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Super-Héros, dans le Canard enchaîné

vendredi 9 novembre 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Canard enchaîné du mercredi 31 octobre 2018.

Ecce Superhomo

À l’origine était Superman. Un gonze qui, dès sa première apparition dans « Action Comics », en juin 1938, se révélait plutôt gaillard : on le découvrait notamment capable de soulever une voiture d’une main leste. Balèze. Depuis, les super-héros et les comics les mettant en scène ont proliféré à grande échelle, s’imposant comme de puissants pourvoyeurs d’imaginaire, sautant les frontières, s’invitant à Hollywood ou sur Netflix. Une superdiffusion qui s’est révélée mouvementée, ainsi que le raconte l’historien William Blanc.
D’abord ultra-patriotes pour raison de guerre – Superman et Captain America ont infligé de solides raclées à un certain Adolf Hitler –, les super-héros se sont vite émancipés. À tel point qu’en 1954 fut édicté un Comics Code moralisant l’univers du genre en se fondant sur le livre d’un psychologue conservateur, lequel déplorait notamment la tension homo régnant entre Batman et Robin. Pas suffisant pour bâillonner les artistes du crayon. Car, la force des comics, explique l’auteur, fada de super-héros depuis l’enfance, c’est d’avoir su inscrire « dans un contexte historique, social et économique, en un mot : politique ». D’où les créations qui, dans les années 60 et 70, ont su proposer autre chose que des super-héros lisses, patriotes et un peu crétins.
Wonder Woman et l’émergence du féminisme, Black Panther et le mouvement des droits civiques, Green Arrow et le super-héroïsme social à la Robin des bois : pour chaque chapitre, William Blanc creuse la psyché d’un personnage, furetant dans les plis de la bannière étoilée. Un rafraîchissant voyage en terre mythologique, à l’issue pourtant navrante : « L’idéal né avec Superman a bien quitté l’Amérique, un pays en proie aux cauchemars du capitalisme sauvage, aux replis identitaires et aux fantasmes virilistes. » Logique, en un sens : avec Supercrétin aux commandes, l’utopie n’est plus de mise.

Émilien Bernard