Le blog des éditions Libertalia

Selon que vous serez Antigone ou Créon…

vendredi 3 octobre 2014 :: Permalien

Antigone, mise en en scène par Marc Paquien, est jouée jusqu’au 2 décembre à la Comédie-Française.

Selon que vous serez Antigone ou Créon…

Sur le plateau, un décor réduit à sa plus simple expression : la façade d’un palais. Deux personnages se font face. Lui, le grand, à la stature imposante, c’est Créon, le roi de Thèbes [Bruno Raffaelli]. Il semble mal à l’aise dans son costume d’appariteur ou de gardien de musée. La petite qui le toise et le domine, juchée sur une chaise, c’est Antigone [Françoise Gillard], sa nièce, la fille d’Œdipe, une princesse dont le sang charrie la révolte et la malédiction des Labdacides. Elle est menue, fragile, à peine sortie de l’enfance, elle va mourir. Elle va mourir parce qu’elle a désobéi aux ordres du roi, parce qu’elle a tenté de recouvrir de terre son frère Polynice, héraut désolé d’un coup d’État raté, dont la dépouille doit pourrir en public et l’âme errer dans les enfers.

Que va-t-on chercher chez Antigone ? Pourquoi nous touche-t-elle davantage que Médée, autre héroïne tragique de l’Antiquité ? Sur le papier, tout semble simple : Antigone incarne la révolte de l’adolescence et le refus des normes. Elle croit en la justice immanente, non en celle des mortels. En provoquant la mort, elle devient éternelle, une figure mythique.

La mise en scène de l’adaptation d’Anouilh (1944) proposée par Marc Paquien en ce moment à la Comédie-Française apporte davantage de nuances. D’abord, le jeu est superbe ; tout sonne juste dans cette interprétation : le Chœur [Clotilde de Bayser] qui s’adresse à nous, clope au bec ; les gardes à la voix forte et aux vestes gestapistes ; les sirènes qui résonnent et rappellent que la pièce fut créée durant l’Occupation et que certains crurent y voir Montoire ou la Résistance.

Par moments, on trépigne. On se dit que cette Antigone ne profère pas avec assez de force les plus célèbres répliques : « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite – et que ce soit entier –, ou alors je refuse ! »

Ses hésitations, la peur et les doutes qui l’étreignent sont si bien montrés qu’ils en viennent presque à questionner la détermination face à la mort, qui faisait de notre héroïne une figure de l’absolu et de la révolution.

Et l’on se demande, finalement, si ce n’est pas Créon qui a raison, avec son gras, ses rides et sa désillusion : il faut bien faire le boulot.

Est-ce donc que nous aurions vieilli à ce point ?

N.N.