac. C’est forte de ces expériences – elle a également dirigé le centre de langues de l’Institut du monde arabe, à Paris – qu’elle interroge la place curieuse qu’occupe la langue arabe en France.
« Tantôt célébrée, notamment dans le monde académique, tantôt dénigrée, dans le monde médiatique, elle fait l’objet d’une fascination-rejet qui mérite que l’on s’y intéresse de près », note-t-elle. Le point de départ d’une réflexion érudite et pédagogique qui vise à démonter un par un tous les stéréotypes et les caricatures souvent accolés à la langue arabe. Elle revient notamment sur la riche histoire de l’arabe en France, enseignée depuis François Ier. Son apprentissage a été renforcé par la Révolution française, et a fait de la France un pays qui a très tôt occupé une place particulière dans le monde arabe.
Nada Yafi revient aussi sur les amalgames qui associent sans nuances cette langue et l’islam. « Si le Coran a été révélé en arabe, il ne peut pour autant résumer une langue qui a voyagé bien au-delà d’une région et d’une religion », prévient-elle. Et de rappeler que les musulmans du monde arabe ne représentent que 20 % des musulmans du monde et que tous les Arabes ne sont pas musulmans.
Elle souligne notamment la place des chrétiens dans la transmission et la diffusion de la langue arabe. Pour autant, elle explique aussi ses liens profonds avec l’islam. « En voulant à tout prix dédouaner la langue arabe en l’expurgeant de tout lien avec le Coran, on jette indirectement et de manière injustifiée le discrédit sur le texte sacré des musulmans », note l’autrice.
L’ouvrage est remarquable par sa capacité à résumer la diversité de cette langue, de l’arabe littéraire aux dialectes des différentes régions ou pays, en passant par le rôle joué par les télévisions qui, telles Al-Jazira ou Al-Arabiya, jouent un rôle de transmission de la langue entre les cultures arabes.
Ce plaidoyer est aussi un appel à la connaissance et à la compréhension. Alors que, dans le débat public et médiatique, la langue arabe est souvent caricaturée ou moquée, parfois considérée comme suspecte, Nada Yafi lui redonne ses lettres de noblesse, rappelant que c’est une langue de poésie et de littérature, de diplomatie et de médiation, une langue qui fait – aussi – partie du patrimoine culturel de la France.
Nabil Wakim