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Victime du 13-novembre, pourquoi j’irai manifester contre l’islamophobie 

jeudi 7 novembre 2019 :: Permalien

Victime du 13-novembre, pourquoi j’irai manifester contre l’islamophobie :

Oui, cette phrase n’est pas au conditionnel. Car, cette fois-ci, je ne poserai pas de conditions.

Ce 10 novembre, trois jours donc avant les commémorations des attentats du 13-novembre 2015, nous allons manifester contre l’islamophobie. Pourquoi ce parallèle ?
Évidemment, l’extrême droite (au sens large) ne s’est pas privée de le faire, dans sa tentative perpétuelle de récupérer les attentats, avec l’aide de quelques victimes dont j’ai déjà parlé, tout en enfonçant le clou de l’amalgame entre terroristes jihadistes, islamisme, musulmans et islam.
En ce qui me concerne, le lien se fait justement par la crainte que beaucoup de personnes ont eu de cet amalgame, ainsi que d’une augmentation de l’islamophobie, en réaction aux attentats. Cela a conduit à des « analyses » et à des « débats » sans fin sur l’importance ou pas de la religion dans l’idéologie jihadiste, sur le fait que tout cela n’avait strictement rien à voir avec l’islam, que ce n’était que du nihilisme ou de l’anti-impérialisme, voire de la simple délinquance…
Je ne trancherai pas ici, car la complexité nécessite du temps et de la place. En revanche, en tant que victime de terrorisme (et je ne parle qu’en mon nom), j’ai été et je continue à être ulcéré par ce qui se passe, en particulier sur les réseaux sociaux, après chaque attentat, présumé ou pas, jihadiste ou islamophobe. Quel que soit le « camp » où on regarde, les méthodes, peut-être dues au média lui-même, mais pas seulement, me donnent la nausée, entre insultes, mensonges, harcèlement, menaces…
Sur Twitter et Facebook, ou sur des blogs Mediapart, sans évidemment oublier les sites d’extrême droite et de « réinformation », les uns se jettent sur tout attentat présumé pour dérouler leur discours sur le « grand remplacement », ou la soi-disant incompatibilité entre islam et République ; les autres semblent vouloir à tout prix leur attentat islamophobe pour prouver que la France (l’État, mais aussi les Français non-musulmans) est ontologiquement islamophobe. Tous traquent l’emploi du terme « fusillade » (ou « attaque ») au lieu « d’attentat », puis l’origine du terroriste présumé, s’il a crié « Allah Akbar » (ou pas), ou guettent une agression de femme voilée et son traitement médiatique pour de suite affirmer que c’est islamophobe, même si c’est ensuite démenti par la justice, alimentant ainsi des délires complotistes sur le « deux poids-deux mesures » (avec l’antisémitisme évidemment). Les uns se plaignent que le terme « extrême droite » ne soit pas utilisé de suite, les autres que le terme « jihadiste » ou « islamique », voire « musulman » ne soit pas évoqué, tous s’offusquent que l’explication psychiatrique soit avancée, que les médias parlent d’individus isolés, etc. Tous (même l’extrême droite !) se renvoient le « pas d’amalgame ». Tous pratiquent le harcèlement, le buzz médiatique et le trollage.

Cette concurrence détestable, où l’on compte et compare le nombre de morts ou d’agressions, nourrit finalement la haine, ce qui arrange les extrêmes des deux côtés, et ne dérange pas les opportunistes cyniques.
Après les attentats de 2015, et même après Nice, Magnanville, Saint-Étienne-du-Rouvray et les autres attentats de 2016 et 2017, on pouvait pourtant presque être optimistes ! Car, non, l’islamophobie n’avait pas explosé en France. Quelles que soient les sources, une baisse des actes islamophobes était enregistrée en 2016 et 2017. Il n’y avait pas eu de « réponse »/vengeance terroriste comme dans d’autres pays, même si les menaces existent, notamment au sein de la mouvance la plus radicale de l’extrême droite (avec d’anciens policiers ou militaires), sous étroite surveillance.
Malheureusement, cela n’a pas duré. Les chiffres sont à nouveau en hausse en 2018, et on peut parier que cela sera pire en 2019. Pas à cause des attentats qui ont continué (et avec eux les pseudo-analyses évoquées plus haut), mais à cause d’une triple complicité : les réseaux sociaux (enfin, ceux qui s’en servent pour alimenter leur propagande), les chaînes infos, et les politiques, chacun se nourrissant l’un de l’autre.

