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La Fabrique du Musulman sur le site « Zones subversives »

jeudi 16 mars 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié le 11 Février 2017 sur zones-subversives.com

Racisme anti-musulmans et logique identitaire

Face à la montée du racisme et de la réaction identitaire, la gauche s’enfonce dans des impasses. Il semble important de dépasser les débats frelatés pour ouvrir de nouvelles perspectives.
 
Une montée des logiques identitaires peut s’observer. Le racisme ne cesse de s’amplifier. Les attentats et la crise Charlie ont accentué les replis identitaires derrière un républicanisme franchouillard. La laïcité autoritaire permet de diffuser un racisme anti-musulmans, notamment à travers les médias.
De son côté, l’extrême gauche insiste également sur les thématiques identitaires au détriment de la question sociale. Les gauchistes ne veulent pas s’interroger sur l’intégrisme religieux pour éviter de se poser des questions sur une population déjà très attaquée. Le débat intellectuel se contente donc d’opposer les « intégristes républicains » et les « islamo-gauchistes ». L’agressivité et le racisme des républicains contribuent à éradiquer la nuance et le recul critique.
 
Nedjib Sidi Moussa tente d’éclairer tous ces débats particulièrement virulents dansLa fabrique du musulman. Il se situe du côté du mouvement ouvrier, très divisé sur ses questions. Cette famille politique peut impulser des luttes contre l’exploitation, mais peut aussi conduire à des impasses. « Des secteurs de la gauche radicale ont encore la capacité d’orienter des débats, d’impulser des dynamiques, de favoriser des regroupements afin d’éviter la lutte de tous contre tous sur des bases ethnoculturelles », espère Nedjib Sidi Moussa.
 
 
Montée des logiques identitaires
 
Le racisme contre les « musulmans » vise à figer les identités et à essentialiser des individus. Les luttes de l’immigration sont oubliées et les musulmans sont simplement assimilés à des fauteurs de trouble. « Car le vrai "grand remplacement" concerne celui de la figure de l’Arabe par celle du "Musulman", de l’ouvrier immigré par le délinquant radicalisé, du "beur" engagé par le binational déchu », observe Nedjib Sidi Moussa.
 
L’effondrement du mouvement ouvrier s’est suivi par une apathie des classes populaires, dont l’immigration récente reste une composante importante. Les analyses de classe sont remplacées par des discours confusionnistes et réactionnaires. « La diffusion des discours religieux, sectaires, identitaires n’a pas fait que des malheureux du moment qu’elle contribuait davantage à diaboliser la lutte de classe », analyse Nedjib Sidi Moussa.
 
La gauche peut alors collaborer à la confessionnalisation et à la racialisation de la question sociale. Cette gauche remplace la lutte des classes par la lutte des races. Comme les racistes et les républicains, elle sépare la communauté musulmane du reste de la population française. Ensuite, cette gauche essentialise les « musulmans », y compris les personnes qui refusent l’assignation identitaire, religieuse ou raciale.
 
En 2005 éclatent des émeutes dans les banlieues. La révolte sociale des classes populaires semble donner un espoir. Mais, la même année, la question identitaire devient centrale dans le débat intellectuel. Le gouvernement veut reconnaître les bienfaits de la colonisation et incarne le racisme républicain. Les études postcoloniales se développent. Même si Jean-François Bayart avertit du risque qui consiste à « consigner les indigènes dans une condition coloniale fantasmatique ». Les universitaires qui dirigent le livre La Fracture coloniale valorisent l’appel des Indigènes de la République.
 
Brigitte Allal analyse les angles morts de cet appel. Il oublie notamment les « femmes indigènes » qui refusent l’ordre religieux et patriarcal. Pierre Boilley pointe la volonté d’établir un statut de victime héréditaire. Daniel Bensaïd émet également des réserves sur la « mythologie des origines ». Surtout, l’absence des termes « classe », « ouvrier », « populaire » ou « prolétaire » semble révélateur de cet appel. Romain Bertrand observe le décalage entre des initiateurs de l’appel issus de la petite bourgeoisie intellectuelle qui prétendent parler au nom des défavorisés.
 
