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May Picqueray la réfractaire dans la revue Brasero

lundi 9 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans la revue Brasero (automne 2021).

Née en 1898 et décédée en 1983, Marie-Jeanne (dite May) Picqueray a passé son enfance en Bretagne dans une famille modeste dont la mère l’élève avec dureté. Après un séjour au Canada, elle revient en France où son premier mariage est un échec. Elle travaille alors comme interprète et dactylo.
Arrivée à Paris en 1918, elle y rencontre un étudiant en médecine serbe, Dragui Popovitch, qui lui fait découvrir les idées anarchistes grâce aux conférences de Sébastien Faure, début d’un engagement de toute une vie. Elle adhère aux Jeunesses anarchistes des 5e et 13e arrondissements et aux Jeunesses syndicalistes, tout en militant activement en faveur de Sacco et Vanzetti. Devenue secrétaire administrative de la Fédération unitaire des métaux de la CGTU après la scission de la CGT, elle est désignée pour accompagner son secrétaire général, l’anarcho-syndicaliste Lucien Chevalier (1894-1975), au congrès de novembre 1922 de l’Internationale syndicale rouge à Moscou (ISR). Sur le chemin, ils s’arrêtent à Berlin, avec d’autres compagnons syndicalistes, pour rencontrer Rudolf Rocker, Emma Goldman et Alexandre Berkman, qui les informent de la répression contre les anarchistes et les ouvriers en URSS. Arrivés à Moscou, entre deux séances du congrès de l’ISR où Chevalier défend l’indépendance syndicale par rapport aux partis politiques, ils parviennent à fausser compagnie à leurs « interprètes » – des membres de la Tchéka – pour rendre visite à des militants anarchistes. Ils plaident aussi la cause des anarchistes emprisonnés auprès des autorités et obtiennent la libération de Mollie Steimer et Senya Flechine. Au cours d’un repas officiel en présence de Trotski, elle n’hésite pas à chanter Le Triomphe de l’anarchie devant ses hôtes médusés. Après avoir été secrétaire d’Emma Goldman à Saint-Tropez lors de la rédaction des mémoires de celle-ci, May sera employée notamment par les Quakers américains et aidera par tous les moyens possibles les « indésirables » de toutes nationalités, internés dans les camps du Sud-Ouest de la France (Gurs, le Vernet d’Ariège) avant de regagner Paris clandestinement en 1941 et d’intégrer un réseau qui fabrique des faux papiers et recherche des refuges pour des évadés français d’Allemagne. Membre du syndicat des correcteurs en 1945 (elle travaillera notamment au Canard enchaîné), elle adhère à la Fédération anarchiste en 1957 et, dans les années 1970-1980, fonde le journal Le Réfractaire et participe aux mobilisations contre l’extension du camp militaire du Larzac et à la résistance des habitants de Plogoff contre un projet de centrale nucléaire.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette vie aussi digne que bien remplie mais, à l’heure de cette réédition, une constatation s’impose. May Picqueray a appartenu à une génération qui a su d’emblée refuser contre vents et marées l’imposture de la prétendue « révolution d’Octobre » et considérer le « socialisme réel » comme ce qu’il était en réalité : un régime totalitaire et un capitalisme d’État. Son grand mérite est d’avoir su lutter à contre-courant, malgré d’immenses difficultés, tout en préservant les faibles chances d’un renouveau. Et c’est pour cela qu’il faut lire, et relire, un tel témoignage. À l’heure actuelle, cependant, la majorité du mouvement anarchiste organisé se contente d’accompagner les vestiges de la gauche et de l’extrême gauche dans ses errements, voire dans ses reniements. Mais c’est une autre histoire…

Charles Jacquier