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Blues et féminisme noir dans Jazz Magazine

vendredi 9 mars 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Jazz Magazine, n° 702, février 2018

Le blues de Gertrude « Ma » Rainey, Bessie Smith et Billie Holiday ? Une musique de femmes fortes, émancipées, conscientes et hardies. Une musique de femmes noires prêtes à en venir aux mains, rageant déjà à travers le micro, face aux affres de leur condition sociale, dans une Amérique ségrégationniste.
On parle là de Gertrude « Ma » Rainey et de Bessie Smith, deux chanteuses de blues d’envergure dont l’œuvre porte définitivement le sceau des prémices du féminisme noir galvanisé dans les années 1970 aux États-Unis. On parle aussi de Billie Holiday, qui, dans les années 1940, prend le flambeau bien au-delà des malheureuses péripéties de sa propre existence. C’est la conclusion majeure que l’on tire de l’ouvrage didactique que leur consacre la féministe et militante des droits de l’homme Angela Davis, dont la version originale est parue en 1998. À l’issue de cette vibrante, imposante et minutieuse analyse de la portée idéologique et sociale des chansons de ces blueswomen, force est de constater que les sobriquets dont elles ont toujours été affublées (« mère du blues » pour Ma Rainey ou « impératrice du blues » pour Bessie Smith) sont bien loin de suffire à cerner toute la dimension de leurs chansons, tant au niveau des paroles que de la façon de les déclamer. Et avec Lady Day, c’est la rencontre fracassante entre conscience sociale et musique qui éblouit. « Dans la musique, dans son phrasé, dans son tempo, dans le timbre de sa voix, les racines sociales de la douleur et du désespoir que vivent les femmes éclatent au grand jour », écrit notamment Davis à son propos. Liberté sexuelle à travers le prisme de la race et du genre, rapport à l’homme et l’homme noir, spiritualité ou encore la fameuse thématique du voyage, sont décortiqués à travers un corpus de titres contextualisés avec brio. L’ouvrage est agrémenté de photos d’archives et d’un CD compilant les titres les plus éloquents de Ma Rainey et Bessie Smith (avec retranscription des paroles). Sans compter une bibliographie complète. Ce travail colossal d’Angela Davis est prodigieux tant cette musique que l’on croyait connaître revêt soudainement une dimension encore plus salutaire. Et, mieux encore, par les temps qui courent, sa traduction arrive définitivement à point nommé.

Katia Touré