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Alix Payen dans En attendant Nadeau

mardi 25 août 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans En attendant Nadeau, le 13 août 2020.

Aux grandes femmes la Commune reconnaissante

Quand chacun se veut plus vrai que vrai en se substituant aux écritures des gens du passé… Le témoignage fait de lettres familiales selon un montage de Michèle Audin se révèle passionnant. Ces échanges ont pour principale protagoniste Alix Payen, ambulancière d’un bataillon de la Commune. Nous la découvrons, elle, vive, moqueuse, et son milieu. Mais voilà, elle n’a pas publié, pas fréquenté de clubs, pas appartenu à l’Internationale, ni même à l’Union des femmes pour la défense de Paris !

Les lettres rassemblées sont celles de la famille Milliet du temps du siège de Paris, échangées entre Alix Payen, sa mère, née de Tucé, son père, officier de cavalerie et orateur d’une loge maçonnique qui a fui en Savoie après le coup d’État de 1851, sa jeune sœur Louise et son frère Paul, non moins Fédéré et sergent dans la Garde nationale, mais dans le génie et en passe d’entrer aux Beaux-Arts. Devenue ambulancière, elle suit son mari, Henri, artisan bijoutier, enrôlé dans un bataillon de quartier, le 153e lié à la 10e légion, celle du Xe arrondissement.

Le père est à La Colonie de Condé-sur-Vesgre près de Houdan, l’authentique création fouriériste, on lui conseille de ne pas revenir et Alix persifle quand elle lui écrit : « Ces abominables communeux ont brûlé solennellement la guillotine l’autre jour. » On lui déconseille de revenir, la mère vit 95 boulevard Saint-Michel. Elle se partage entre son appartement exposé aux violents bombardements de la rive gauche et celui de sa fille, rue Martel, où elle va avec Louise, la jeune sœur, dont les commentaires ne sont pas moins engagés que ceux du reste de la famille. La description des incendies de la « Semaine sanglante » par la mère, toujours très neutre de ton mais vive observatrice, est formidable.
De cet ensemble, on connaissait les morceaux publiés par Maspero en 1978 (sous le pseudonyme de Louis Constant), sous le titre Mémoires de femmes, mémoire du peuple. Paul Milliet, le frère, avait publié en 1916 Une famille de Républicains fouriéristes. Les Milliet. Chacun parle sans fard, selon son âge, sa position, son éducation, même si Alix se dit qu’elle vit quelque chose qui devrait être raconté, rassemblé, publié. La mère, qui a un frère général en garnison à Clermont-Ferrand, est la plus pondérée, les sœurs sont plus spontanées. Alix, qui s’engage, est visiblement une « crâne petite femme », selon l’expression d’un soldat du bataillon qu’elle suit.
Son mari, sergent des gardes nationaux, appartient aux troupes qui défendent Paris, celles du siège de Paris, avant même que la Commune n’y soit proclamée. Alix lui écrit : « on dit que les généraux n’ont qu’une envie, celle de capituler ». Les lettres circulent à l’intérieur de Paris assiégé. Une fois la Commune proclamée, Alix, qui mûrit au fil de ses expériences, évolue de campement en campement, dans les forts d’Issy et les cimetières de la banlieue ouest, un Neuilly dévasté, toujours sous le feu des Versaillais. Les difficultés sont constantes, les relèves approximatives, les marches sous le feu de l’ennemi versaillais aléatoires, la saison froide et humide. Mais Alix est courageuse et curieuse de tout : le 16 avril, elle écrit : « J’ai passé toute la journée dans le cimetière et fait un peu connaissance avec mes nouveaux camarades… Les hommes sont très convenables et même très aimables avec moi. Je mange avec eux. Je les aide à éplucher les légumes pour la popote. J’en suis récompensée par le plaisir que j’ai à les entendre causer. Il y a tant d’esprit si naturel, des réparties si drôles chez ces ouvriers parisiens. » Elle ne cesse d’attester de leur correction, un peu étonnée, sans doute par préjugé de classe, plus encore pour rassurer ses parents. Le 21 avril, elle note : « enfin nous partons quatre dans le fourgon, aucun de nous ne sachant conduire ni la route ». La vie des camps est rude : « ils savent que j’ai la faiblesse de me débarbouiller tous les matins ». La mère est très partagée sur ce qu’elle voit de part et d’autre ; la petite sœur, plus radicale.
On n’ose pas qualifier ces témoignages sur la vie, l’éducation, la langue d’un milieu et d’un moment. On n’ose pas qualifier de plaisants ces textes tellement chargés d’histoire et porteurs de la mémoire parisienne du siège de Paris et de la Commune. Rien ne manque qui ne relance notre intérêt à chaque ligne. On voit ce qu’est la guerre, les marches aléatoires d’un poste à l’autre et des postes qui ne sont plus rien, débris dévastés, refuges précaires sous les tirs ennemis, vécus dans l’audace tranquille qu’il n’est de mort que pour les autres. Mais le mari d’Alix est touché par une balle qui lui traverse la cuisse et meurt lors de la Semaine sanglante. Une affaire banale sous la Commune.

Maïté Bouyssy