Le blog des éditions Libertalia

Instantanés du festival « La Belle Rouge »

mercredi 6 août 2014 :: Permalien

Du 25 au 27 juillet 2014.

Saint-Amant-Roche-Savine (Puy-de-Dôme) est un village de 540 habitants perché à 900 mètres d’altitude, fief du député André Chassaigne (PCF). Depuis une dizaine d’années, la compagnie Jolie Môme y organise, chaque dernier week-end de juillet, le festival « La Belle Rouge ». S’y rassemblent environ un millier de personnes. À l’affiche, un efficace mélange de culture populaire (théâtre, concerts), de bonne chère (truffade et aligot) et de contestation (conférence des Fralibs, discussions sur l’intermittence et même une manifestation de solidarité avec le peuple palestinien dans les rues de la sous-préfecture d’Ambert). Arrêtons-nous un instant sur les trois spectacles proposés cette année.

Rallumez
tous les soleils.
Jaurès ou la nécessité du combat

Convoquer la mémoire de Jaurès et de ses combats à l’heure du centenaire de son assassinat n’est pas chose aisée tant on craint de se retrouver face à une mise en scène lourdement didactique ou incantatoire. La compagnie Aigle de sable (issue du théâtre de l’Épée de bois) déjoue le piège en s’intéressant tout autant à Charles Péguy qu’à Jaurès, de l’affaire Dreyfus au sinistre mois d’août 1914 et en dressant le portrait d’une génération politique en quête d’absolu. On vibre avec le jeune directeur des Cahiers de la Quinzaine quand il dénonce le parlementarisme et énonce qu’« il y a trop de gros dans le parti des maigres » ; on loue l’anticolonialisme du fondateur de L’Humanité et la dénonciation d’une société « qui porte en elle la guerre comme la nuée l’orage ». La lente dérive nationaliste et mystique de Péguy [Alexandre Palma Salas] – qui le mène aux frontières de l’infâme – est finement peinte : « Jaurès, ce grossier maquignon du Midi a vendu la France au Kaiser. Il faut le poignarder dans le dos. »
Ponctué de chants de lutte et d’intermèdes à l’accordéon [Guillaume Van’t Hoff], ce spectacle de deux heures écrit par Jérôme Pellissier (repris à la Cartoucherie en novembre) gagnerait en rythme s’il était raccourci d’une quinzaine de minutes.

Naz,
de Ricardo Montserrat

Changement radical de registre pour cette pièce coup-de-poing sur la mouvance néonazie. Pendant près d’une heure, un acteur seul en scène [Henri Botte, remarquable] dégueule une abjecte logorrhée identitaire. Le crâne rasé à blanc, vêtu d’un treillis camouflage, d’un polo Lonsdale et d’une paire de baskets Fred Perry, il fait des tractions, de la corde à sauter puis des étirements tout en hurlant son dégoût des profs et de l’institution scolaire, des immigrés qui volent le pain des Français, d’une société qui a perdu la mémoire et le sens de la solidarité. Le personnage claironne sa passion de la violence et des armes, du stade, du mouvement gabber et de l’idéologie national-socialiste. Un croisé de l’extrême droite dont la tactique du « loup solitaire » n’est pas sans rappeler Anders Behring Breivik.
Écrit par Ricardo Montserrat à la suite de rencontres avec des jeunes de la région Nord-Pas-de-Calais, ce spectacle a été joué plus de 160 fois, dont la moitié dans des lycées. Nécessairement suivie par une discussion avec le metteur en scène Christophe Moyer, cette performance un peu confuse bouscule le spectateur et le met mal à l’aise. Pour quelle finalité ?

Jean la Chance,
Brecht

Le ciel est bas et lourd, le vent se lève, les spectateurs les plus prudents sont venus avec leur parapluie, mais rien n’inquiète la troupe itinérante « Ton und Kirschen » [basée à Werder, Brandebourg], fût-ce jouer Brecht en plein air, sous la pluie et en français.
Retrouvée il y a une quinzaine d’années dans les archives du Berliner Ensemble, Jean la Chance [Hans im Glück] est une pièce de jeunesse du grand dramaturge allemand. Rédigée en 1919 à l’âge de 20 ans, inspirée d’un conte des frères Grimm, « œuf à moitié pourri », l’esquisse méritait pourtant de sortir des tiroirs. Dans cette succession de tableaux, Brecht narre le destin d’Hans, un costaud un peu idiot qui perd successivement sa femme, sa ferme, son oie, sa roulotte, sa veste enfin, mais opte pour une vie libre et joyeuse, empreinte de sensualité et d’ivresse. Sur scène, ils sont huit et les changements de décor se font en musique : banjo, violon et accordéon. La dramaturgie s’inscrit dans la double tradition du théâtre de tréteaux et des arts forains. Un spectacle populaire pour les grands et les petits, mais également un virtuose hommage à ceux d’en bas.

N.N.