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lundi 2 février 2015 :: Permalien
Chronique des Rois du rock, parue dans Permafrost n° 2.
Qu’on soit bien d’accord, on va pas se mettre à argoter dès qu’on parle du Paname des années 80. Thierry Pelletier le fera tout en délicatesse et bien mieux que nous tout du long de son recueil de souvenirs de jeunesse. Et puis, de toute manière, s’attarder sur ce maniement ciselé et bien envoyé de ce qui est la langue des rues parisiennes et banlieusardes depuis des siècles, ne ferait que nous faire tomber dans le folklore et passer à côté de l’essentiel du bouquin…
Parce qu’en fait, il nous raconte le rock’n’roll des petites frappes, les concerts inoubliables (ou pas), les bananes flamboyantes de toute la bande, les errances et les rencontres dans la rue, les bastons quasi toujours à la con, la tise et la came pour oublier la misère et le béton, les virées essentiellement entre « couilles », le rock’n’roll panamien d’il y a trente ans… En fait, rien de bien glorieux, comme il le dit lui-même : « Bête, je l’étais indéniablement, velléitaire également, très chiant surtout. Tout autant que le rock’n’roll, je nourrissais une appétence certaine pour le bordel, les états de conscience modifiée et j’étais fasciné par la violence. » Et il n’est pas le seul. Avec ses potes et ses bandes, ils écument les quartiers et les rades, alors que surveillance et répression ne sont pas aussi omniprésentes qu’aujourd’hui. Un Paris d’un autre temps, où une constellations de bandes de prolos rockers se croisent, se fédèrent ou se foutent sur la gueule. Toujours près à la stonba pour des pacotilles ou pour l’affirmation de soi, rien n’est bien clair pour les rockers du bitume. Pour ce qui est des meufs, ça semble pas toujours très net, à traîner qu’entre mâles et qu’entre « durs », machisme et virilisme arrivent rapido et semblent avoir du mal à être remis en question. Le rock’n’roll, c’est pour ceux qui en ont, quoi ! Peu politisés, ils peuvent paradoxalement aussi bien traîner avec les fachos qu’avec les chasseurs de skins, les autonomes ou les émeutiers du mouvement contre la loi Devacquet. « Peu importe finalement », c’est sans doute ce que se disent ces jeunes prolos : vivre vite, vivre intensément, et se serrer les coudes au sein de la petite communauté, être des bad boys et prendre une revanche avec la raïa, une revanche de classe, tenir la rue…
« Je reconnais les gens de ma classe à la façon qu’ils ont de se tenir à table. Ils sont peut-être capables de s’entretuer pour un plan came à 20 balles, mais il y a chez eux une façon de partager la bouffe que n’auront jamais des personnes plus aseptisées. […] Dans le bouquin j’évoque des personnages qui se comportent comme des vrais salopards. Qui tapaient tout le monde. Qui aimaient la violence. Et pourtant, ils faisaient preuve d’un vrai sens du partage quand on traînait ensemble. Au fond, je crois que se comporter en bourgeois, ce n’est pas tant fonction des revenus que de l’éducation. » (Extrait d’une interview donnée au canard Article 11, mars 2014.)
C’est là tout l’intérêt du livre. Même si la logique du crew, tout comme celle de la « famille », devient rapidement étouffante et mortelle, on prend plaisir à lire ce que Pelletier dépeint par petites touches au fil des pages : l’esprit de la communauté des rois de la galère et de la solidarités de la tribu des fêlés. Et comment cela est, de manière bien complexe et sans que ça ne soit jamais tout noir ou tout blanc, imbriqué, juxtaposé avec nombre de choses beaucoup plus cradingues.
La rue. Le rock. Pas de quoi mythifier, pas de quoi s’en vanter, mais c’était ainsi.