Le blog des éditions Libertalia

Paris, bivouac des révolutions, dans le Combat syndicaliste

jeudi 11 septembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Article paru dans Le Combat syndicaliste, août 2014.

La Commune, une histoire anglaise

Habituellement, les ouvrages sur la Commune se centrent sur une chronologie épique, quasi mythologique, des combats et un peu des débats, en démarrant par la Butte Montmartre, au moment où le peuple de Paris refuse de livrer les canons qu’il a payé à travers des souscriptions. Ce qui fait l’impasse sur les contextes sociopolitiques en amont et la diversité des hypothèses d’interprétations après coup.

Cet ouvrage n’évacue pas certains retours utiles sur la défaite de Sedan, l’état d’esprit des Parisiens assiégés mais épargnés, le discrédit de l’armée française défaite par les Prussiens et l’importance, en contrepoint, de la Garde nationale, formée de volontaires d’opportunité : « Le peuple de Paris était devenu le facteur déterminant dans la continuation de la guerre », écrit Robert Tombs dans cette synthèse qui a le mérite d’une grande clarté. Et, dans une certaine mesure, pour la réussite temporaire de la Commune, ce prolétariat de la capitale a profité de la situation de guerre perdue, et d’un sursaut patriote de l’enclave parisienne.

Regard décalé

On a bien eu un historien américain, Robert Paxton, pour plonger avec du recul dans les années noires d’une collaboration bien française. On retrouve cet œil extérieur avec le regard d’un Anglais, Robert Tombs, pour nous parler de la Commune et la replacer dans ses problématiques, sa dynamique complexe, jusqu’aux interprétations données selon les familles et courants politiques, historiques voire sociologiques et urbanistiques. Tombs reprend tous les éléments d’ordinaire considérés comme acquis et les remet en lumière. Quitte à mettre à plat les thèses divergentes en vigueur, en relativisant aussi, quand il le faut, les écrits des acteurs directs de la Commune dans leurs mémoires. Ainsi la question maintes fois rappelée de l’inconséquence de la Commune qui aurait pu, qui aurait dû, selon certains, exproprier l’or de la Banque de France et qui ne l’a pas fait. Ou l’importance de l’opposition récurrente, réitérée en 1830 et 1848, à l’Empire, et l’armement de la Garde nationale qui permettra très concrètement de donner une réalité à la figure collective du peuple en armes, révolutionnaire, disposant de fusils et de canons bienvenus que le populo n’aurait jamais détenus en temps normal. On retrouve aussi le jeu des tendances, les blanquistes persuadés d’incarner l’avant-garde éclairée et parfois un peu seuls, les membres de l’Internationale, les références en droite ligne avec la Révolution d’avant la Terreur. L’historien s’intéresse à l’esprit divers, bouffe-curé, républicain, antiautoritaire pas complètement, ou pas unanimement… Il arpente aussi les mesures immédiates, sociales, même si la situation de défense militaire de la capitale face aux versaillais a assez vite mis au second plan ces pouvoirs délégués et révocables, ou l’ardoise des loyers en retard annulée par décret.

Figures de communardes

L’auteur interroge par ailleurs les mythes, les barricades nombreuses comme jamais mais pas toutes défendues ; l’importance des attentistes, ni hostiles ni partisans viscéraux de la Commune ; ou le rôle des femmes, plus limité que certaines visions mythiques ont voulu le laisser penser, avec a contrario<code>, la fabrication utile du mythe de la « pétroleuse », héroïne diabolisée justifiant une répression aveugle, pas limitée aux seuls hommes. Et certaines nuances sur l’émancipation des femmes pendant la Commune, au sein d’un mouvement ouvrier qui les voyait plus à la maison qu’à l’atelier, parfois avec l’argument paternaliste de protéger la compagne, l’épouse ou la fille de l’exploitation capitaliste. Les figures de Nathalie Lemel ou de Louise Michel ont pu occulter le rôle moins en première ligne des autres communardes.

Ce livre interroge avec une distance critique des notions qui ont dépassé l’épisode pourtant durablement traumatique de la Semaine sanglante : la Commune a-t-elle sauvé la République ? Ces deux mois insurrectionnels et de gouvernement populaire proche de l’autogestion ont-ils constitué une véritable révolution sociale, populaire, voire culturelle ? Des questions qui s’inscrivent dans la dynamique, toujours vive, évolutive de l’histoire de la Commune et de ce qu’elle nous peut nous dire, depuis son XIXe siècle, pour les luttes de demain, tous les mouvements de « Ceux d’en bas » qui est le nom de la collection dans laquelle ce bouquin s’inscrit.

Nicolas, Interco-Nantes