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Entretien avec William Blanc dans Ouest-France

jeudi 3 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Ouest-France, le 30 janvier 2022.

Derrière les super-héros, une histoire très politique

Plus d’un an avant l’entrée en guerre des États-Unis, Captain America a choisi son camp sur la couverture du premier numéro de Captain America Comics, paru en mars 1941.
Derrière le divertissement, les super-héros ont été pensés par leurs créateurs américains comme un outil politique, dès leurs origines dans les années 1930, explique l’historien William Blanc.

Superman a été créé en 1938 par Jerry Siegel et Joe Shuster, deux auteurs issus de l’immigration juive européenne. Le premier super-héros raconte-t-il leur histoire ?
Comme ses deux auteurs, Superman est un immigré. Il vient d’une autre planète et est recueilli par une famille américaine. C’est une célébration de l’Amérique comme terre d’accueil. Dans les années 1930 marquées par la montée des fascismes et la crise économique, Superman incarne l’espoir d’un futur positif, comme l’indique un de ses premiers surnoms, « l’homme de demain ». Lui-même vient d’une planète plus avancée appelée Krypton. Dès les premiers numéros de cette bande dessinée, Superman défend des salariés face à leur patron et détruit des taudis. Un symbole d’espoir technologique, social et politique.

Quel rôle ont joué les super-héros pendant la Seconde Guerre mondiale ?
Début 1940, une partie des super-héros partent au combat contre l’Allemagne nazie. Une couverture célèbre de Captain America Comics n° 1 représente Captain America donnant un coup de poing à Hitler. C’est plus d’un an avant que les États-Unis n’entrent officiellement en guerre, alors qu’une partie de la population américaine y est réticente. En réponse, les nazis affirment que Superman est une création de juifs qui attaquent l’Allemagne. Après leur défaite face aux Japonais à Pearl Harbor, les super-héros sont mobilisés pour remonter le moral des soldats américains sur le front, où l’on envoie des milliers d’exemplaires de comics.

L’histoire politique des super-héros est américaine. Quelle influence en Europe ?
En Europe, le genre super-héroïque exerce une influence majeure. Marvel a ouvert des branches au Royaume-Uni et en Espagne, impulsant à chaque fois une production de comics locaux. En France, l’histoire des super-héros est plus mouvementée, car, pendant un temps, la censure bloque une grande partie des traductions de comics. Cela a peu à peu disparu à partir des années 1970, avec le succès de publications comme Strange ou Spidey.

Les super-héros sont-ils critiques vis-à-vis de l’histoire américaine ?
Durant la Seconde Guerre mondiale, le discours est « les États-Unis sont le bien, l’Axe le mal », même si dès les années 1930, Superman dénonce les dérives du capitalisme. Les comics deviennent bien plus critiques à la fin des années 1960 avec la guerre du Vietnam. Armes nucléaires, conflits sociaux… Même l’écologie est évoquée à travers des personnages comme Namor, qui vient des fonds sous-marins et subit les essais nucléaires américains.
Ce sont des années d’affirmation de la communauté afro-américaine avec Martin Luther King. Le premier super-héros noir, Black Panther, apparaît en 1966. Des passages de Captain America se déroulent à Harlem, d’où vient son frère d’armes, Falcon, et évoquent le racisme auquel est confrontée la communauté noire.

Black Panther aurait été pensé par ses créateurs comme un anti-Tarzan ?
Tarzan est un homme blanc, occidental, créé en 1917, qui arrive et domine une Afrique assimilée à un milieu sauvage. C’est une métaphore du colonialisme. Comme dans un miroir inversé, Black Panther vient du Wakanda, un pays africain avec une technologie hyperavancée, que des ennemis tentent de piller.

Et les super-héroïnes, dans tout ça ?
Quand Wonder Woman apparaît en 1941, elle a été pensée par son créateur William Moulton Marston comme un personnage féministe et émancipé. Peu après le décès de Marston en 1947, elle disparaît quelques années avant de réapparaître, mais sans ses pouvoirs. Il faut attendre les années 1970 pour que la presse féministe américaine milite afin que la super-héroïne retrouve toutes ses capacités et son indépendance. C’est un des premiers personnages de comics à être utilisé politiquement par une partie du public.

Batman a lui aussi été une icône, au sein de communautés LGBT.
Après guerre, alors que l’homosexualité est encore illégale, la communauté gay joue sur l’idée de déguisement et de travestissement. Certains super-héros l’inspirent, comme Batman, qui n’est pas le héros sombre et bodybuildé d’aujourd’hui. Il est complètement kitch, aux tenues moulantes très colorées, et danse de manière comique. On affirme çà et là qu’il aurait une relation homosexuelle avec son jeune compagnon d’arme Robin. Joel Schumacher dans son film Batman et Robin (1997), avec George Clooney, multiplie les allusions à ce Batman gay des années 1960. Dès les premières images, il fait un gros plan sur les fesses du super-héros en costume moulant et aux tétons apparents.

Les super-héros semblent très progressistes…
Ils ne l’ont pas toujours été ! Le maccarthysme, la « peur des rouges », était très présent dans les années 1950. De nombreux hommes politiques voient les valeurs familiales chrétiennes comme un rempart à la menace soviétique et athée. Les comics ne sont pas épargnés par cette vague réactionnaire. Wonder Woman est transformée en femme au foyer dépendante. On donne à Batman une petite amie, Batwoman, et un chien, Ace, pour qu’il apparaisse comme un bon père de famille. On retrouve des discours conservateurs, notamment dans les années 1980 de Ronald Reagan, avec des personnages comme le Punisher, qui tue directement les criminels sans procès. Son symbole à tête de mort a été repris par des mouvements pro armes et d’extrême droite.

Les super-héros sont-ils malgré tout un message d’espoir ?
Quand Siegel et Shuster ont créé Superman dans les années 1930, ils avaient devant eux un monde qui menaçait d’imploser, avec la montée des totalitarismes et la crise économique de 1929. Aujourd’hui, on est aussi dans une situation angoissante, avec la crise écologique et sanitaire, et je pense sincèrement qu’on crée des super-héros pour continuer à avoir foi dans le futur. Penser que la société peut toujours progresser dans un sens positif est intrinsèque au genre super-héroïque.

Propos recueillis par Grégoire Cherubini