Le blog des éditions Libertalia

L’édition sous perfusion

vendredi 19 juin 2015 :: Permalien

Cette expression fait immédiatement écho à tous les acteurs de la filière livre, à savoir les auteurs, les éditeurs et les libraires. Mais on pourrait aussi citer les imprimeurs, les illustrateurs, les traducteurs, les correcteurs, etc. C’est effectivement une filière qui, dans son ensemble, connaît une grande précarité. « Le livre sous perfusion » serait donc une expression plus appropriée. Tour d’horizon des symptômes et de leurs béquilles.

Les auteurs
Dans leur grande majorité, environ 95 %, ils ne vivent pas de leur plume. Pour beaucoup, ce sont des journalistes qui publient, sur commande ou non, des enquêtes, des essais, voire des romans. Car aujourd’hui, pour être publié, il faut avoir un nom, un réseau. L’autre grande catégorie est celle des universitaires. Dans les deux cas, ils n’ont pas besoin de leurs droits d’auteurs pour vivre. Les seuls auteurs qui vivent de leurs droits sont ceux du Top 10 des ventes : Michel Houellebecq, Anna Gavalda, Guillaume Musso, Marc Lévy, etc. Sans parler des personnages médiatiques, pour lesquels les livres s’enchaînent et s’empilent : Alain Finkielkraut, Bernard Henri-Lévy, Eric Zemmour, etc. Le fait d’être connu ou reconnu permet à l’auteur de demander des à-valoir, c’est-à-dire de percevoir une somme d’argent pendant l’écriture du livre, une avance sur les futures ventes.
Mais la réalité est tout autre. Pour un auteur inconnu qui trouve un éditeur qui imprime son livre à 1 000 exemplaires et le vend à 14 euros, celui-ci touchera, au bout de dix-huit mois environ, et si tout le stock se vendait (chose rare), 1 400 euros. Même pas de quoi vivre un mois. Cette situation est bien entendu la plus courante.
Cette année, au Salon du livre de Paris, on a pu assister à une « manif » d’auteurs avec le slogan « Pas d’auteurs, pas de livres », organisée par le Conseil permanent des écrivains, qui regroupe 17 syndicats et associations d’auteurs (voir l’article « Inédit défilé d’auteurs en colère au Salon du livre », Le Monde, 21 mars 2015).
Les auteurs peuvent percevoir des aides du CNL sous forme de bourse ou une résidence d’auteur par le biais de la Société des gens de lettres par exemple.

Les éditeurs
L’édition, comme le monde de la presse, est trustée par de grands groupes comme Hachette-Filipacchi, Planeta, etc. Mais la différence, tout de même, est qu’en matière d’édition, on trouve pléthore de petits éditeurs indépendants. Evidemment ceux-ci sont beaucoup moins visibles sur les tables des libraires et encore moins dans les colonnes des critiques littéraires parisiens. Mais c’est dans cette catégorie que l’on trouve le plus d’audace, autant sur le plan littéraire que sur le plan graphique. Une sorte d’ « avant-garde ». Ils publient moins d’ouvrages, en moins d’exemplaires, mais donnent une véritable vitalité à un marché de plus en plus resserré sur les têtes d’affiche. Certains, par leur qualité, leur curiosité et leur véritable vocation à faire émerger de nouveaux auteurs, ont acquis une réputation d’estime chez les libraires et même dans la presse parisienne. On pense par exemple au Tripode, à Agone, etc.
Editeur devient un métier quand la maison a assez de ressource pour faire vivre ses animateurs. Bien souvent, la profession s’appuie plutôt sur du bricolage : activité alimentaire, bureau dans son propre appartement, etc.
Du côté des éditeurs, les aides parviennent en grande partie du CNL (à la traduction, à la fabrication), des régions et de divers instituts universitaires.
L’autre manne, et pas des moindres, est celle de l’usage exclusif et abusif de stagiaires. Certains services dans les grandes et moyennes maisons ne fonctionnent qu’avec le travail des stagiaires.

Les libraires
La tendance actuelle est à la fermeture. De nombreux points de vente ont vu leurs portes fermées, des institutions comme La Hune à Paris ou Castela à Toulouse. A noter que les chaînes ne résistent pas non plus : 23 librairies Chapitre fermées et tous les Virgin. Le plus grand concurrent étant Internet. A Clermont-Ferrand, les Volcans a fermé pendant six mois, avant que 12 des anciens salariés ne la reprenne en Scop.
Même si de nouvelles librairies voient le jour, le nombre de librairies en France ne fait que diminuer.
Un exemple patent. Un ami secrétaire de rédaction a demandé à faire une formation de libraire dans le cadre du CIF. L’organisme a refusé en avançant que libraire n’est pas un métier d’avenir et que les subventions d’Etat à la formation ne doivent servir qu’à une reconversion professionnelle « qui tient la route ». Tout est dit.
Du côté des aides, les libraires peuvent en bénéficier à l’ouverture de leur magasin. Ils en perçoivent aussi pour l’organisation de manifestations littéraires. Parallèlement, par le biais des mairies, les loyers peuvent être minorés. Car c’est bien là une des causes de fermeture : les loyers toujours plus chers depuis une vingtaine d’années.

Les autres intervenants (graphistes, traducteurs, illustrateurs, correcteurs) sont, dans la quasi-totalité, des précaires. Les maisons d’édition ne les salarient jamais. Il leur faut trouver des contrats. La grande mode, à l’heure actuelle, est de leur demander d’être auto-entrepreneurs.

Une autre problématique, mais là chacun se fera son opinion, est que les institutions mettent le paquet sur le numérique, qui ne rapporte pas grand-chose, voire rien, aux auteurs et aux libraires. C’est clairement un but de l’administration : démocratiser le numérique. Pour cela, les bibliothèques sont équipées de tablettes, les éditeurs perçoivent des subventions pour la numérisation de leur fonds et il est même question que la tablette fasse son entrée à l’école…

Charlotte Dugrand