Le blog des éditions Libertalia

Le Faiseur (Balzac) sur les planches

mardi 25 mars 2014 :: Permalien

Le Faiseur, de Balzac, mis en scène par Emmanuel Demarcy-Mota, sera joué jusqu’au 14 avril au théâtre des Abbesses (Paris 18e) puis partira en tournée à Rennes, Sète, La Rochelle…

Le Faiseur (Balzac)
sur les planches

« Demain je trône dans les millions ou je me couche dans les draps humides de la scène ! » (Mercadet, acte III, scène 16).

Balzac dramaturge, voici qui a de quoi piquer la curiosité. À dire vrai, l’auteur de La Comédie humaine n’a pas laissé un souvenir impérissable de ses sept pièces (dont cinq jouées de son vivant). En s’essayant au théâtre, il s’imaginait en haut de l’affiche, couvert de gloire et d’argent. Las, n’est ni Hugo ni Vigny qui veut et cinglant fut le jugement de l’académicien François Andrieux quand il découvrit le Cromwell (1820) du jeune Honoré : « L’auteur doit faire quoi que ce soit, excepté de la littérature. »
En 1840, Balzac entama l’écriture d’une comédie de mœurs relatant les frasques de Mercadet, un spéculateur perclus de dettes. La thématique lui était familière. Trois ans auparavant, avec La Maison Nucingen, le romancier évoquait la Bourse, la banque et les investissements hasardeux. Plus prosaïquement, amateur de bonne chère, vivant grand train mais déménageant à la cloche de bois, l’auteur du Père Goriot ne cessa jamais d’imaginer des stratagèmes pour « se refaire » et échapper à ses nombreux créanciers. Il fut même l’auteur d’un traité sur « l’art de payer ses dettes et de satisfaire ses créanciers sans débourser un sou en dix leçons » (1827).

Imprimé en 1848, joué en 1851 (soit un an après le décès de l’auteur), mis en scène une petite dizaine de fois au cours du xxe siècle (par Charles Dullin en 1935, Jean Vilar en 1957), Le Faiseur, pièce en cinq actes et en prose, fait son retour sur les planches au théâtre des Abbesses dans une mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota.
Auguste Mercadet (Serge Maggiani) entre en scène dès l’exposition. Le bougre accuse une cinquantaine d’années et vit dans un fastueux appartement de onze pièces rue de Grammont, à deux pas du palais Brongniart. Mais il n’a plus le sou pour payer ses gages ni ses domestiques. Alors il gagne du temps (« Trois mois pour un spéculateur, c’est l’éternité »), entourloupe ses créanciers, leur vend du rêve et expose son épouse (Valérie Dashwood) : « Quand à l’Opéra vous vous montrez avec une nouvelle parure, le public se dit “les Asphaltes vont bien, ou la providence des familles est en hausse, car Madame Mercadet est d’une élégance !” » Tout au long de la pièce, Mercadet attend le retour de Godeau, son fantomatique associé parti tenter sa chance aux Indes, celui qui règlera toutes ses dettes et le sortira de la ruine quand il reviendra…
Pour l’heure et pour faire face, il envisage de marier avantageusement sa fille Julie (Sandra Faure), peu gâtée par la nature mais courtisée par deux prétendants : Minard, presque sincère (Jauris Casanova) et Michonnin de la Brive (Philippe Demarle) aux intentions moins louables : « Crocheter le cœur pour crocheter la caisse, quelle entreprise ! » Avec l’obscur La Brive (qui ressemble à Vautrin), Mercadet tente d’organiser un délit d’initiés afin d’écouler quelques milliers d’actions des mines de la Basse-Indre et d’en tirer un bénéfice considérable. Les choses ne se dérouleront pas comme prévu et Mercadet se résigne au suicide quand, coup de théâtre, Godeau revient et le sauve.

On rit allègrement au cours de cette comédie grinçante ancrée dans le règne de Louis-Philippe. Le légitimiste Balzac dénonce les connivences de la presse et du pouvoir, fustige l’avènement des financiers et de la bourgeoisie d’affaires (« On parle fort peu, on court, on se rend utile, on fait les démarches qu’un homme au pouvoir ne peut pas faire lui-même »). Il ne condamne pas Mercadet et Michonnin de la Brive (« Notre malheur à nous autres, c’est de nous sentir aptes à tout et de n’être en définitive bons à rien […]. La société n’a pas créé d’emploi pour nous »), qui ont des traits communs avec Rastignac.
On trépigne parfois, puisque Demarcy-Mota matérialise le jeu d’équilibriste du Faiseur (« homme d’affaires sans scrupule ») par trois plateaux qui n’en finissent pas de tanguer et ponctue les actes par un chœur reprenant Pink Floyd (Money), ABBA (« Money must be funny in the rich man’s world »), David Bowie (The Man who sold the World) et même les Red Hot Chili Peppers (Otherside).
Enfin, on s’étonne du cynisme prémonitoire du « Napoléon des affaires » : « On ne tuera jamais la spéculation, j’ai compris mon époque ! Aujourd’hui, toute affaire qui promet un gain immédiat sur une valeur… quelconque, même chimérique, est faisable ! On vend l’avenir, comme la loterie vendait le rêve de ses chances impossibles » (Mercadet, acte IV, scène 3).

N.N.