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Feu ! dans Libération

mardi 19 octobre 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Libération, le 19 octobre 2021.

Portraits de féminismes en feu

Radical et parfois déconcertant, un abécédaire réunit 68 autrices pour saisir le foisonnement de ces mouvements ces vingt dernières années.

« C’est une arme par destination », lance mi-sérieuse mi-amusée Elsa Dorlin. La philosophe et militante féministe a coordonné Feu ! Abécédaire des féminismes présents, publié le 14 octobre aux éditions Libertalia. Un objet contondant de 700 pages, qui réunit 68 autrices, militantes, penseuses, collectifs pour saisir la diversité des mouvements féministes de ces vingt dernières années. Des noms connus : Adèle Haenel, Assa Traoré, Valérie Rey-Robert, d’autres plus souterrains, non moins importants comme Geneviève Bernanos, cofondatrice du collectif Mères solidaires, des zadistes, des zapatistes…
Le duo entre la maison d’édition de critique sociale, indépendante, volontiers pirate et la féministe radicale laisse peu de place au doute quant au contenu de l’ouvrage. « Les féminismes contés dans ce livre sont autant de brasiers allumés, de contre-feux dans un monde partout calciné par le patriarcat », écrit Elsa Dorlin dès l’introduction.
Aucun article ne se ressemble, entre témoignages, manifestes, développements scientifiques. « Viande », « roller derby », beaucoup de notices surprennent, au milieu des plus classiques « intersectionnalité » et « écoféminisme ». Pas question de frontières fixes, donc, mais plutôt de lignes mouvantes, une « mangrove » selon l’expression d’Elsa Dorlin. Au cours des pages, le lecteur ou la lectrice découvre une nouvelle géographie du féminisme. Ainsi de l’analyse du cancer du sein que développe l’anthropologue Mounia el-Kotni. Pour elle, la malade est un violent réceptacle de toutes les injonctions à la féminité : continuer à se maquiller, mettre des perruques est autant de façon de « rester dans le rang » du féminin. « Cette injonction à la féminité […] fait du cancer du sein un lieu à partir duquel il est possible d’interroger le genre », explique l’autrice.
Dans « Mères », Fatima Ouassak croise le fer avec une certaine vision du féminisme qui, sous l’impulsion de la seconde vague, considère la maternité comme une aliénation : « En France, être mère, c’est trahir Simone de Beauvoir. […]. C’est perdre des neurones […] un truc de beauf, un truc d’immigrée. » Contre cette vision elle oppose une mère politique, engagée en collectif, au front pour une nouvelle éducation des filles et surtout des garçons. « Quels enfants pour le monde ? »
Toute la chair et la vivacité de l’ouvrage sont là : dans des témoignages puissants, des articles fouillés qui viennent du terrain. Car les coordinatrices de l’ouvrage ont eu à cœur de proposer une histoire populaire des féminismes, qui part des « révolutions », des « contre-conduites », des actrices et acteurs des mouvements féministes. La diversité des thèmes, parfois déconcertante, alimente une grande « boîte à outils » dans laquelle piocher pour « affûter ses armes » et « écouter des voix ».
Finalement, c’est à Despentes que les autrices ont laissé le soin de conclure cette joyeuse jungle : « Sur ce, salut les filles, et meilleure route. »

Clara Guillard