Le blog des éditions Libertalia

#MeTooThéâtre sur sceneweb.fr

vendredi 3 juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Sceneweb.fr le 3 juin 2022.

#ME TOO THEATRE :
le livre

Le mouvement #ME TOO THEATRE sort aux éditions Libertalia un recueil de textes bouleversants et nécessaires qui viennent déciller les regards, ouvrir les consciences et par-dessus tout acter dans le secteur théâtral la révolution féministe à l’œuvre dans la société. Plus qu’un livre, un manifeste.

Il ne paie pas de mine comme ça, 150 pages (hors annexes), un format qui tient dans la poche, une couverture blanche sans visuel sur laquelle en rouge et bleu les lettres majuscules alignées forment le titre : “#ME TOO THEATRE”. On y est. Oui, il n’a l’air de rien ce petit livre sans prétention mais il frappe fort, il envoie du lourd, il brûle les doigts parfois, mais surtout il acte la mobilisation féministe à l’œuvre dans le milieu théâtral depuis la création du hashtag sur les réseaux sociaux et le rassemblement en une voix commune de femmes solidaires officiant dans divers métiers du théâtre.
L’affaire Weinstein a ouvert la voie à une mobilisation mondiale qui se répand comme une traînée de poudre et vient libérer la parole dans tous les secteurs et toutes les zones de bâillonnement, révéler ce qui avait toujours été tu ou gardé secret. MeToo est une bannière, un espace ouvert de rassemblement et le milieu théâtral n’est pas exempt, loin de là, de pratiques nauséabondes et comportements abusifs à l’encontre des femmes.
Édité à point nommé chez Libertalia, cet ouvrage collectif respire l’envie d’en découdre avec l’impunité du harcèlement et de toutes les formes qu’il prend. Il est le reflet de la diversité des voix et des points de vue autant que de la convergence du mouvement, tout entier tendu vers la déconstruction d’un système inégalitaire qui opprime, agresse, profite de la jeunesse, de la fragilité et de la précarité pour asseoir chantage, injonctions, mainmise.
Vingt-sept textes écrits d’une plume ardente par des comédiennes, metteuses en scène, autrices qui toutes s’emparent du sujet avec l’impérieuse nécessité de visibiliser ce qui se joue en coulisses, hors cadre, témoigner de l’envers du décor pour le faire trembler sur ses bases. Si la colère nourrit l’écriture, il serait réducteur de dire qu’elle en est l’unique moteur. Il y a là une volonté aiguisée de soulever le tapis, regarder et comprendre ce qui se trame à l’écart des regards pour tenter d’y remédier, trouver des solutions pour changer un système en place qui laisse courir ses prédateurs et perpétue des processus de domination inadmissibles. Se protéger soi et protéger les autres. Créer une zone franche de sécurité pour que la parole enfin puisse s’exprimer librement.
Après avoir posé le cadre de leur démarche et le contexte dans un avant-propos explicite signé à quatre mains par les coordinatrices du projet, Séphora Haymann et Louise Brzezowska-Dudek ouvrent le champ aux textes de leurs consœurs de lutte. Des textes de femmes essentiellement mus par les plumes vives, intelligentes, généreuses, averties de Thissa D’Avila Bensalah, Estelle Meyer, Aurore Evain, Roxane Kasperski, Julie Ménard, Charlotte Lagrange, Marie Coquille-Chambel, Anne Monfort… constellées de citations d’anonymes recueillies par le collectif. Parmi elles se glissent deux très beaux textes de Nicolas Raccah et Gérard Watkins qui s’associent en tant qu’hommes à cette prise de conscience collective, nous rappelant par leur présence même au sein du livre que Me Too n’est pas un mouvement de femmes mais un mouvement féministe et qu’il n’y a pas de sexe requis pour l’être.
Vibrants, décapants, intransigeants avec l’injustice, portés par l’intensité insufflée par l’historicité de l’enjeu et un ras le bol partagé, un « c’est assez » qui fourmille dans chaque écriture, les textes publiés crient leur vérité, leur lot d’expériences traumatisantes, et de ces souffrances enfouies créent un étendard de lumière. Il nous coûte parfois de les lire tant la parole de chacune réveille dégoût et incompréhension, et l’on se dit qu’il a dû aussi leur en coûter de les écrire, ces maux mis en mots, ces témoignages frappants, ses anecdotes qui n’en sont pas, ces récits sortis des tripes. René Char écrivait « la lucidité est la blessure la plus proche du soleil » et la citation s’impose à nous à la lecture de cet ouvrage qui draine autant de souffrances que de joie combative. Car ce qu’il en reste, lorsqu’on le referme, c’est la formidable matrice créatrice qu’il révèle, une force insubmersible car collective, l’envie ferme d’agir pour inverser la vapeur et cesser de subir sans mot dire.
Désormais #Me too est dans la place, le théâtre devra faire avec que cela plaise ou non.
Longue vie à ce mouvement salutaire qui marque un tournant historique et chapeau bas à toutes celles et ceux qui ont posé leur nom et leur témoignage dans cet ouvrage qui respire le courage.

Marie Plantin