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Censure du jeu Antifa par la Fnac dans Libé

lundi 28 novembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié par Libération le 28 novembre 2022.

La Fnac censure un jeu antifasciste à la demande de l’extrême droite

L’enseigne a cédé à une campagne mensongère menée par un député RN. Elle continue de proposer à la vente des livres antisémites et conspirationnistes.

Le député RN Grégoire de Fournas demande, la Fnac s’exécute. Le député lepéniste, connu pour sa saillie « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique » à l’Assemblée nationale qui lui a valu d’en être exclu quinze jours, s’est indigné ce samedi sur Twitter qu’un jeu antifasciste soit en vente sur le site de la Fnac. Fondée sur des mensonges, mais largement relayée dans les cercles d’extrême droite, la polémique a même entraîné le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). Dimanche soir, la grande enseigne a annoncé faire « le nécessaire pour que [ce jeu] ne soit plus disponible dans les prochaines heures » sur son catalogue.
Retour sur une polémique montée de toutes pièces. Étape 1 : les éditions Libertalia et le collectif antifasciste La Horde rééditent dans une version simplifiée « Antifa : le jeu », un outil de formation à destination des militants qu’ils avaient sorti à la rentrée 2021. Étape 2 : comme a pu le constater Libé, les militants d’extrême droite et quelques influenceurs de second rang s’indignent dans l’entre-soi de la fachosphère… Cercles visiblement poreux puisque, étape 3, le député RN Grégoire de Fournas s’en empare. Samedi midi, il poste sur Twitter une image du jeu accompagnée de ce message : « Case 1 : je bloque une fac. Case 2 : je tabasse un militant de droite. Case 3 : j’attaque un meeting du RN. Case 4 : je lance un cocktail Molotov sur les CRS. » Et de conclure : « La Fnac vous n’avez pas honte ? »

Polémique bâtie sur un mensonge

Très vite, la polémique enfle, poussée par les utilisateurs d’extrême droite du réseau social. Jusqu’à ce que le SCPN se joigne au chœur des indignés et que la Fnac finisse par réagir. Toujours sur Twitter, l’entreprise a répondu au syndicat policier : « Nous comprenons que la commercialisation de ce “jeu” ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu’il ne soit plus disponible dans les prochaines heures. » Contactée ce lundi matin, l’entreprise se refuse à d’autres commentaires et renvoie vers ce tweet.
Cette polémique est pourtant bâtie sur un mensonge. « Il n’est absolument pas question de tabasser des militants d’extrême droite dans ce jeu ! », précise Nicolas Norrito des éditions Libertalia, qui produisent ce jeu avec le collectif antifasciste La Horde. « C’est un outil de formation, un jeu de cartes avec des dés… Casser du flic ? Mais il n’en est absolument pas question. Nous sommes de longue date militants antifascistes, on a fait attention à ce que tout soit inattaquable juridiquement. Et il est hors de question qu’un jeune se fasse casser la gueule parce que le jeu l’aurait galvanisé. »
Le concept, poursuit Norrito, « c’est que tu gagnes si tu es capable de monter des actions à plusieurs, comme des blocages, des manifs ou créer un podcast, et de les réussir. Nous avons refusé le sensationnalisme et, si la question de la violence est bien posée dans le livret d’appareillage critique qui accompagne le jeu, c’est uniquement sous le prisme de l’autodéfense ». Bref, « rien de tout ce que Grégoire de Fournas affirme, et on attend d’ailleurs qu’il montre les cartes en question » prouvant ces violences qu’il dénonce, soutient Nicolas Norrito.

Des livres antisémites à la Fnac

Surtout, il dit tomber des nues. Le jeu attaqué ici, disponible depuis le 10 novembre, est ainsi une deuxième édition de la version initiale sortie à la rentrée 2021 et dont les 4 000 exemplaires produits ont été vendus en quelques mois. Il était d’ailleurs déjà proposé sur le site de la Fnac, qui en a écoulé plus de 400 exemplaires l’année dernière selon Nicolas Norrito, sans que ça ne pose de problème. La nouvelle version a même été recommandée dans L’Éclaireur Fnac. Le 6 novembre, ce site de prescription tenu par les équipes éditoriales du groupe, décrivait : « Pensées au départ comme un simulateur tout à fait sérieux pour les mouvements libertaires, les mécaniques d’Antifa ont été simplifiées afin de devenir un jeu de société accessible au public. »
« La Fnac a fait une énorme erreur et se retrouve avec un bad buzz colossal, estime Nicolas Norrito. Si elle retire ce jeu, qu’elle retire aussi nos livres sur ces antifascistes de la 2e DB qui ont libéré Paris en 1944 par exemple. » En attendant, sur les réseaux sociaux, les messages de soutien affluent. « Nous avons eu 300 commandes rien que cette nuit sur notre site, le jeu est déjà en quasi-rupture. » De nombreux internautes interpellent également la Fnac car son catalogue ou sa marketplace (où des revendeurs peuvent proposer leurs propres articles) proposent des auteurs antisémites par exemple. Comme les ouvrages du multicondamné pour incitation à la haine raciale Alain Soral ou encore le livre Le Mythe du XXe siècle de l’idéologue nazi Alfred Rosenberg. Questionné sur ce point, le service communication du groupe Fnac Darty n’a pas non plus souhaité faire « d’autres commentaires ».

Par Pierre Plottu et Maxime Macé