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Rino Della Negra dans Le Canard enchaîné

mercredi 9 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Canard enchaîné du 9 février 2022.

Du ballon aux balles

Hors du terrain, il ne se livre pas, le jeune Rino. Sur la pelouse, il fait des merveilles, dribblant les adversaires avec élégance et menant l’attaque, balle au pied. Mais cet ailier droit du Red Star, le club de foot mythique de Saint-Ouen, est aussi d’une discrétion absolue. Comme le raconta en 1942 son capitaine de l’époque : « Il faisait l’entraînement et il repartait. Il nous serrait la main, mais il ne pouvait pas nous parler. »
Né le 18 août 1923 dans le Pas-de-Calais, de parents italiens arrivés du Frioul, Rino Della Negra a 3 ans lorsque sa famille s’installe à Argenteuil. Père briquetier, mère soudeuse, il rejoint la chaîne à 14 ans comme ajusteur aux usines Chausson. Autour de lui, le monde est miséreux. Mais rouge, aussi. Italiens antifascistes, communistes français, socialistes, syndicats grévistes. Le député de Seine-et-Oise s’appelle Gabriel Péri.
Pour Rino, le sport est une raison de vivre. Il excelle au football, un jeu prolétarien. À l’heure du Front populaire, où les stades étaient un lieu majeur de recrutement, ceux qui ont croisé cet athlète hors pair l’ont qualifié d’exceptionnel. Le jeune Italien, naturalisé français, rêve de devenir professionnel. Il évolue dans divers clubs locaux avant d’être recruté par le Red Star. Mais, quelques mois plus tard, il disparaît des terrains.
Le 12 novembre 1943, un certain Jean-Claude Chatel est blessé par balles et arrêté alors qu’il attaquait des convoyeurs de fonds allemands. C’était Rino. Rino le discret, réfractaire au STO devenu clandestin, qui avait rejoint le 3e détachement italien des FTP-MOI, les Francs-tireurs et partisans-Main-d’œuvre immigrée de Missak Manouchian, un an plus tôt. Entre deux tirs au but, il ouvrait le feu sur des patrouilles ennemies.
Le footballeur a été fusillé avec 22 autres partisans de la MOI le 21 février 1944, mais son visage ne figure pas sur l’Affiche rouge. Il était hospitalisé à l’heure de la photo.
Cet ouvrage, par sa rigueur historique, est une façon lumineuse de rendre hommage à l’un de ces « morts pour la France » mais ignorés par elle, « parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles », comme l’avait écrit le poète.

Sorj Chalandon