Les Indigènes de la République semblent éloignés du prolétariat immigré et des cités HLM. Leur objectif consiste effectivement à évacuer la question sociale. « Les sujets que nous abordons divisent la gauche, ce qui est l’un de nos objectifs : recomposer le champ politique à partir de la question raciale et anti-impérialiste », confie Houria Bouteldja à la revue Vacarme.
 
L’extrême droite diffuse une idéologie identitaire et ethno-différentialiste. Le développement des réseaux sociaux lui permet de développer son influence. La présidence Sarkozy contribue également à diffuser une idéologie identitaire jusqu’au sommet de l’État. L’extrême gauche cède également à la mode. Sadri Kiari, bureaucrate trotskiste et idéologue des Indigènes de la République, développe le concept de « race sociale », désormais à la mode. « On voit bien que cette notion sert à remplacer l’analyse de la conflictualité sociale à travers la lutte des classes par une nouvelle grille de lecture postcoloniale », observe Nedjib Sidi Moussa.

Confusions idéologiques
 
Le confusionnisme altermondialiste favorise les rapprochements entre l’extrême gauche et les religieux. Les forums sociaux regroupent moins les syndicats de lutte que les associations humanitaires et religieuses. Dans ce contexte, la présence du prédicateur Tariq Ramadan est facilement acceptée.
Gilbert Achcar dénonce l’alliance des trotskistes britanniques avec les islamistes. Il estime que cet accord électoral permet de renforcer l’influence des islamistes qui restent des ennemis politiques. Mais d’autres gauchistes n’hésitent pas à soutenir des partis réactionnaires, voire contre-révolutionnaires, comme le Hamas ou le Hezbollah.
L’extrême gauche et les réseaux de soutien à la Palestine ont été embarrassé par les propos de Dieudonné. L’humoriste se sert de la cause palestinienne pour vomir son antisémitisme. Il sème le trouble et la confusion.
 
 
La notion d’islamophobie semble désormais banalisée dans l’extrême gauche et les médias. Pourtant, elle alimente la confusion. L’islamophobie comprend le racisme, les violences et les discriminations contre les musulmans présumés. Ce qu’il faut combattre. Mais l’islamophobie comprend également les œuvres jugées blessantes et la critique de la religion.
 
Le groupe Alternative libertaire alimente la confusion sur le sujet. Nicolas Pasadena invite même à abandonner la critique de l’aliénation religieuse au nom consensuel « vivre ensemble ». L’appel des libertaires contre l’islamophobie invite les anarchistes à abandonner leur anticléricalisme primaire. Cet appel estime qu’il n’est pas possible de lutter en même temps contre le racisme et contre l’aliénation religieuse. Mais une bonne critique de cet appel est diffusée sur le site Alternative libertaire Montpellier.
 
 
L’époque semble marquée par un climat réactionnaire et de confusion politique. L’idéologie identitaire a gangréné toute la droite, et même une partie de la gauche. L’extrême droite ne cesse de dénoncer l’islamisation de la France et réoriente son discours autour de cette thématique. Ainsi, la mouvance antifasciste organise des rassemblements contre l’islamophobie. De nombreux Maghrébins se tournent désormais vers l’extrême droite, notamment pour dénoncer le mariage pour tous. L’extrême gauche sombre dans le confusionnisme, entre opportunisme et sectarisme. Elle n’offre aucune perspective.
 
Égalité et réconciliation, avec Alain Soral et Dieudonné, favorisent les rapprochements entre les nationalistes et les islamistes. L’antisémitisme n’est pas le seul point de convergence. Les deux courants partagent une vision différencialiste et un accord sur le séparatisme communautaire. Ensuite, les islamistes et les nationalistes conservent une conception traditionnelle de la société et restent attachés à l’ordre social. Ils défendent la famille, la morale et l’exploitation capitaliste.
 
