Le blog des éditions Libertalia

Six mois rouges en Russie dans Dissidences

jeudi 16 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Six mois rouges en Russie, dans Dissidences (novembre 2017)

C’est un témoignage inédit que les éditions Libertalia nous proposent en cette année du centenaire de la révolution russe : là où, en effet, Dix Jours qui ébranlèrent le monde, le reportage de John Reed, est universellement connu, celui de sa compagne Louise Bryant, publié en 1918, n’avait encore jamais été traduit en français. Et pourtant, ainsi que l’explique José Chatroussat dans sa préface, la série d’articles écrits sur le vif par la journaliste étatsunienne possède une singularité propre, un caractère plus direct, ouvrant autant de fenêtres sur des scènes pleines d’authenticité.
Arrivée en Russie au moment de la tentative de coup d’État menée par Kornilov, Louise Bryant en repart à la veille de l’offensive allemande devant conduire au terrible traité de Brest-Litovsk. Elle assiste à la Conférence démocratique de septembre voyant dans le divorce entre bolcheviques et les socialistes-révolutionnaires (SR) de gauche d’un côté, partisans de la coalition gouvernementale de l’autre, les débuts de la guerre civile. Sensible à des détails rarement mis en lumière, ainsi des vêtements bigarrés de la population, ou des taxes mises en place par les bolcheviques sur les jeux de cartes afin de financer l’aide sociale, elle insiste également beaucoup sur les tensions de classes, flagrantes. Outre les massacres d’officiers par leurs soldats, on peut relever l’obligation imposée en septembre 1917 pour des voyageurs en train de se débarrasser de leurs produits de beauté, ou le tableau d’une famille de spéculateurs moscovite, pleine d’arrogance et de supériorité.
Elle a également pu assister à quelques sessions d’un tribunal révolutionnaire, aux funérailles des morts de l’insurrection moscovite, et mena une enquête sur les bataillons de femmes qui défendirent le Palais d’Hiver (beaucoup ayant été selon elle trompées par les antibolcheviques). Bien sûr, Louise Bryant ne cache pas ses sympathies pro-bolcheviques, les voyant en train de « chevaucher la tornade » populaire (p. 63) ; pour autant, elle s’efforce d’être objective dans ses descriptions de Lénine et Trotski, trouvant d’ailleurs ce dernier plus humain. Ses articles adoptent souvent la technique du portrait, comparant par exemple la comtesse Panina et Alexandra Kollontaï, toutes deux ayant dirigé l’assistance sociale (avec davantage d’éloges pour la seconde), ou présentant à ses lecteurs Maria Spiridonova, son charisme et l’admiration profonde qu’elle suscita chez elle.
Son objectif principal reste en effet de témoigner, pour ses lecteurs américains, du fait que la Russie, même bolchevique, reste fréquentable, et un allié possible contre l’impérialisme allemand, afin d’enrayer toute intervention de son pays contre la Russie des soviets. Émaillé de quelques erreurs bien compréhensibles à l’époque (elle fait par exemple du père de Trotski un riche marchand moscovite), voilà un témoignage précieux, même si lacunaire, sur les premiers mois du nouveau pouvoir.

Jean-Guillaume Lanuque