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Rino Della Negra dans L’Humanité

vendredi 18 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans L’Humanité, le 18 février 2022.

Rino Della Negra, footballeur et partisan

Le jeune espoir du Red Star football club s’engage au sein de la Résistance, aux FTP-MOI. Arrêté lors d’une opération armée, il est fusillé le 21 février 1944 aux côtés de Manouchian et de ses camarades de l’Affiche rouge.

Au matin du 21 février 1944, parmi les Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) qui s’écroulent sous les balles allemandes se trouve un footballeur : Rino Della Negra. C’est un jeune homme de 20 ans qui tombe aux côtés de ses camarades de la désormais fameuse « Affiche rouge ». Aujourd’hui, le nom de Rino Della Negra s’affiche, se scande et se chante dans le stade Bauer, antre du Red Star FC. Car le jeune partisan fut également un footballeur de talent, et l’un des espoirs de ce club historique de la région parisienne. À partir d’archives nouvelles et variées, l’enquête biographique, mais aussi socio-politique permet de retracer l’histoire d’un jeune d’origine italienne marqué par le Front populaire et la Guerre.
Rino est né dans le Nord, à Vimy, en 1923. La famille Della Negra, originaire du Frioul, se déplace au gré des embauches du père, briquetier. C’est à Argenteuil qu’ils se fixent finalement. Cet environnement participe à la formation et la socialisation du jeune Rino. Par ses amis, d’abord. Il se lie d’une forte amitié avec la famille Simonazzi, par exemple, qui est liée au Parti communiste. Car les affinités communautaires sont aussi politiques et l’antifascisme structure le milieu des émigrés italiens. Parmi ses proches, plusieurs s’engagent dans les Brigades internationales, ce corps de volontaires étrangers venus au secours de la République espagnole, attaquée par un soulèvement militaire que soutiennent l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. C’est l’engagement « à la vie à la mort » de jeunes gens désireux de rendre les coups infligés en Italie. Par le sport, ensuite. Car ce jeune ouvrier métallurgiste est surtout un grand sportif. Membre de plusieurs clubs omnisports de la banlieue parisienne, athlète, il court le 100 mètres en 11 secondes 49. Mais c’est le football qui a sa préférence. Il fait la fierté de plusieurs clubs, que ce soit dans le sport d’entreprise, avec l’équipe des usines Chausson, où il travaille, ou au sein de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT).
Au mois de janvier 1943, Rino est réquisitionné pour le Service du travail obligatoire (STO). Réfractaire, il va alors plonger dans la clandestinité. C’est là qu’il entre en contact avec la Résistance. Rejoignant d’abord les FTP de la région parisienne, il intègre ensuite le « 3e détachement italien » des FTP-MOI. S’ensuivent des mois d’une rare intensité, où Rino va se révéler comme un combattant de choc. S’attaquant aux troupes allemandes aussi bien qu’aux éléments collaborationnistes, français ou italiens, Rino participe, aux côtés de ses camarades, à plus d’une quinzaine d’actions armées. Et c’est justement au cours de cette période que, sous son vrai nom, il est repéré puis recruté par le Red Star ! Équipe reléguée au statut d’amateur, certes, puisque les clubs « pros » ont été démantelés par la politique sportive vichyste, mais ô combien prestigieuse.
Mais la traque impitoyable des Brigades spéciales de la police française fait que l’étau se resserre autour des FTP-MOI de la région parisienne. Le 12 novembre 1943, c’est la chute. Rino Della Negra et sept de ses camarades attaquent un transport de fonds allemand. Bien vite les combattants se retrouvent pris au piège. La police est partout, et la fusillade éclate. Rino tente de s’échapper, mais, blessé par des tirs, il s’effondre. Fait prisonnier, il est transporté à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière puis « interrogé », par la police française, puis par la SS. La suite est tristement connue : c’est la parodie de procès du groupe de résistants conduits par Missak Manouchian, dit « de l’Affiche rouge », du nom de cet objet de propagande nazie visant à détourner la population française d’éléments étrangers « criminels ». Détourné de son but initial, il devint un des symboles de la Résistance.
Dès la Libération, le PCF et les organisations de sa « galaxie » célèbre et perpétue la mémoire des membres du « Groupe Manouchian » et des FTP-MOI. Les années suivantes voient la mémoire de Rino se localiser, d’abord à Argenteuil, puis à Saint-Ouen. Au début des années 2000, les efforts conjugués d’un historien, Claude Dewaele, et des supporteurs du Red Star, font revenir le souvenir du jeune espoir dans les tribunes de St-Ouen. Le 22 février 2004, une plaque rendant hommage à Rino Della Negra est apposée au stade Bauer. À partir de cette date, l’hommage à Rino est devenu un élément annuel incontournable des supporteurs de l’Étoile rouge. La tribune Première Est du stade Bauer est désormais communément appelée « Tribune Rino Della Negra ». Tifos, écharpes, t-shirts et autocollants mettent régulièrement en valeur l’ancien espoir, faisant vivre au présent la mémoire et les valeurs du footballeur partisan.

Dimitri Manessis, docteur en histoire contemporaine. Jean Vigreux, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Auteurs de Rino Della Negra, footballeur et partisan, Libertalia, 239 p., 10 eur.