Ces derniers mois se sont multipliées les polémiques, avec une violence de plus en plus intolérable, et un cynisme politique qu’on n’avait pas vu depuis très longtemps. Et cela a des conséquences concrètes. Comment ne pas faire le lien entre la polémique sur la mère accompagnatrice scolaire voilée, et l’attentat (même si la justice ne l’a pas pour le moment qualifié de « terroriste ») contre la mosquée de Bayonne ? Et avant ça, l’attentat contre la préfecture, un jour considéré comme « jihadiste », puis en fait non, alimentant sans fin la machine à haine. Peu importe en fait, ce que dit la justice. Il suffit juste d’une étincelle, et Twitter s’enflamme. De toute façon, si les faits ne vont pas dans notre sens, c’est qu’on nous cache des choses, que c’est politiquement incorrect, ou qu’il y a « deux poids deux mesures ».

Ce que l’on voit et entend aujourd’hui sur les chaînes infos, qui ont toujours une audience bien supérieure aux réseaux sociaux, est proprement hallucinant, et sans doute plus préoccupant encore. Sans même parler de la désinformation sur certains sujets, l’antenne est squattée par un mélange malsain de pseudo-experts, de polémistes, d’éditorialistes, qui ne débattent pas mais s’invectivent et donnent leur avis partisan sur tout et n’importe quoi. On est bien au-delà du café du commerce. Le format même des ces émissions interchangeables est fait pour le buzz et la polémique. Un animateur (ou une animatrice), difficile de les appeler journalistes, lance des « sujets » soi-disant d’actualité, et les invités se balancent quelques énormités, avant de passer au sujet suivant. Quand « l’affaire de l’accompagnatrice voilée » a explosé, cela a duré des semaines ! Sans même inviter une femme voilée…

C’est évidemment encore plus grave quand l’antenne est offerte quotidiennement à un type condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale, sous couvert de liberté d’expression. Des arguments que d’autres, et parfois les mêmes, emploient pour légitimer le discours négationniste. Il y a un vrai basculement ces dernières années, et encore plus ces derniers mois, une fuite en avant et une « libération » de la parole raciste. Au-delà même des débats sur le terme « islamophobie », on assume aujourd’hui ouvertement, même en étant politique, journaliste ou intellectuel, qu’on peut se méfier d’une population, ou ne pas supporter un vêtement religieux, jusqu’à vouloir « changer de bus » comme certains s’en sont vantés. Là, on n’est plus dans la critique légitime de la religion, mais on s’attaque aux personnes. Et quand on a une voix publique, la responsabilité est énorme.

Question responsabilité, que dire de celle des politiques, et en premier lieu du gouvernement ? La montée, en particulier en violence, des actes islamophobes est certainement due singulièrement au cynisme du chef de l’État et de son gouvernement. Quand le ministre de l’Éducation estime publiquement que « le voile n’est pas souhaitable dans notre société », il sait parfaitement à quoi et à qui il ouvre la porte. Même chose quand le président de la République va se faire interviewer par un hebdomadaire d’extrême droite. Il est vrai que pendant qu’on parle sans fin du voile, des attentats réels ou supposés, ou même de l’islamophobie, on n’aborde pas la réforme de l’assurance chômage et des retraites, la crise profonde dans les hôpitaux et l’Éducation nationale, le désastre environnemental…
Alors Dieu sait, si je puis dire, que cela va être compliqué de manifester aux côtés de certaines personnes, que ce soit des signataires de l’appel ou certains des initiateurs. Il va falloir serrer les dents face à celles et ceux qui blaguent sur les attentats, qui font du business (parfois pas seulement politique) et de l’instrumentalisation de l’islamophobie, qui alimentent les théories complotistes ou le discours du « deux poids deux mesures » avec ses relents antisémites (parfois cachés derrière un prétendu antisionisme), qui comptent les morts ou osent les comparaisons macabres. Il y aura même des prédicateurs antisémites et misogynes. Ce n’est malheureusement pas nouveau, et c’est bien trop souvent minimisé, voire nié, par les organisateurs et les autres participants à ce type de manif.
Mais là, quitte à une nouvelle fois me faire traiter de dhimmi, ou de souffrir du « syndrome du Bataclan », j’irai dire « Stop à l’islamophobie » le 10 novembre avant qu’il ne soit trop tard, tant la situation a atteint un niveau critique. Il faut une vraie réaction politique pour briser cette spirale, qui ne réussira qu’à satisfaire les extrêmes.

Puis, mercredi 13 novembre, j’irai me recueillir devant le Bataclan en hommage aux victimes et à mon ami Vincent.

Christophe Naudin
(Co-auteur du livre
Charles Martel et la bataille de Poitiers.
De l’histoire au mythe identitaire
.)