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La Joie du dehors dans Cursus.edu

mardi 25 août 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Cursus.edu, le 8 juin 2020.

La pédagogie du hors-les-murs

Quand l’école va à la rencontre de son environnement
Les écoles isolent les jeunes derrière des murs et tournent souvent sur elles-mêmes, autour de programmes, de situations d’apprentissages et d’évaluation où les enfants ont parfois du mal à trouver du sens. C’est le constat que fait Guillaume Sabin dans La Joie du dehors.
Comment construire une pédagogie ouverte sur l’extérieur où les élèves iraient à la rencontre des acteurs de la vie économique culturelle ou sociale ? Guillaume Sabin nous donne quelques pistes. Le livre publié en août 2019 est porté par une écriture vive, enthousiaste et militante, tout en contraste lorsqu’il s’agit de comparer les projets pédagogiques de l’école classique et de l’école ouverte.

S’éloigner ou se protéger — l’école traditionnelle comme espace clos
Tout au long du livre, Guillaume Sabin oppose deux visions. Une école enfermée et protégée par des murs et une école en mouvement, tournée vers l’extérieur, sans cloison ni horloge, ouverte sur l’imprévu, la société et les autres. Reprenant les critiques contre l’école « caserne », il constate que l’école vise à protéger de la société et des parents, et à isoler l’enfant dans des activités, des évaluations et des contenus éloignés de sa vie. La critique est forte, imparable, et touche tout le monde. Ainsi, les écoles innovantes qui promeuvent les séjours en plein air portent elles aussi souvent le projet d’une mise à distance de l’environnement social. 
L’école ouverte n’est en effet pas l’école en plein air. C’est une école qui va au-devant du monde qui l’entoure, des acteurs sociaux, économiques et culturels, une école qui se déplace et qui laisse une grande initiative aux enfants. Guillaume Sabin présente des dispositifs où de petits groupes vont à la rencontre des personnes et se rendent dans des espaces qui leur sont parfois familiers et parfois étrangers. Le livre insiste sur la découverte des lieux et sur l’accompagnement physique. Il s’agit d’intéresser, d’étonner mais aussi de se laisser étonner par les élèves et leurs proches.

Des précurseurs
La pédagogie sociale se réclame de Célestin Freinet (1896-1966). Cet instituteur qui a enseigné dans les Alpes-Maritimes, a toujours insisté sur la mise en activité des élèves, sur leur autonomie et sur l’attribution de rôles. Sa conception de l’école est celle d’un espace ouvert. Les groupes vont à la rencontre des habitants et parfois des moins « scolaires » d’entre eux. Ils produisent des travaux destinés à être diffusés à l’extérieur. Le journal, l’utilisation de la presse sont des éléments qui restent attachés à l’image de cet enseignant et auteur.
Guillaume Sabin cite également Janucz Korczak. Né en 1878 et mort en 1942 après avoir demandé à être déporté avec les enfants de son orphelinat. La pédagogie sociale retient de cet auteur l’autonomie des enfants, le souci de les ouvrir sur leur environnement et de les amener à découvrir une grande variété d’objets d’études. Comme les autres pionniers que « La joie du dehors » met en avant, il fonde son action sur le respect, la prise en compte des personnes, le lien de confiance et d’affection avec les enfants.
Un autre enseignant, Paulo Freire, a tracé la voie de ce qu’est devenue la pédagogie sociale. Il introduit l’idée d’humilité et de modestie de la part de l’enseignant, qui doit d’abord chercher à comprendre qui sont ses apprenants, comment ils vivent et ce à quoi ils sont sensibles. Partir du vécu et du terrain des personnes qui apprennent est essentiel. Engagé dans la lutte contre l’illettrisme, Paulo Freire a pu atteindre des résultats ambitieux en proposant une formation qui avait du sens et en construisant préalablement une relation de proximité et de réciprocité. 
Parmi les précurseurs, on est également tenté d’évoquer Rousseau, l’auteur de l’Émile. Il insiste sur le plein air, les sorties et les excursions. Comme les tenants de la pédagogie sociale, il préfère le contact direct avec la nature que « la connaissance de seconde main », pour reprendre une expression de Guillaume Sabin. Mais pour le philosophe du siècle des Lumières, le maître organise tout, il connaît les réponses aux questions qu’il pose et ne se laisse pas surprendre ou affecter. Il amène constamment l’apprenant sur son territoire et sur ce qu’il maîtrise. 
C’est sur ce point que la pédagogie sociale diverge. On ne peut pas aider quelqu’un à apprendre et à devenir autonome dans ses apprentissages si on l’enferme constamment dans le rôle de celui qui a besoin d’être épaulé, guidé et accompagné. Le livre de Guillaume Sabin montre qu’une formation solide commence par une estime de soi pas trop abimée.
Autre différence : la pédagogie « hors-les-murs » part de ce que les rencontres et les situations vécues apportent. Elle se propose de multiplier les regards et les objets d’étude. Rousseau de son côté censure, trie et ne garde par exemple que quelques livres.

Le familier et le nouveau
Dans les GPAS [Groupe de pédagogie et d’animation sociale], les pédagogues visitent parfois les espaces qui sont familiers aux enfants et adolescents. Ils acceptent d’être guidés et d’être étonnés, tandis que les élèves sont familiarisés avec les espaces. Le schéma pédagogique peut être inversé et il arrive aussi que ce soit un élève qui propose la prochaine activité ou la prochaine rencontre. Mais parfois, les élèves vont au contraire découvrir un espace social qu’ils ignoraient. Ici encore le pédagogue ne se positionne pas comme un expert qui aurait toujours raison. Un moment de formation qui a réussi est un moment où l’enseignant a lui aussi appris quelque chose... 
Et les exemples cités donnent envie. Les jeunes de Bretagne auront ainsi eu l’occasion de rencontrer un éclusier, de visiter un atelier de stop motion, de se sensibiliser aux arts martiaux, de construire une carriole ou de voir des projets se décider chez ATD Quart Monde, association qui prône l’émancipation et la participation des plus défavorisés. 
Dans une école fermée et isolée du dehors, on peut facilement amener les élèves sur le terrain de l’enseignant et maintenir une asymétrie rassurante. Les GPAS n’hésitent pas à bousculer ces habitudes, à aplanir les relations et à créer de la réciprocité.
Il ne fait aucun doute que les sorties avec les GPAS sont des moments forts pour les élèves, qui peuvent aider à rétablir la confiance en soi et en l’adulte. Les compétences relationnelles et de communication sont certainement beaucoup sollicitées et développées dans ces sorties. 
La lecture de ce livre est stimulante et convainc de l’apport de cette pédagogie dans la construction de soi. On s’interroge néanmoins sur la nature des complémentarités entre le parcours scolaire et les moments ponctuels accompagnés par le GPAS. Le livre porte un regard assez tranché et négatif sur le système scolaire avec lequel il doit pourtant cohabiter. Comment se passent les relations avec les « pédagogues du dedans » ? Parvient-on à construire une complémentarité ?

Frédéric Duriez