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Histoire des suffragistes radicales dans Le Monde des livres

vendredi 18 mai 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Le Monde des livres, 17 mai 2018

Féminisme :
quand les ouvrières britanniques lançaient la bataille

Elles s’appelaient Esther Roper, Eva Gore-Booth, Sarah Reddish, Sarah Dickinson, Selina Cooper et Ada Nield Chew. Avec elles, derrière elles, des dizaines de milliers de tisseuses et de bobineuses dans ce haut lieu de la production textile que fut le Lancashire, la région de Manchester, au nord-ouest de l’Angleterre, tout au long du XIXe siècle et des premières décennies du XXe siècle. Cumulée à d’autres facteurs d’évolution, leur lutte opiniâtre a abouti à la conquête du suffrage féminin en Grande-Bretagne, d’abord limité aux femmes de plus de 30 ans (1918), puis étendu aux mêmes conditions que pour les hommes – dès 21 ans (1928). Les historiennes britanniques Jill Liddington et Jill Norris ont ressuscité le combat de ces suffragistes dès 1978 dans un ouvrage devenu un classique outre-Manche. Ce récit vivant et empathique, Histoire des suffragistes radicales, est désormais accessible en français.
Les auteures ont utilisé une importante documentation, parfois dénichée dans de modestes bibliothèques locales et dans des archives familiales. Elles ont également recueilli de précieux témoignages oraux de filles de certaines de ces militantes. Pour le lecteur de 2018, le livre se lit dès lors comme la mise en abyme de deux temps du féminisme : celui des actions pionnières de la fin du XIXe siècle, objet du livre, mais aussi celui de ce « combat oublié » qui se poursuit dans les années 1970, et dont témoigne l’enquête des deux Jill.
Que dire en outre des échos très contemporains du livre, à l’heure où le partage des tâches domestiques reste très inégalitaire ? Le titre original du livre – « Une main liée derrière le dos », tiré de l’autobiographie d’une suffragiste – exprime bien la difficulté à porter ce combat tout en étant contrainte de gagner sa vie à l’usine et de continuer à porter la charge de la famille. L’un des apports fondamentaux de l’ouvrage est là : remettre ces militantes ouvrières de la cause des femmes sur le devant d’une scène bruyamment occupée par les suffragettes, d’extraction plus bourgeoise et aux méthodes plus spectaculaires. On ne peut qu’être reconnaissant à Fabrice Bensimon, professeur d’histoire britannique à la Sorbonne, inlassable passeur, et aux éditions Libertalia de nous permettre de vibrer de nouveau avec ce combat.

Pierre Karila-Cohen