Luttes sociales contre idéologies identitaires
 
Le climat politique semble lourd, réactionnaire et confusionniste. Dans ce contexte, le livre de Nedjib Sidi Moussa apporte un point de vue salutaire. Il permet d’attaquer les thèses ethno-différencialistes qui se répandent de l’extrême droite à l’extrême gauche.
 
La ligne de crête est particulièrement étroite. Entre toutes ces idéologies nauséabondes, il semble bien difficile de se frayer une voie vers une perspective émancipatrice. L’extrême droite, relayée par les médias, ne cesse de vomir sa haine des musulmans. Le discours identitaire passe mieux que le bon vieux racisme qui crache sur les « Arabes ». Sa parer de laïcité et même de féminisme pour dénoncer les affreux « musulmans » qui vivent dans l’obscurantisme semble plus accepté que le discours basique de la haine de l’immigré. La gauche au pouvoir sous François Hollande a encore davantage renforcé ce glissement.
 
Inversement, l’antifascisme est resté assez basique. Il se contente de dire l’inverse du fascisme, sans analyser les nuances et les subtilités des rhétoriques de l’ennemi. Si l’extrême droite attaque l’Islam, les antifas se pressent pour défendre cette religion en éludant ses limites réactionnaires. C’est le bon vieux réflexe du campisme. Le monde est divisé entre les gentils et les méchants, et aucune place n’est laissée à la nuance et au recul critique. Il devient impensable de lutter contre le racisme anti-musulmans tout en critiquant l’aliénation religieuse. C’est risquer de briser l’unité de fronts antifascistes pourtant bien douteux.
 
Nedjib Sidi Moussa pointe également un phénomène méconnu et très inquiétant. Il se penche sur cette petite bourgeoisie musulmane souvent peu évoquée. Les « musulmans » sont uniquement perçus comme des « damnés de la terre ». Mais la communauté musulmane est loin d’être homogène socialement. Une petite bourgeoisie se développe et adopte une idéologie identitaire. La secte d’Alain Soral et l’extrême gauche racialiste se disputent cette clientèle politique. La défense des valeurs traditionnelles est mise en avant, tout comme la dimension identitaire. En revanche, la question sociale se retrouve effacée des discours politiques. La petite bourgeoisie musulmane dispose d’une forte influence, à travers des institutions religieuses. Mais, pour grimper davantage dans la hiérarchie sociale, elle peut dénoncer les « privilèges blancs » aux côtés des islamo-gauchistes.
 
 
Le livre de Nedjib Sidi Moussa se penche uniquement sur les débats et les enjeux intellectuels. Il évoque notamment les débats qui traversent la gauche plus ou moins radicale. Ce n’est pas de ce côté que des perspectives d’amélioration sont visibles. Il n’y a rien à attendre de la gauche qui ne regroupe que des petits chefs qui veulent préserver leur pouvoir ridicule. Les revues intellectuelles comme Contretemps ou Vacarme ne sont que de médiocres torchons dont il ne sort que du gauchisme rance et superficiel. La logique postmoderne triomphe dans ses milieux en décomposition.
 
Mais, avant les milieux intellectuels, c’est le gouvernement socialiste qui a imposé une analyse raciale des luttes des ouvriers de l’industrie automobile. La racialisation semble d’abord un discours qui vise à désamorcer et à délégitimer les luttes sociales. Le livre semble également surévaluer l’importance de groupuscules gauchistes qui n’ont jamais joué un rôle en dehors de leur propre bulle.
Des grèves ouvrières à PSA jusqu’aux émeutes contre les violences policières, c’est bien un conflit de classe qui s’exprime. Dans les luttes des cités HLM contre les bailleurs sociaux et dans le combat contre la ségrégation scolaire, le discours des quartiers populaires en lutte reste opposé aux théories ethno-différencialistes. Heureusement, les révoltes ne sont jamais impulsées par les sectes gauchistes. Dans l’auto-organisation des luttes, c’est avant tout la solidarité de classe qui s’exprime.